5 sola

À propos des cinq Sola de la Réforme – Vincent Bru

La Réformation — ou Re-formation plutôt1 — du 16ᵉ siècle s’est articulée autour de cinq grands principes, sur lesquels toutes les églises protestantes, par-delà leurs différences, s’accordent — du moins en théorie. Il s’agit des cinq Sola de la Réforme, qui est un mot latin qui en français se traduit par « seul » ou « seule ».

Sola Scriptura : l’Écriture seule

Sola Gracia : la Grâce seule

Sola Fide : la Foi seule

Solus Christus : le Christ seul

Soli Deo Gloria : la Gloire de Dieu seule

Qu’en est-il du premier de ces cinq principes, qui commande tous les autres — ce n’est pas pour rien qu’il est placé en premier dans la liste : le Sola Scriptura ?

Il ne faut pas se méprendre sur le sens à donner au mot « Sola ».

L’expression « Écriture seule » ne veut certainement pas dire que le protestantisme accorde à l’individu croyant une sorte de « blanc-seing », d’infaillibilité, comme si tout protestant était un pape la Bible à la main — selon la formule du vers de Boileau2 —, autorisé à toutes sortes d’interprétations, sous le prétexte du « libre examen ».

L’interprétation est une science difficile dès lors que l’on entre dans les détails du texte biblique. Cela relève de la science théologique et exégétique, et cela n’est pas donné à tout le monde. Quand les Réformateurs évoquaient le principe de la clarté de l’Écriture (claritas), c’était sur les points essentiels de la Foi — essentiels pour le salut —, et non pas sur les sujets plus pointus, qui nécessitent un minimum de formation académique, et qui doivent être débattus entre théologiens.

Vous avez dit Magistère ?

Il faut rappeler ici qu’au 16ᵉ siècle, il y avait des catéchismes, des confessions de foi, afin de guider et d’orienter les fidèles dans leur lecture personnelle de la Bible : la Confessio BelgicaLa Rochelle pour la France —, le Catéchisme de Heidelberg, les Canons de Dordrecht — les Trois Formules d’Unité —, pour n’en mentionner que trois.

Il est exagéré de dire, comme l’affirme le protestantisme libéral, que seule l’Église de Rome dispose d’un Magistère. Les Églises de la Réforme ont longtemps tenu la barre de l’orthodoxie théologique et doctrinale très haut, aussi longtemps qu’elles n’ont pas cédé aux sirènes du modernisme — ou du relativisme, ces deux mots sont interchangeables — et à la tentation du pluralisme. Ce n’est pas sans raison que l’on parle de la Réforme magistérielle !

Le pluralisme s’oppose à l’orthodoxie. Il présuppose l’absence de normes — sinon en théorie, du moins dans la pratique —, de règles, d’absolus susceptibles de lier la conscience de tous les fidèles. Il ouvre la porte au relativisme théologique et éthique. C’est une forme d’anti-nomisme au fond — de anti, contre, et nomos, la Loi —, qui est une fausse compréhension du rapport entre la grâce et les œuvres, entre l’Évangile — ce que Dieu a fait pour nous — et la Loi — ce qu’il attend de nous —, entre les promesses et les commandements.

Le pluralisme relativise les formules doctrinales : « La vérité, c’est la subjectivité » — formule attribuée au philosophe existentialiste danois Søren Kierkegaard.

L’orthodoxie en revanche présuppose l’objectivité de la vérité, et l’objectivité de la vérité présuppose que Dieu ait parlé, de manière infaillible, dans les catégories du langage humain, dans la Sainte Écriture. Ce que nous croyons fermement !

Il faut rappeler ici que le sacro-saint principe du pluralisme n’est pas un dogme protestant ! On ne le trouve nulle part sous la plume des Reformateurs. On parle des cinq sola, et le pluralisme n’en fait pas partie.3

Écriture et Tradition

Sola Scriptura ne veut pas dire non plus absence de Tradition !

