Article tiré de Fondements pour l’Avenir, Aix-en-Provence, Ed. Kerygma, 1982
I. – INTRODUCTION
1. « ECCLESIA MILITANS ET QUAERENS »
Tout chrétien, en quelque époque ou période qu’il vive, est en plein combat spirituel. Il lui est commandé de veiller et de lutter sans cesse. Il lui est interdit de dormir puisqu’aussi bien, dans la communion des saints qu’est l’Église, il doit bâtir et attendre l’apparition en gloire du Christ Jésus qui vient.
L’Église est toujours Ecclesia militans, Église combattante.
Tout chrétien, ainsi engagé dans le combat spirituel, doit obstinément chercher et rechercher la volonté de Dieu : prier, sonder les Écritures, discerner les « signes du temps », ces signes que Dieu fait aux siens dans » cette « situation historique où il les appelle à vivre.
L’Église combattante est toujours Ecclesia quaerens, Église cherchante.
En cette seconde moitié du XXe siècle, derrière les mouvements économiques, sociaux, scientifiques, politiques et culturels qui animent et transforment l’univers, des « puissances » endormies ou qu’on croyait mortes se réveillent, d’autres « puissances » apparaissent ; le conflit spirituel se modifie, s’approfondit, s’amplifie.
Aussi sommes-nous tenus, malgré l’urgence du combat, ou plutôt à cause d’elle, de prendre un temps de réflexion sur tel ou tel aspect de la situation présente et mouvante ; non pas pour nous mettre à l’abri mais afin d’assumer plus lucidement notre place et notre part dans le combat.
Ainsi devons-nous réfléchir, protestants, au dialogue avec le catholicisme romain, aux questions qui nous sont posées par l’existence, l’actualité, et l’interpellation de l’Église romaine, cette ancienne et nombreuse Église si remuée aujourd’hui, comme d’autres, plus que d’autres même, tant par les courants humains et les « puissances » de ce siècle que par l’Esprit du Dieu vivant.
Le fait remarquable est que, depuis des années, le « dialogue » est de plus en plus poursuivi et nourri entre protestants et catholiques-romains, ce qu’a illustré vivement la présence d’observateurs protestants au Concile du Vatican.
2. LE DIALOGUE AVEC CEUX DU DEHORS ET CEUX DU DEDANS
Les chrétiens sont, par vocation, des « gens de dialogue ». D’où leur vient cet impératif ? De l’ordre répété de Jésus aux siens, d’annoncer l’évangile. S’adressant, de la part du Seigneur, à tous les chrétiens, l’apôtre Pierre écrit :
« Vous êtes une race élue, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple acquis, afin que vous annonciez les vertus de Celui qui vous a appelés des ténèbres à son admirable lumière. »
1 Pierre 2.9
Cette « annonciation », nouveauté pour ceux du dehors, rappel pour ceux du dedans, est à la fois imposée à la communauté des croyants, à l’Église, au Corps, et à chacun des croyants, à chaque fidèle de l’Église, à chaque membre du Corps. Comme le dit encore, de la part de Dieu, le même apôtre Pierre :
« Sanctifiez dans vos cœurs Christ le Seigneur, étant toujours prêts à vous défendre, avec douceur et respect, devant quiconque vous demande raison de l’espérance qui est en vous. »
1 Pierre 3.15
Cette annonciation de l’Évangile, cette défense de la foi, cette raison-à-donner de l’espérance, qui nous sont ordonnées, comprennent inévitablement la vocation à un double dialogue : le dialogue avec ceux du dehors, le dialogue avec ceux du dedans.
Il nous faut dialoguer, nous entretenir, avec ceux du dehors, quels qu’ils soient.
