Assemblée du Désert

Qu’est-ce qu’un pasteur ? – Vincent Bru

Source iconographique : A l’orée d’un bois, les participants sont rassemblés autour d’un pasteur qui prêche depuis une chaire démontable. L. Bellotti, d’après Jean-Jacques Storni, 1775 : Assemblée dans le Désert © Musée international de la Réforme (MIR), Genève.

Lorsque j’étais pasteur à Paris dans les années 2000, je m’étais inscrit en 3e cycle à l’Institut Protestant de Théologie, Boulevard Arago. L’un des sujets qui avaient été abordés cette année-là était le ministère pastoral. Quel ne fut pas mon étonnement d’entendre dire par l’un des professeurs, que le rôle du pasteur devait être défini non pas tant de manière théorique, biblique, théologique, que par son agenda : ce qui fait le pasteur, c’est ce que l’on attend de lui, très concrètement, et c’est ce que l’on décide, aujourd’hui, qu’il est, ou qu’il doit être. Dans cette perspective existentialiste, ce qui compte, ce sur quoi il convient de s’appuyer pour définir l’identité pastorale, c’est ce qui est, ce qui existe réellement (la réalité), plutôt que ce qui devrait être (l’idéologie), car, nous dit-on, l’existence précède l’essence (Sartre). Ainsi, il appartiendrait à chaque génération de redéfinir ce qu’est exactement un pasteur, dont la définition exacte ne serait jamais définitive ni donnée une fois pour toutes.

Disons-le tout net, dans la théologie réformée classique, ce qui définit l’identité pastorale, c’est ce qu’en dit l’Écriture Sainte. Point fini !

Dei Verbi Minister

Revenons à la source ! Selon la volonté des Réformateurs, le pasteur est d’abord et avant tout Dei Verbi Minister, autrement dit ministre du Verbe de Dieu. Il est le ministre de la Parole de Dieu et des Sacrements. Voilà sa raison d’être, son essence. Tout ce qui se surajoute à cette définition est, en un certain sens, accessoire, secondaire.

Pour les Réformateurs, rien ne saurait être plus important pour un pasteur que de prêcher fidèlement la Parole de Dieu. C’est là ce que Dieu lui demande.

On attribue au Réformateur Martin Luther cette parole, qui doit être bien comprise :

« Il n’y a qu’un seul péché pour un pasteur, c’est de mal enseigner la Parole de Dieu. »

Tout est dit !

Le port de la robe pastorale symbolise la gravité et la solennité d’un tel ministère, et son lien avec le ministère de Docteur-enseignant (c’est une robe universitaire). Le fait de monter en chaire au moment de la prédication est revêtu d’une symbolique forte en termes d’autorité pastorale. La prédication n’est pas une parole qui vient « d’en bas » mais « d’en haut ». Elle est revêtue d’une autorité divine et prophétique, aussi longtemps qu’elle reste fidèle à la Parole de Dieu (Sola et Tota Scriptura). Dieu parle à son peuple à travers ses ministres.

Le pasteur a une fonction de représentation : il représente le Christ au milieu de la communauté de l’Église. A travers ce ministère, Dieu s’accommode à notre finitude et à notre portée (accommodatio Dei), il « descend » jusqu’à nous, il se « montre », il se fait présent au milieu de son peuple. Le ministère du Christ, sa médiation eschatologique, se prolonge à travers celui des pasteurs. Il se rend visible à travers ce ministère particulier qui participe ainsi au mystère de l’Incarnation, et ce, dans le cadre de l’Alliance.

Voir sur ce sujet mon article : La beauté du culte réformé

Il faut lire ici ce que dit Calvin dans l’Institution Chrétienne sur l’autorité pastorale.

Ancien temple réformé de Lyon

Ancien temple réformé de Lyon. La chaire pastorale est l’élément du lieu de culte le plus important. Elle est placée au centre, bien en hauteur. Elle symbolise l’autorité du ministère pastoral, ministère de la Parole.

La centralité de la prédication

Toute autre activité de la vie de l’Église doit être subordonnée à cette tâche principale et essentielle de l’enseignement fidèle de l’Écriture Sainte. Ou plus exactement, toutes ces activités annexes doivent être comprises comme des prolongations du ministère de la prédication.

Les visites pastorales par exemple, permettent au pasteur d’appliquer l’enseignement de la Parole de Dieu du haut de la chaire le dimanche, aux situations particulières qui sont celles des fidèles, durant la semaine.

Il en va de même pour ce qui est de la catéchèse, que cela soit des jeunes enfants, des adolescents, ou des adultes.

Idem pour la discipline ecclésiastique, qui doit être exercée, de manière conjointe, par les anciens de l’Église (voir plus loin la Confession de Foi de La Rochelle).

