5 sola

A propos des cinq Sola de la Réforme – Vincent Bru

Il ne faut pas se méprendre sur le sens à donner au mot « sola ».

L’Écriture seule ne signifie pas qu’il faille accorder à l’individu une espèce de blanc-seing comme si tout protestant était un pape la Bible à la main… autorisé à toutes sortes d’interprétations, même les plus fafelues, comme on le voit trop souvent, sous prétexte que « c’est écrit ! » et sous prétexte du « libre examen » (Ah ! ce fameux libre examen !).

Car qu’est-ce qui est écrit vraiment ? L’interprétation est une science difficile dès lors que l’on entre dans les détails. Quand les Réformateurs parlent de la clarté de l’Écriture (claritas), c’est sur les points essentiels, sous-entendu essentiels pour le salut, pas sur les sujets plus pointus (car il y en a, et pas qu’un peu !)

Vous avez dit Magistère ?

Alors au 16e siècle, il y avait des catéchismes, des confessions de foi, afin de normer tout cela, d’orienter les fidèles dans leur lecture personnelle de la Bible : Confession de La Rochelle, Catéchisme de Heidelberg, Canons de Dordrecht (les Trois Formules d’Unité).

Il ne faut pas penser que seule l’Église de Rome dispose d’un Magistère. C’est faux !

Les Églises de la Réforme ont longtemps tenues la barre de l’orthodoxie théologique et doctrinale très haut, aussi longtemps qu’elles n’ont pas cédé aux sirènes trompeuses du modernisme – ou relativisme, ces deux mots sont interchangeable… – et à la tentation du pluralisme.

Le pluralisme signe l’arrêt de mort de l’orthodoxie. Il présuppose l’absence quasi totale de normes (sinon en théorie, du moins dans la pratique, et avec le temps), de règles, d’absolus susceptibles de lier la conscience de tous les fidèles, sans exception. Il ouvre la porte au relativisme théologique et éthique. C’est une forme d’anti-nomisme au fond (de anti, contre, et nomos, la Loi), qui est une fausse compréhension du rapport entre la grâce et les œuvres, entre l’Évangile (ce que Dieu a fait pour nous) et la Loi (ce qu’il attend de nous), entre les promesses et les commandements.

Le pluralisme peut se réduire en une seule formule : « La vérité c’est la subjectivité », formule attribuée au philosophe existentialiste danois Soeren Kierkegaard.

L’orthodoxie présuppose l’objectivité de la vérité, et l’objectivité de la vérité présuppose que Dieu ait parlé, de manière infaillible, dans les catégories du langage humain, dans la Sainte Écriture. Ce que nous croyons fermement !

Il faut rappeler ici, au cas où le doute subsisterait, que le sacro-saint principe du pluralisme n’est pas un dogme protestant ! On ne le trouve nulle part sous la plume des Réformateurs. Il faut bien dire ce qui est.

On parle des cinq sola, mais le pluralisme n’en fait pas partie.

Une fois que l’on a énuméré les cinq sola, il n’y a pas de place pour un sixième principe qui serait, nous dit-on, un essentiel du protestantisme. C’est tout simplement faux, historiquement, et théologiquement.

Et cela n’est pas négociable.1

Écriture et Tradition

Sola Scriptura ne veut pas dire non plus absence de Tradition !

On doit établir une hiérarchie, un ordre de préséance entre les deux, mais l’une n’exclut pas l’autre. Il s’agit d’ajouter foi à la Tradition qui découle du Texte biblique, qui puise sa sève dans le Texte biblique, dont la source même est le Texte biblique.

La Tradition est norme normée (normae normatae) mais norme tout de même.

Les confessions de foi ne sont pas faites pour les chiens !

Sola Scriptura veut surtout dire l’Écriture d’abord ! On pourrait peut-être d’ailleurs remplacer le mot « seul » par « d’abord » ? Cela ne serait peut-être pas si bête… Seul ne veut pas forcément dire « à l’exclusion de » : Bible et Tradition se donnent la main, mais la Bible seule est véritablement la Parole de Dieu revêtue, au même titre que Dieu lui-même, du caractère de l’infaillibilité (doctrine de l’inerrance).

L’Écriture seule est norme normante (norma normans). Il faut donc examiner la Tradition à la lumière de cette norme ultime, toujours, sans cesse : semper reformanda !

Le hiatus avec l’Église de Rome se trouve précisément ici, sur le rapport entre l’Écriture et la Tradition.

Accorder à un magistère humain – fut-ce celui de Rome – le même statut d’infaillibilité qu’à l’Écriture Sainte est un pari fort risqué, car comment alors revenir sur ce qu’enseigne le magistère et le critiquer tandis qu’il peut sembler légitime de le faire ?

Il faut préciser ici qu’il ne s’agit pas seulement de la question du « libre examen », car il ne saurait être question d’accorder à un seul individu le droit de contester la légitimité de tels ou tels dogmes, mais bien d’un consensus qui peut finir par se dégager, comme au temps de la Réformation, entre théologiens de renom, dont l’autorité en la matière est reconnue par tous – ou un grand nombre en tout cas.

Nous avons conscience que ce point précis mérite d’être développé, car l’absence d’un magistère unique en protestantisme ne peut que susciter des questionnements sur la possibilité même pour celui-ci d’être pratiqué sur le long terme, en lien avec l’unité de l’Église. Rome semble à cet égard avoir un point d’avance sur nous… Car nul ne peut contester l’unité intrinsèque, institutionnelle de cette Église, tandis que les divisions au sein du protestantisme sont, hélas ! une réalité criante.