En effet, nous ne devons pas « plaquer » notre annonciation de l’évangile sur les non-chrétiens, oubliant, d’une part, que nous ne pourrons pas, nous chrétiens, avec une assurance orgueilleuse, juger les cœurs et regarder les autres comme d’en-haut, de la place de Dieu, d’autre part, que nous sommes, nous chrétiens, encore en grande part des non-chrétiens, n’ayant jamais en nous, ici-bas, qu’un petit commencement d’obéissance, et participant encore, alors même que nous luttons contre eux, à tous les courants apostats de notre temps. Le dialogue avec ceux du dehors est, en un sens certain, un dialogue avec nous-mêmes. La ligne de front que tient victorieusement la Parole de Dieu ne passe pas tellement ni seulement entre les chrétiens et les non-chrétiens qu’en nous-mêmes, qu’à l’intérieur de chacun de nous.
Il nous faut dialoguer, nous entretenir, avec ceux du dedans.
En effet, la communauté des croyants ne repose pas et ne peut pas reposer sur elle-même. Elle a trouvé Jésus-Christ comme son unique consolation, ou plutôt Jésus-Christ l’a cherchée et trouvée en la rassemblant de tout le genre humain. Encore ne cesse-t-elle de rechercher sa fidélité à Jésus-Christ en qui seul elle a son repos.
Nous pouvons et nous devons nous entraider, en tant qu’Ecclesia militans, Église combattante, en tant qu’Ecclesia quaerens, Église cherchante. Et c’est dans la perspective de cette Église combattante et cherchante qui a pour mission d’annoncer les vertus de Celui qui appelle des ténèbres à sa lumière que nous avons vocation au dialogue entre nous, chrétiens.
3. LE DIALOGUE ENTRE PROTESTANTS ET CATHOLIQUES ROMAINS
Qu’en est-il de notre vocation au dialogue, à nous fils de la Réformation, avec le catholicisme romain ?
Le fait est qu’aucune Église particulière ou confessionnelle n’a le droit de prétendre, soit qu’elle ne comprend que des croyants, soit qu’elle comprend tous les croyants.
L’Église combattante et cherchante du Seigneur ne peut être purement et simplement identifiée à une Église particulière ou confessionnelle. Elle ne peut non plus être exclue d’une Église particulière ou confessionnelle quelle qu’elle soit, si elle est trinitaire et reçoit l’Écriture Sainte comme Parole de Dieu.
D’où le problème ou mystère œcuménique. L’Église est une et doit manifester son unité ; et cependant nous voyons plusieurs Églises sur la terre.
Le fait que c’est Jésus-Christ qui construit son Église par sa Parole et par son Esprit ne fait qu’approfondir le mystère.
Puisqu’il n’y a qu’une Église, qu’un seul Seigneur pour la bâtir, pourquoi l’unicité de l’Église du seul Seigneur n’est elle pas manifestée ?
La vocation au dialogue entre chrétiens – vocation qui demeurerait même s’il n’y avait manifestement qu’une Église sur la terre – acquiert des dimensions nouvelles et se trouve devant de considérables difficultés du fait qu’il y a plusieurs Églises.
Mais, en un autre sens, cette vérité que c’est Jésus-Christ qui construit son Église à travers les siècles nous permet d’espérer contre toute espérance et de tenir bon alors même que nous sommes dans le trouble et dans le désarroi. Il faudra bien, à travers nous, malgré nous et s’il faut contre nous que tous raisonnements et toute hauteur qui s’élèvent contre la connaissance de Dieu soient renversés et que toute pensée soit amenée captive à l’obéissance du Christ (2 Corinthiens 10.5).
II. – LES CONDITIONS OBJECTIVES DU DIALOGUE
1. L’ÉCRITURE SAINTE
Au cours du dialogue, ce qui compte d’abord, pour finalement l’emporter sur tous, c’est ce que veut et dit l’unique Seigneur de la seule Église, c’est ce que l’Esprit de Dieu dit par les prophètes et les apôtres qu’il a choisis dans la Sainte Écriture.
Notre dialogue doit être « informé » par la Parole de Dieu.
La première et essentielle condition d’un vrai dialogue entre protestants et catholiques-romains, c’est que nous aimions et cherchions la vérité de la Parole de Dieu, c’est que nous connaissions et aimions l’Écriture Sainte parce qu’elle est ce qu’elle affirme être : la Parole inspirée de Dieu.