Idem pour le diaconat. Fait significatif, dans le livre des Actes des Apôtres il est clairement dit que le ministère diaconal a été mis en place pour permettre aux pasteurs (dans le contexte, aux apôtres) de se consacrer à leur charge principale qui est « le service de la parole ».

1 En ces jours-là, comme les disciples se multipliaient, les Hellénistes murmurèrent contre les Hébreux, parce que leurs veuves étaient négligées dans le service quotidien. 2Les douze convoquèrent alors la multitude des disciples et dirent : Il ne convient pas que nous délaissions la parole de Dieu pour servir aux tables. 3C’est pourquoi, frères, choisissez parmi vous sept hommes, de qui l’on rende un bon témoignage, remplis de l’Esprit et de sagesse, et nous les chargerons de cet emploi. 4Pour nous, nous persévérerons dans la prière et dans le service de la parole.

Actes 6.1-4

En résumé, l’accompagnement pastoral, sous toutes ses formes, est une prolongation du ministère de la Parole et des Sacrements.

Jean-Jacques Von Allmenn

Le saint ministère selon la conviction et la volonté des Réformés du XVIe siècle (1 janvier 1968). Un ouvrage incontournable !

Le théologien Suisse Jean-Jacques Von Allmen, qui a consacré un livre entier sur le sujet, dit fort justement ceci, sur le caractère unique et irremplaçable du ministère pastoral :

« Il y a donc dans l’Église, après les Apôtres, un seul ministère qui puisse se réclamer d’institution divine et de succession apostolique : le ministère de la Parole, des sacrements et de la discipline, quel que soit par ailleurs le titre que l’on donne à celui qui l’exerce. »

Jean-Jacques von Allmen , Le saint ministère selon la conviction et la volonté des réformés du XVIe siècle, Neuchâtel, 1968, p. 36.

Ailleurs il dit ceci :

« C’est pourquoi toutes les Confessions de Foi, indirectement parfois, mais d’ordinaire très directement, consacrent au ministère des développements qui montrent combien celui-ci n’est pas un adiaphoron, mais au contraire un élément constitutif de l’Église. […] Le ministère fait partie de l’esse de l’Église. »

Ibid., pp. 11-12.

Notez bien la différence entre ce qui relève de l’esse de l’Église, de son essence, et ce qui relève de son bene esse, de son bien-être, et qui n’est donc pas rigoureusement indispensable, et qui peut varier en fonction des circonstances de temps et de lieux.

Le mot adiaphoron signifie « les choses indifférentes ». Il s’agit à l’origine d’un concept stoïcien utilisé pour indiquer les choses neutres moralement, c’est-à-dire les choses qui ne sont ni prescrites ni interdites.

Le ministère pastorale relève de l’essence de l’Église : pas de ministère pastoral, pas d’Église !

Un pasteur du Désert, après la révocation de l’Édit de Nantes.

Nos Confessions de Foi

Cette affirmation fondamentale est attestée très clairement par les Confessions de Foi de la Réforme. Pour n’en mentionner que deux, voici ce que dit la Seconde Confession Helvétique (rédigée par Heinrich Bullinger), ainsi que la Confession de Foi de La Rochelle, qui est de la plume de Calvin :

Dieu a toujours employé des ministres pour rassembler ou établir son Église, pour la gouverner et la conserver. Il fait de même aujourd’hui encore, et il agira ainsi aussi longtemps que l’Église sera sur la terre. L’origine, l’institution et les fonctions des ministres sont donc anciennes ; elles remontent à Dieu lui-même et non à une institution nouvelle ou humaine.

