– Article paru dans le N° 14 de la Revue HOKHMA (1980).
Par souci de pédagogie et de clarté, je vous propose de subdiviser cet article en sept parties, chacune mettant en avant une figure de la foi chrétienne historique (Saint Augustin, Jean Calvin, Guillaume Groen Van Prinsterer, etc.) ou un thème en lien avec le sujet (antithèse, philosophie réformée, etc.), afin de mieux faire ressortir l’apport de chacune de ces personnes – ou de chacun de ces thèmes – au développement du mouvement réformé de reconstruction chrétienne.
Sommaire :
- Partie 1 : Introduction et la figure de Saint Augustin, et le combat des deux Cités
- Partie 2 : La figure du théologien néerlandais Guillaume Groen Van Prinsterer (1801-1876)
- Partie 3 : La figure du théologien et homme politique néerlandais Abraham Kuyper (1837-1920)
- Partie 4 : La figure du philosophe néerlandais Herman Dooyeweerd (7 oct. 1894-12 févr. 1977) ; Le thème de l’antithèse avec Saint Augustin, Jean Calvin et Abraham Kuyper ; La philosophie réformée et la critique de la prétendue autonomie de la pensée théorique
- Partie 5 : Conclusion : La reconstruction chrétienne doit commencer par l’
É glise et se poursuivre dans tous les domaines de la vie des hommes
[Ndlr : C’est nous qui soulignons (en gras) ; titres rajoutés par nous]
C’est à une révision radicale et totale de ses modes de vie, de pensée et d’action que le peuple de Dieu est appelé en cette fin du XXe siècle. Qu’ils soient orthodoxes-orientaux, catholiques-romains ou protestants, les conservateurs attachés à leurs traditions, qui ne sont trop souvent que des habitudes ou des routines plus ou moins anciennes, et les progressistes s’accrochant à des nouveautés, qui ne sont trop souvent que des reprises de vieilles erreurs sous de nouveaux masques, doivent s’examiner eux-mêmes et accepter d’être mis en question de façon vraiment critique non pas d’abord par les accusations plus ou moins sérieuses et fondées qu’ils s’adressent les uns aux autres mais par la Vérité sûre et certaine de la Parole de Dieu incarnée qu’est le Christ de la Sainte Écriture, de la Parole de Dieu inspirée qu’est la Sainte Écriture du Christ.
Depuis trois millénaires et demi, à chaque époque critique de son histoire, le peuple de Dieu – l’Église de l’ancienne disposition qu’était Israël puis l’Israël de la nouvelle disposition qu’est l’Église – n’a connu de vrai renouveau, de vraie re-formation, qu’en revenant cordialement à cette Parole toute proche qu’il ne tient contre lui que pour être tenu par elle. La fonction prophétique véritable, depuis Moïse jusqu’aujourd’hui, a toujours été et demeure, sous l’emprise souveraine du Saint Esprit, d’appeler le peuple le Dieu, lorsqu’il erre, à revenir à la Parole de Dieu, à se laisser juger et sauver par elle, à reconnaître sa pleine autorité, à se conformer à ce qu’elle dit. Pour l’amour de Dieu !
En ces années 80 qui commencent, tout le peuple de Dieu, en toutes « dénominations », est appelé à l’œuvre de re-formation, de restauration, de reconstruction, nécessaire. Au terme d’une longue période de sécularisation universelle qui, pour l’Église, a commencé par ses pasteurs et docteurs, a généralement été une période d’apostasie (de dérapage, d’éloignement, de révolte) par rapport à la Parole de Dieu, alors qu’au bout de faux-sens et de contre-sens nous en arrivons au non-sens, le temps est venu de confesser de nouveau, en paroles et en actes, avec une pleine conviction et dans une patiente et ferme espérance, que le Règne n’appartient pas au(x) prétendu(s) « prince(s) de ce monde », ni à l’homme se voulant dieu et reniant Dieu, mais au seul Seigneur Créateur et Rédempteur qui est éternellement : le Père, le Fils et le Saint Esprit.