Aimer Dieu et aimer sa Parole, aimer Jésus-Christ et aimer sa Parole, aimer le Saint-Esprit et aimer sa Parole, c’est tout un.
Le Dieu vivant veille sur la Bible. Il en prend soin. Il la rappelle à l’Église et il la replace dans l’Église quand l’Église est tentée de l’oublier, de l’abaisser, de lui désobéir ou de la falsifier.
Malheur au dialogue entre protestants et catholiques-romains au cours duquel nous nous écouterions les uns les autres, avec la meilleure volonté, avec le maximum d’ouverture sans écouter d’abord, sans écouter vraiment, ensemble, pour la recevoir et la suivre, l’infaillible Parole du Seigneur.
La vérité n’est pas ce que nous disons, la vérité n’est pas ce que disent les autres, la vérité n’est pas ce que nous pouvons ou pourrions dire ensemble les uns et les autres. La vérité, c’est ce que Dieu dit, et nous n’en disons la vérité que dans la fidèle soumission à sa Parole qui est la vérité.
2. LES CONFESSIONS DE FOI
La seconde condition objective requise par le dialogue entre protestants et catholiques-romains, c’est que les protestants prenant part au dialogue sachent vraiment ce qu’est le protestantisme, et les catholiques-romains vraiment ce qu’est le catholicisme romain.
Il nous importe moins, en vue du dialogue, de savoir ce qu’a cru, pensé, enseigné, ce que croit, pense, enseigne, tel ou tel théologien, tel ou tel pasteur, tel ou tel évêque, que ce qu’affirment ou ont affirmé les Églises dans leurs confessions de foi.
Certes, les confessions de foi, œuvres humaines, n’ont pas et ne doivent pas avoir, dans l’Église et sur elle, d’autre autorité que celle fondée en la Parole de Dieu par laquelle seule elles sont et doivent toujours être éprouvées.
Il n’empêche que les confessions de foi expriment ce qui constitue une communauté chrétienne dans le service de la Parole de Dieu et des Sacrements du Christ.
Toute Église est confessionnelle et doit être confessante.
Qui veut connaître une Église doit aller à sa confession de foi, qui en est une expression fondamentale.
Dans le dialogue entre protestants et catholiques-romains, les confessions de foi ont d’autant plus d’importance, et il faut d’autant mieux les connaître, que, d’une part, nous protestants, tenons ensemble avec les catholiques-romains certaines confessions de foi œcuméniques et que, d’autre part, historiquement, c’est par rapport au catholicisme romain que les protestants, lors de la Réformation, ont confessé leur foi, et que plusieurs articles de foi catholiques-romains ont été précisés et définis, depuis la Réformation, par rapport au protestantisme.
Si nous voulons, protestants, et protestants réformés en particulier, bien savoir ce qu’est le protestantisme, il nous faut lire et bien connaître :
– d’abord certains symboles œcuméniques de la foi chrétienne : le symbole des apôtres, le symbole de Nicée-Constantinople, le symbole dit d’Athanase,
– ensuite la confession luthérienne d’Augsbourg (1530), sur laquelle s’est accordée toute la Réformation,
– enfin l’ensemble, divers et profondément un cependant, des symboles de foi réformés : la confession des Églises réformées de France, dite de La Rochelle (1559), le catéchisme de Heidelberg (1563), les XXXIX articles de l’Église d’Angleterre (1571), les articles de Dordrecht (1618-1619), la confession de Westminster (1647), la dernière et la plus élaborée.
Certes, il est impossible de se borner aux confessions de foi. Elles ne sont pas parfaites. Le progrès dans l’Église de l’examen fidèle de la Révélation biblique, sous la conduite de l’Esprit Saint, et le développement, l’approfondissement de l’expression du contenu de la foi, exigent et continueront d’exiger, leur adaptation et leur actualisation ainsi que de nouvelles confessions de foi.