Peut-on s’en sortir simplement en parlant des forces et des faiblesses de chacune de ces deux confessions, selon l’argumentation bien « à la mode de chez nous » ? Je n’en suis pas si sûr, personnellement.

C’est trop facile de se réfugier, comme on le fait en général, quasi systématiquement, derrière la notion d’Église invisible… Beaucoup trop facile. Il faut mener cette réflexion avec courage. Autrement, ce serait quasiment un aveu d’échec que de ne pas y répondre avec tout le sérieux que cela demande.

Jésus-Christ n’a-t-il pas exprimé on ne peut plus clairement ce vœux quand il a dit : « Qu’ils soient uns, comme nous sommes uns » (Jean 17) !

L’unité de l’Église n’est pas une option.

Mon regretté maître Pierre Courthial, dans son article remarquable sur le dialogue entre protestants et catholiques romains, rappelle avec insistance que ce souci d’unité institutionnelle et théologique était bel et bien partagé par les Réformateurs et qu’il existe un texte, en particulier, qui en fait état. Je veux parler de la confession luthérienne d’Augsbourg (1530), sur laquelle s’est accordée toute la Réformation. Cela n’est pas rien !

Et le Tota Scriptura !

Il faut aussi conjoindre le Sola Scriptura avec le Tota Scriptura, autrement cela ne veut rien dire du tout.

Les libéraux, par exemple, se réclament volontiers du Sola Scriptura, mais quand est-il du Tota Scriptura, toute l’Écriture ? Dans les faits, ils se retrouvent toujours, pour finir, à l’instar de leur maître gnostique Marcion, avec une « petite Bible », taillée à leur image, après en avoir arraché les pages qui, disent-ils, ne « conviennent pas, ou plus, ou plus assez à la mentalité de l’homme moderne » forcément plus évolué, plus sage, plus mature, plus rigoureux dans son raisonnement, plus rationnel que ceux qui étaient là avant. Les pauvres ! S’ils avaient su que leur état d’aveuglement dû à l’évolution de la pensée et aux accidents de l’histoire, pouvait à ce point-là les empêcher d’avoir accès à la Lumière à laquelle seule cette élite auto-proclamée des théologiens rationalistes ont accès aujourd’hui, enfin ! Pensez donc ! Après tous ces siècles de superstitions folles !

Le Tota Scriptura consiste à recevoir la Parole de Dieu dans sa Totalité selon le principe de l’analogie de la Foi (Fides quarens intellectum, la foi en quête d’intelligence ; « Crois pour comprendre ! » (selon la démarche épistémologique d’un Saint Augustin et d’un Saint Anselme). Il s’agit donc de faire de la Bible une lecture qui soit véritablement « catholique », selon le tout, le tout de la Parole de Dieu, dans le cadre de la Tradition à laquelle on appartient : les Trois Formules d’Unité pour les réformés français que sont la Belgica, et pour la France la Confession de La Rochelle (ou Gallicana), le Catéchisme de Heidelberg et les Canons de Dordrecht.

La catholicité de l’Église permet de se prémunir du sectarisme et de l’individualisme relativiste qui sont une vraie plaie aujourd’hui, notamment en protestantisme.

Catholique réformé !

Une Église véritablement réformée se doit d’être catholique, autrement c’est qu’elle n’est tout simplement pas réformée…

Le contraire du mot catholique, d’ailleurs, c’est le mot hérésie, qui consiste à choisir dans la révélation ce qui peut être légitimement maintenu, et ce qui doit être écarté. Quel orgueil en réalité ! N’y a-t-il pas là l’attitude pécheresse du premier Adam cherchant à être comme Dieu, en mangeant de l’arbre de la connaissance du bien et du mal ? « Dieu a-t-il réellement dit ? » Jusqu’à se persuader que Dieu n’a rien dit ? Ou que ce qu’il a dit n’est pas vraiment ce qu’il a voulu dire ? Regardez ce qui se passe dans les synodes aujourd’hui… Tant de décisions prises en mettant la Bible de côté (allusion à un certain synode de Sète ?!), sous le fallacieux prétexte d’une herméneutique dynamique en phase avec les prétendues évolutions sociétales de notre temps. Alors que reste-t-il du Sola Scriptura et du Tota Scriptura de la Réforme ici ? Plus grand-chose en réalité.

Quid du Sola Gracia ? La grâce seule. La suite au prochain épisode…

Pasteur Vincent Bru

  1. A ce propos le Pasteur Pierre Courthial dit fort justement : « La confession de LA FOI a toujours été, et demeure, la première mission de l’Église (« notre Mère », disait Calvin, Inst. Chrét. IV.1.1 et 4) et des fidèles. Et, puisque la Foi de l’Église et de ses fils et filles est une (Ep 4.5), le pluralisme est, principiellement, en contradiction avec la confession de la Foi, et, par conséquent, avec les confessions de foi historiques fidèles à l’Écriture, même s’il « se réfère » à elles, ce qui n’engage pas à grand chose. » (La Foi Réformée en France, p. 9) Et encore : « Il convient de bien distinguer pluralisme et pluralité. La pluralité est non seulement conciliable avec l’unité, mais elle est constitutive de celle-ci ; exactement comme l’unité est constitutive de la pluralité (…) Le pluralisme, à l’inverse, tend toujours à détruire la vraie unité plurielle parce qu’il veut mêler en une pseudo-unité non pas des complémentaires divers, cohérents et homogènes, mais des contradictoires, incohérents et hétérogènes. » (Ibid., pp. 9s) – Voir de même à ce sujet : Controverse au sujet du pluralisme doctrinal (Daniel Bergèse). ↩︎

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