On doit établir une hiérarchie, un ordre de préséance entre les deux, mais l’une n’exclut pas l’autre. Il s’agit d’ajouter foi à la Tradition qui découle du Texte biblique, qui puise sa sève dans le Texte biblique, dont la source même est le Texte biblique.

La Tradition est norme normée — normae normatae mais norme tout de même.

Sola Scriptura veut surtout dire l’Écriture d’abord ! On pourrait peut-être d’ailleurs remplacer le mot « seul » par « d’abord » ? « Seul » ne veut pas dire « à l’exclusion de » : Bible et Tradition marchent main dans la main, mais la Bible seule est véritablement la Parole de Dieu revêtue, au même titre que Dieu lui-même, du caractère de l’infaillibilité — en théologie, on parle de l’inerrance de la Bible, le fait qu’elle soit sans erreurs, et qu’elle communique infailliblement la pensée de Dieu dans le langage humain.

Pour le dire autrement, l’Écriture seule est norme normante (norma normans). Il faut donc examiner la Tradition à la lumière de cette norme ultime, toujours, sans cesse : semper reformanda !

Le hiatus avec l’Église de Rome se trouve précisément ici : le rapport entre l’Écriture et la Tradition.

Accorder à un magistère humain — fut-ce celui de Rome — le même statut d’infaillibilité qu’à l’Écriture Sainte, est un pari fort risqué, car comment alors revenir sur ce qu’enseigne ce magistère et le critiquer tandis qu’il peut sembler légitime de le faire ?

Il faut préciser ici qu’il ne s’agit pas seulement de la question du « libre examen », parce qu’il ne saurait s’agir d’accorder à un seul individu le droit de contester la légitimité de tels ou tels dogmes, de telles ou telles pratiques dans l’Église. Il s’agit plutôt d’une espèce de consensus qui peut finir par se dégager, comme au temps de la Reformation, entre théologiens dont l’autorité en la matière est reconnue. N’est pas Réformateur qui veut !

L’absence d’un magistère unique en protestantisme rend la possibilité même d’une unité institutionnelle de l’Église plus difficile, il est vrai. Tandis que nul ne peut contester l’unité de l’Église de Rome, tandis que les divisions au sein du protestantisme sont une réalité criante.

On pourrait être tenté de se réfugier, comme on le fait trop souvent, derrière la notion d’Église invisible. Mais cela est beaucoup trop facile. Il faut mener cette réflexion de l’unité de l’Église avec courage. Autrement, cela serait quasiment un aveu d’échec que de ne pas y répondre avec tout le sérieux que cela demande.

Jésus-Christ n’a-t-il pas exprimé ce vœu quand il a dit : « Qu’ils soient un, comme nous sommes un » (Jean 17) !

L’unité de l’Église n’est pas une option.

Mon regretté maître Pierre Courthial, dans son article remarquable sur le dialogue entre protestants et catholiques romains, rappelle avec insistance que ce souci d’unité institutionnelle et théologique était bel et bien partagé par les Reformateurs et qu’il existe un texte, en particulier, qui en fait état. Je veux parler de la confession d’Augsbourg (1530), sur laquelle s’est accordée toute la Reformation. Cela n’est pas rien !

Et le Tota Scriptura !

Il faut conjoindre le Sola Scriptura avec le Tota Scriptura, autrement cela ne veut rien dire du tout.

Le protestantisme libéral, par exemple, se réclame volontiers du Sola Scriptura. Mais qu’en est-il du Tota Scriptura, toute l’Écriture ? La question mérite d’être posée quand on voit la façon dont celui-ci traite le texte biblique dont l’autorité est si facilement contestée.