Mais nous ne pouvons (nous n’avons pas le droit de) passer à côté d’elles. Elles nous ramènent d’ailleurs à ce que Dieu nous révèle par l’Écriture et nous aident à mieux écouter sa Parole, dans la communion de nos pères et de nos frères en la foi.
3. L’HISTOIRE DE L’EGLISE
Une troisième condition du dialogue, c’est que nous cherchions à connaître, autant qu’il nous sera loisible et possible, l’ensemble de l’histoire de l’Église et de sa situation présente dans le monde.
Je pense moins ici à la lecture d’histoires de l’Église qu’à celle d’œuvres ou fragments d’œuvres caractéristiques. Tout en sachant bien ce que peut avoir d’arbitraire et de contestable une telle énumération j’indique :
– parmi les œuvres très anciennes :
- la prière eucharistique de la Didaché (un des plus anciens écrits chrétiens),
- les lettres d’IGNACE D’ANTIOCHE (début du He siècle),
- le Contre les hérésies d’IRENEE DE LYON (fin du He siècle),
- les sermons de LEON LE GRAND, les Confessions et la Cité de Dieu d’AUGUSTIN (Ve siècle) ;
– parmi les œuvres médiévales :
- le Cur Deus homo, d’Anselme DE CANTORBERRY (XIe siècle),
- les sermons sur le Cantique des cantiques de Bernard DE CLAIRVAUX (XIIe siècle),
- les Fioretti de François D’ASSISE et des morceaux choisis de BONAVENTURE et de THOMAS D’AQUIN (XIIIe siècle),
- les lettres de Catherine DE SIENNE (XIVe siècle),
- l’Imitation de Jésus-Christ (XVe siècle) ;
– parmi les œuvres de la Réformation :
- les traités De la liberté chrétienne (1520) et Du serf-arbitre (1525) de Martin LUTHER,
- l’Institution chrétienne (1536-1560) de Jean CALVIN ;
– parmi les œuvres plus récentes, pour n’en citer qu’une et pour ne pas citer d’œuvres contemporaines : les Adieux, d’Adolphe MONOD (1856).
Je pense que tout protestant français doit connaître aussi par exemple les Œuvres choisies du cardinal DE BERULLE (1575-1629), les Pensées de PASCAL, certaines pages de THERESE DE LISIEUX.
Il ne fait pas de doute que la fréquentation d’œuvres d’hommes et d’époques différents peut nous en apprendre sur l’histoire de l’Église plus que ne feraient des histoires de l’Église cependant nécessaires pour nous donner certains fils conducteurs[i].
La connaissance de la situation présente de l’Église dans le monde devra comprendre celle des missions et des jeunes Églises, celle des divers mouvements œcuméniques puisqu’aussi bien c’est à l’occasion souvent de la nécessité du témoignage et des difficultés missionnaires que le dialogue entre protestants et catholiques-romains s’est trouvé hâté.
III.- LA LITURGIE
Nous allons être conduits à discerner quelles sont ce que j’appellerai les conditions subjectives du dialogue.
Mais auparavant, ou pour commencer, il nous faut considérer ce qui est à la charnière de l’objectif et du subjectif, je veux parler de la liturgie de l’Église et très précisément, pour chacun d’entre nous, de la liturgie de notre Église.
La liturgie est à la mystérieuse rencontre de l’éternité et du temps, du ciel et de la terre. Elle est aussi à la mystérieuse rencontre de la personne particulière de chacun d’entre nous (avec son propre « cœur ») et de la réalité objective et vivante de la Parole de Dieu et de l’Église de Dieu. A la Table sainte, lors de la célébration eucharistique, est scellée la rencontre du Christ, de l’Église, et du fidèle.
Nous avons parlé jusqu’ici de la Parole de Dieu révélée par l’Écriture, de la confession de foi de l’Église, et de l’Église. Dans la liturgie, ces trois réalités concernent le cœur et l’existence de chaque fidèle, manifestement. L’objectif et le subjectif s’y rencontrent. L’objectif vient briser la solitude qui dessèche pour renouveler le « cœur » personnel de chacun en l’éclairant et en le nourrissant, pour vivifier sa vraie subjectivité.