Il faut ajouter et préciser que l’œuvre de re-formation, de restauration, de reconstruction chrétienne à laquelle, dans le monde entier, est appelé le peuple de Dieu n’est pas seulement celle de l’Église et de la théologie, encore qu’il faille, bien sûr, commencer par celle-ci. Puisque la Parole de Dieu est souveraine, elle doit être reconnue comme telle en tout et partout. Nul n’a le droit de restreindre l’étendue de son autorité. Notre Seigneur est Roi sur tous les domaines de l’univers et de l’existence. Et si la volonté apostate de sécularisation, œuvrant en tout et partout, a visé et vise à rejeter la souveraineté de Dieu jusque dans l’Église et la théologie, la volonté obéissante de christianisation, œuvrant en tout et partout, doit viser à ce que soit manifestée la souveraineté de Dieu jusqu’aux extrémités de l’univers et jusque dans la moindre parcelle de l’existence. La parole du Christ ressuscité à ses disciples est imprescriptible dans son affirmation, dans son commandement et dans sa promesse : « Toute autorité m’a été donnée dans le ciel et sur la terre. Allez. Faites de toutes les nations des disciples. Baptisez-les au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit, et enseignez-leur à garder tout ce que je vous ai prescrit. Et voici : Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde ».[1]
Il y a donc depuis la Chute[2] et plus encore depuis qu’est venu Jésus-Christ[3] antithèse, opposition, conflit spirituel universel et permanent[4] entre la Cité de ce siècle(Babel, Babylone ; de la Genèse à l’Apocalypse) qui, pour s’exalter orgueilleusement et stupidement elle-même, prétend s’arracher et tout arracher à la souveraineté de Dieu et de sa Parole, et la Cité de Dieu[5] (Salem, Jérusalem, la nouvelle Jérusalem ; de la Genèse à l’Apocalypse) qui, dans la foi, l’espérance et l’amour, se réjouit, dans la louange eucharistique, jusque sous la persécution, de la totale souveraineté de Dieu et de Sa Parole.
Notre Seigneur, par son Esprit agissant par et avec ce que dit – Parole de Dieu ! – la Sainte Écriture, veut régner de telle manière efficace, particulière, intime, sur les siens qu’Il régénère, justifie, sanctifie et fait persévérer, que tout ce qu’ils pensent, tout ce qu’ils font, tout ce qu’ils sont ici-bas – dans l’Église comme dans l’État, dans le célibat comme dans le mariage, dans leur vie familiale et professionnelle comme dans leurs recherches philosophiques, scientifiques, artistiques ou techniques, bref : en toutes choses – soit pour la gloire de Dieu[6], dans un mouvement progressif, continuellement repris, de repentance et de foi obéissante et aimante. C’est dire que la Parole-Loi de Dieu, la Parole-Directives de Dieu, toujours reçue comme Évangile, comme Nouvelle de grâce, leur est en toutes choses lumière et règle puisqu’elle exprime la Morale et le Droit véritables pour toute l’existence, personnelle et sociale, des hommes.
Dans son essai magistral d’une philosophie chrétienne de l’histoire, le De Civitate Dei (composé de 412 à 426, peu après la prise de Rome – 410 – par les Goths d’Alaric), Saint Augustin a su mettre en évidence ce terrible combat des deux Cités (celle de « ceux qui aiment Dieu jusqu’au mépris d’eux-mêmes » et celle de « ceux qui s’aiment eux-mêmes jusqu’au mépris de Dieu »).
Par ce combat, le Dieu trinitaire souverain, conformément à son dessein éternel et immuable, démontre et déploie historiquement tout ensemble sa justice et sa miséricorde. Le moment initial de ce combat se situe dès après l’apostasie originelle du genre humain, avec Adam et Eve, en Eden. Le moment central et décisif de ce combat se situe en Palestine, dans les trois premières décennies de notre ère, qui est la dernière de l’histoire – contrairement à un lieu commun transitoire, il n’y a pas, et il n’y aura pas, d’ère « post-chrétienne » ! -, lorsque le Fils éternel de Dieu, incarné, a vaincu une fois pour toutes l’Adversaire – très précisément : lors de ses tentations, de sa passion, de sa mort sur la croix, de sa résurrection corporelle. Pour les siens. A leur place. Pour leur salut. Le moment final de ce combat se situe lors du retour en gloire du même Jésus-Christ ; lors de la résurrection des morts et du jugement dernier. Dans les « derniers jours » où nous sommes, entre sa première Venue et sa Venue en gloire, notre Seigneur, présentement, « à la droite de Dieu », accorde aux siens, par l’Esprit qui procède du Père et qu’Il leur envoie, toutes les richesses intrinsèques de sa victoire, merveilleusement antécédente aux combats conséquents qu’ils doivent encore poursuivre[7]. Dans l’Église. Et en tous domaines. Jusqu’à ce qu’Il vienne.
Notes de bas de page :
[1] Mt 28.20.
[2] Gn 3.15.
[3] 2 Th 2.7.
[4] Ep 6.10-18.
[5] Ps 87.3 et Hb 12.22.
[6] 1 Co 10:31.
[7] Rm 8.28-39.
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