Le Tota Scriptura consiste à recevoir la Parole de Dieu dans sa totalité, selon le principe de l’analogie de la foi : Fides quarens intellectum, la foi en quête d’intelligence ; « Crois pour comprendre ! », selon la démarche épistémologique d’un saint Augustin et d’un saint Anselme. Il s’agit donc de faire de la Bible une lecture qui soit véritablement « catholique », c’est-à-dire selon le tout, le tout de la Parole de Dieu.

La catholicité de l’Église permet de se prémunir du sectarisme et de l’individualisme relativiste qui sont une vraie plaie aujourd’hui, notamment en protestantisme.

Catholique réformé !

Une Église véritablement réformée se doit d’être catholique, autrement, c’est qu’elle n’est tout simplement pas réformée.

Le contraire du mot catholique, d’ailleurs, c’est le mot hérésie, qui consiste à choisir dans la révélation ce qui peut être légitimement retenu ou maintenu, et ce qui doit être écarté. Quel orgueil en réalité ! N’y a-t-il pas là l’attitude pécheresse du premier Adam cherchant à être comme Dieu, en mangeant de l’arbre de la connaissance du bien et du mal ? « Dieu a-t-il réellement dit ? » Jusqu’à se persuader que Dieu n’a rien dit ? Ou que ce qu’il a dit n’est pas vraiment ce qu’il a voulu dire ? Trop de décisions synodales sont aujourd’hui prises en mettant la Bible de côté dans bon nombre d’Églises historiques, souvent sous le fallacieux prétexte d’une herméneutique dynamique en phase avec les prétendues évolutions sociétales de notre temps.

Alors que reste-t-il ici du Sola Scriptura et du Tota Scriptura de la Reforme ? Plus grand-chose en réalité.

Pasteur Vincent Bru

  1. Pierre Courthial insiste beaucoup sur ce point dans son livre Le jour des petits recommencements parru aux éditions de l’Âge d’Homme. Les mots « Réforme » et « Réformation » ont une signification ambiguë. L’intention de Luther et de Calvin était de remettre l’Église sur la forme de l’Écriture Sainte ; il fallait que l’Église retrouve sa forme originelle. L’image ici est celle d’un chapeau qui a été déformé et que l’on remet sur le moule pour qu’il reprenne sa forme d’origine. ↩︎
  2. « Tout protestant fut pape, une bible à la main. » C’est par ces mots ironiques et maintes fois répétés que Boileau devait stigmatiser, dans la XIIe Satire publiée à la fin des années 1660, ce que la littérature controversiste catholique n’avait cesse de répéter depuis des décennies, à savoir que le protestantisme, en libérant l’accès individuel à l’Écriture, avait conféré à chaque croyant le droit d’interprétation que Rome réservait à la seule Église. Voir : https://books.openedition.org/pur/157562?lang=fr ↩︎
  3. À ce propos, le Pasteur Pierre Courthial dit fort justement : « La confession de LA FOI a toujours été, et demeure, la première mission de l’Église (« notre Mère », disait Calvin, Inst. Chrét. IV.1.1 et 4) et des fidèles. Et, puisque la Foi de l’Église et de ses fils et filles est une (Ep 4.5), le pluralisme est, principiellement, en contradiction avec la confession de la Foi, et, par conséquent, avec les confessions de foi historiques fidèles à l’Écriture, même s’il « se réfère » à elles, ce qui n’engage pas à grand-chose. » (La Foi Réformée en France, p. 9) Et encore : « Il convient de bien distinguer pluralisme et pluralité. La pluralité est non seulement conciliable avec l’unité, mais elle est constitutive de celle-ci ; exactement comme l’unité est constitutive de la pluralité (…) Le pluralisme, à l’inverse, tend toujours à détruire la vraie unité plurielle parce qu’il veut mêler en une pseudo-unité non pas des complémentaires divers, cohérents et homogènes, mais des contradictoires, incohérents et hétérogènes. » (Ibid., pp. 9s) — Voir de même à ce sujet : Controverse au sujet du pluralisme doctrinal (Daniel Bergèse). ↩︎

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