C’est pourquoi l’une des conditions du dialogue est la fidèle participation à la liturgie divine et ecclésiale.
Le protestant détaché ou coupé de la vie liturgique de la communauté dont il est membre, manquant la lecture et la prédication ecclésiales de l’Écriture-Parole de Dieu, manquant la confession ecclésiale de la foi, manquant la célébration ecclésiale des sacrements de Jésus-Christ, n’est plus éclairé, fortifié, vivifié, pour le dialogue qui l’attend et auquel Dieu l’appelle. Il n’est plus vraiment « soi-même » parce qu’il n’est plus « informé », « re-formé » par la rencontre liturgique ordonnée par Dieu. Il s’est, en quelque sorte, « ex-communié » lui-même. Il n’est plus qu’un « enfant flottant et emporté à tout vent » au lieu d’être « co-ordonné » à la Tête et au Corps de l’Église (Éphésiens 4).
IV. – LES CONDITIONS SUBJECTIVES DU DIALOGUE
Si je suis vraiment protestant, avec les convictions personnelles que cela implique, dans quelles conditions subjectives autres que celle d’être fortiter in re, vais-je et dois-je aller vers le dialogue avec le catholicisme romain et, très précisément, avec des catholiques romains ayant des convictions catholiques romaines personnelles et, donc, des convictions, sur des points importants, opposées aux miennes?
Le dialogue ne doit pas être, en effet, celui de M. X., plus ou moins protestant, avec M. Y., plus ou moins catholique-romain – dialogue qui peut avoir bien sûr ! lui aussi de l’intérêt – mais celui de protestants authentiques avec des catholiques romains authentiques.
Les convictions, surtout quand elles sont fermes, surtout quand il s’agit de convictions religieuses, ont quelque chose de fondamental au cœur et dans l’esprit et la sensibilité de l’homme. Elles sont les réalités qui lui sont le plus chères.
La rencontre – même suaviter in modo ! – de gens convaincus ne peut aller sans risques de heurts, de blessures et de souffrances.
Ces risques, il faut les courir parce qu’un dialogue qui les esquiverait ou les supprimerait, sous prétexte d’égards et de charité, s’évanouirait tout simplement.
Un vrai dialogue n’est jamais facile, tranquillisant, et confortable.
1. L’AMOUR DE DIEU ET DU PROCHAIN
A cause de ce sérieux et de ces risques, nous ne pouvons engager et poursuivre le dialogue sans un réel commencement d’amour de Dieu et du prochain, sans un réel désir de ce commencement d’amour, sans une réelle prière pour qu’il y ait ce désir, sans une réelle attente, sans une vraie demande de l’Esprit d’amour du Père et du Fils.
Nous allons forcément risquer, au cours du dialogue, d’être heurtés, d’être blessés, de souffrir. Il va donc nous falloir l’endurance, la patience de l’amour. Mais, bien plus, nous allons risquer de heurter, de blesser, de faire souffrir. Il va donc nous falloir la douceur de l’amour.
Mais nous devons bien savoir que ce n’est pas « nous » qui comptons dans ce dialogue : « nous », je veux dire notre tranquillité, notre confort, notre victoire ou notre défaite, notre importance, notre brillant, notre rhétorique et nos artifices. Ce qui compte, c’est la vérité et l’amour de Dieu, ce feu dévorant, c’est le salut qu’apporte Jésus-Christ, c’est la communion en Jésus-Christ de toute son Église, c’est la rencontre des cœurs réalisée par l’Esprit Saint.
La grande condition subjective du dialogue, et nous ne pouvons qu’en avoir soif et la mendier tout au long car nous ne la « tenons » jamais, c’est, au-dedans de nous, l’amour ensemble de Dieu et du prochain, cet amour clairvoyant et ferme à chercher, et à rechercher, à demander, et à re-demander bien qu’il ait à passer nécessairement par la souffrance avant de parvenir à la joie.