Dieu est certes capable, dans sa puissance, de rassembler une Église sans aucun moyen, mais il préfère agir à travers et par le ministère des hommes. Aussi les ministres ne doivent-ils pas être considérés pour eux-mêmes, mais comme des instruments par lesquels Dieu réalise le salut des hommes. Par conséquent, nous avertissons de ne pas attribuer notre conversion et notre instruction à la seule puissance secrète du Saint-Esprit, en évacuant le ministère de l’Église. Il convient de garder constamment à l’esprit les paroles de l’apôtre : « Comment croiront-ils en celui dont ils n’ont pas entendu parler ? Et comment entendront-ils parler de lui, sans prédicateurs ? Ainsi la foi vient de ce qu’on entend, et ce qu’on entend vient de la Parole du Christ. » (Rm 10.14, 17) Ou encore, ce que le Christ a dit dans l’Évangile : « En vérité, en vérité, je vous le dis, qui reçoit celui que j’aurai envoyé me reçoit, et qui me reçoit, reçoit celui qui m’a envoyé. » (Jn 13.20) Rappelons-nous aussi les supplications du Macédonien, apparaissant dans une vision à Paul alors que celui-ci était en Asie : « Passe en Macédoine, viens à notre secours ! » (Ac 16.9) Et le même apôtre dit ailleurs : « Car nous sommes ouvriers avec Dieu. Vous êtes le champ de Dieu, l’édifice de Dieu. » (1 Co 3.9) Cependant, il faut également prendre garde de ne pas attribuer aux ministres et au ministère une importance excessive, nous rappelant les paroles du Seigneur rapportées dans l’Évangile : « Nul ne peut venir à moi, si le Père qui m’a envoyé ne l’attire » (Jn 6.44) ; et les paroles de l’apôtre : « Qu’est-ce donc qu’Apollos, et qu’est-ce que Paul ? Des serviteurs par le moyen desquels vous avez cru, selon que le Seigneur l’a donné à chacun. J’ai planté, Apollos a arrosé, mais Dieu a fait croître. Ainsi ce n’est pas celui qui plante qui est quelque chose, ni celui qui arrose, mais Dieu qui fait croître. » (1 Co 3.5-7) Nous devons donc croire que Dieu nous enseigne sa Parole extérieurement par ses ministres, et qu’il meut intérieurement le cœur des élus par le Saint-Esprit en vue de la foi. De la sorte, toute la gloire de ce bienfait doit être rapportée à Dieu seul.

Seconde Confession Helvétique, Des ministres de l’Église, de leur institution et de leurs devoirs (chapitre XVIII). C’est nous qui soulignons (en gras).

Et voici ce que dit Calvin dans la Confession de Foi de La Rochelle (1559). Il est intéressant de noter l’importance, à côté du ministère pastoral, de celui des surveillants (ou anciens ou presbytes, d’où vient le nom de système « presbytérien-synodal » pour définir l’ecclésiologie réformée), et de celui des diacres dans l’Église dont l’importance ne doit pas être négligée.

VI. L’ÉGLISE : SON ORGANISATION

29. Les ministères

Quant à l’Église véritable, nous croyons qu’elle doit être gouvernée selon l’ordre établi par notre Seigneur Jésus-Christ, à savoir qu’il y ait des pasteurs, des surveillants et des diacres, afin que la pureté de la doctrine y soit maintenue, que les vices y soient corrigés et réprimés, que les pauvres et tous les affligés soient secourus dans leurs besoins, que les assemblées se tiennent au nom de Dieu et que les adultes y soient édifiés, de même que les enfants.

Ac 6.3-4 ; 14.23 ; 1 Co 12.28 ; Ep 4.11 ; 1 Tm 3.1,8 ; 2 Tm 4.1-5 ; Tt 1.5,9. Ga 1.6-9. Mt 18.15-18 ; 1 Co 5.4-5, 11-12 ; 2 Th 3.14-15.

30. L’égalité des pasteurs

Nous croyons que tous les vrais pasteurs, en quelque lieu qu’ils soient, ont la même autorité et une égale puissance sous un seul Chef, un seul Souverain et seul Évêque universel : Jésus-Christ.

L’égalité des Églises

Pour cette raison, nous croyons qu’aucune Église ne peut prétendre sur aucune autre à quelque domination ou quelque souveraineté que ce soit.

Mt 18.2-4 ; 20.26-27 ; Lc 22.26 ; Ac 6.1-6 ; 2 Co 1.24. Es 61.1 ; Lc 4.17-21 ; Ep 1.22 ; Col 1.18 ; 1 P 2.25.

31. Les vocations

Nous croyons que nul ne peut prétendre, de sa propre autorité, à une charge ecclésiastique, mais que cela doit se faire par élection, autant qu’il est possible et que Dieu le permet.

Nous ajoutons cette restriction, en particulier parce qu’il a été parfois nécessaire – et même de notre temps ou il n’existait plus d’Église véritable – que Dieu suscitât des hommes d’une façon extraordinaire pour dresser de nouveau l’Église qui était dans la ruine et la désolation.

La vocation intérieure

Mais, quoi qu’il en soit, nous croyons qu’il faut toujours se conformer à le règle que tous, pasteurs, surveillants et diacres, soient assurés d’être appelés (par Dieu) à leur charge.

Ac 1.21-22 ; 6.3-6 ; 14.23 ; Rm 10.15 ; 1 Tm 3.7 ; Tt 1.5 ; Hé 5.4. Jr 23.21 ; Mt 28.18-19 ; Mc 16.15 ; Jn 15.16 ; Ac 13.2 ; Ga 1.15.

Confession de Foi de La Rochelle, articles 29 à 31. C’est nous qui soulignons (en gras).

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