2. SAVOIR ECOUTER
La seconde condition subjective, fondée sur la première, est de parvenir à ce silence ouvert, disponible, accueillant, qui vraiment écoute quand l’autre parle.
Car la parole n’est pas seulement, et même pas toujours d’abord, le fruit de celui qui parle mais aussi le fruit de celui qui écoute.
Il faut, et il faudra toujours écouter l’autre favorablement, pour qu’il puisse bien dire ce qu’il veut dire, sans contrainte de notre part, sans durcissement ni affaiblissement, sans trahison de sa pensée.
Il est bien certain qu’entre Rome et la Réformation le dialogue, depuis très longtemps commencé, poursuivi, parfois arrêté, repris, et auquel nous sommes appelés à notre tour, ne porte pas sur des points de détail ou sur des questions secondaires. Il s’agit, entre Rome et la Réformation, d’un conflit profond, touchant à des motifs de base religieux.
Il importe d’autant plus que nous y voyions clair, que nous discernions bien sur quels points nous nous opposons, et quels sont exactement les motifs qui jouent dans notre opposition.
Il faut que nous nous expliquions les uns aux autres ces confessions de foi, et ces liturgies, et cette histoire, et cette situation présente de l’Église, qui tantôt nous rapprochent et tantôt nous séparent.
Et qui peut mieux expliquer et expliciter ces confessions de foi et ces liturgies que ceux qui vivent « avec » elles et, d’une certaine manière, « en » elles ?
Nos convictions, quand elles doivent çà et là s’opposer les unes aux autres, ne doivent pas s’opposer à des caricatures, faites de méprises et d’incompréhensions.
Si nous devons, protestants, dire NON à Rome, comme nos pères du temps de la Réformation l’ont fait, encore faut-il bien savoir à quoi et à qui nous disons NON. Et, pour ce faire, ne nous faut-il pas, dans le dialogue, écouter ce que dit Rome, et bien l’entendre ?
Certes, ce que dit Rome se trouve d’abord, objectivement, dans les confessions de foi, dans la liturgie, les encycliques pontificales, et dans l’histoire. Mais ce que dit Rome se trouve aussi dans ces catholiques-romains convaincus qui vivent autour de nous, et parmi nous, et deviennent ainsi des « prochains » à connaître et aimer.
Si nous devons être attentifs, ouverts, accueillants pour la bien comprendre, à l’expression de la pensée et des convictions de tout homme approché de nous, à combien plus forte raison quand il s’agit d’un prochain marqué du sceau de l’unique baptême, confessant l’unique Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit, aimant l’unique Seigneur Jésus et recevant l’Écriture comme la Parole inspirée de Dieu.
3. APPRENDRE A RECEVOIR
Si apprendre à écouter est une condition nécessaire du dialogue, être prêt à recevoir en est une autre, tout aussi nécessaire.
Si la puissance de la Parole et de l’Esprit de Dieu nous obligent à dire NON, sur tel ou tel point, au catholicisme-romain, nous ne devons jamais céder cependant à un antiromanisme qui nous fasse dire NON à Rome systématiquement.
Notre liberté chrétienne est de pouvoir et de devoir dire NON, quand il le faut. Elle est aussi de pouvoir et devoir dire OUI, de pouvoir et de devoir recevoir du catholicisme romain, quand il le faut.
4. S’EXAMINER SOI-MEME
Notre attention à la parole de Rome doit nous disposer à recevoir de Rome chaque fois que Rome nous rappelle ce que dit Dieu par l’Écriture.
Cette condition au dialogue : Être prêt à recevoir, va de pair avec cette autre condition : Être prêt à s’examiner soi-même à la lumière de l’Écriture, Parole de Dieu.
Protestants, nous n’avons pas à nous complaire en nous-mêmes. Nous savons bien (ou nous devons savoir) que si la Parole de Dieu est infaillible, nous, nous ne le sommes pas. Nos convictions n’ont d’assurance qu’en la Parole de Dieu seule.
« Examinez toutes choses ; retenez ce qui est bon », nous ordonne le Saint-Esprit par l’apôtre Paul.
1 Thessaloniciens 5.21
Et « ce qui est bon », bien sûr, ce n’est pas « ce qui nous plaît » ou « ce que nous choisissons », mais ce que dit le Seigneur.
5. NOTRE TEMOIGNAGE
Si l’amour de Dieu et du prochain, en si petit commencement qu’il soit en nous, doit se traduire, pendant le dialogue, en écoute attentive des catholiques romains, et en cette disposition à recevoir ce qu’ils peuvent nous apporter de la part de Dieu pour que nous puissions progresser nous-mêmes dans l’obéissance, il est tout aussi évident qu’il doit se traduire dans le témoignage espérant et solide que nous devons aux catholiques-romains comme à quiconque, de la vérité clairement révélée dans la Parole de Dieu et dont nous vivons par grâce.
Le dialogue est fait aussi de ce que nous avons à dire.
C’est aussi une des conditions subjectives du dialogue que nous y entrions et y persévérions nous-mêmes avec les certitudes indubitables de cette foi que Dieu nous a donnée en lui, et en sa Parole, et en son salut !
Parce que nous croyons (en Dieu! en sa Parole! en son salut !) nous parlons ! Et nous devons parler ! Malheur à nous si nous nous taisions!
Et c’est aussi parce que nous savons en Qui nous croyons, « en Dieu le Père et à notre création ! en Dieu le Fils et à notre rédemption ! en Dieu le Saint-Esprit et à notre sanctification ! « [ii] qu’au lieu de nous enfermer dans quelque ghetto nous allons vers tous les dialogues, recherchant les contacts avec tous.
Là, il ne s’agit pas de nos « idées », ou de tel ou tel point de « théologie », mais du glorieux évangile de Jésus. Et cet évangile doit être dit et redit à nous-mêmes et à tous.
V. – CONCLUSION : LE SECRET DU SEIGNEUR
Dans quelle mesure et de quelle manière le dialogue entre protestants et catholiques romains – compte tenu des conditions objectives et subjectives que nous avons cherché à préciser – servira-t-il la cause de l’unité et de l’Église du Seigneur ?
C’est le secret du Seigneur.
Plusieurs sont tentés de penser que la cassure est trop large et trop profonde et que tout espoir de réunion doit être exclu.
Le dialogue, pensent-ils, si dialogue il doit y avoir, ne peut aboutir qu’à la plus grande confusion ou au plus total désespoir.
D’autres sont tentés de penser qu’avec le temps et de la bonne volonté réciproque, tout finira forcément par s’arranger. Et des hirondelles déjà annoncent le printemps.
Je crois, pour ma part, que ni le pessimisme des premiers, ni l’optimisme des seconds ne doivent gagner nos cœurs.
Le dialogue entre protestants et catholiques romains, tous baptisés du même baptême, est à la fois :
– tragique puisqu’il oppose les uns aux autres dans l’Église universelle, autour du même souverain Pasteur et Seigneur de l’Église,
– et éclairé d’espérance puisque, des deux côtés et d’une certaine manière ensemble, d’un même mouvement, montent des prières qui demandent l’action sur tous du Chef de l’Église, par sa Parole et par son Esprit, et que cette prière, divisée et cependant une, garde, par-delà tout ce que nous pouvons voir et penser, cet « impossible » dialogue que nous poursuivons depuis des siècles déjà et qui se renouvelle étonnamment aujourd’hui.
C’est aussi parce que nous croyons en Dieu le Père, le Fils et le Saint-Esprit, que nous persévérons, malgré résistances et déceptions.
La puissance de l’Évangile accomplira certainement – quand ? Comment ? nous ne savons – la volonté souveraine de Dieu sur nous, contre nous, s’il faut, pour nous et en nous.
[i] Cf. l’Histoire du protestantisme français, de Raoul Stephan.
[ii] Catéchisme de Heidelberg, 8e dimanche.
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