Confrontation « sympathico-critique » de la théologie réformée confessante avec quelques grands courants théologiques contemporains – Vincent Bru

Il s’agit ici d’un article que j’ai écrit il y a une vingtaine d’années de cela, tandis que j’étais pasteur à Paris et que je m’étais inscrit en 3e cycle à l’Institut Protestant de Théologie (IPT) – je tiens à préciser que j’étais alors le seul calviniste parmi les élèves comme parmi les professeurs[i]. J’avais tenté une approche que j’avais intitulée « sympathico-critique » – sympathique dans le sens d’un effort sincère de compréhension – des différents courants théologiques qui existent aujourd’hui au sein du protestantisme, et ce, afin d’en dégager à la fois les forces et les faiblesses, et surtout afin de mieux faire ressortir la spécificité de la Foi réformée confessante dans ce paysage morcelé. J’en reproduis ici une version revue et corrigée.


Nous vivons aujourd’hui, depuis le 19e siècle – mais les racines plongent dans le 18e siècle, le siècles dit « des Lumières » -, une crise du savoir théologique et de la connaissance religieuse. L’avènement de la « modernité», dont la philosophie d’Emmanuel Kant constitue une étape décisive -rupture foi/raison, noumène/phénomène[ii] -, avec aussi la conception évolutionniste de l’histoire prônée par Hegel par exemple, a bouleversé les fondements de l’épistémologie classique[iii].

« La vérité, c’est la subjectivité ! » (Søren Kierkegaard)

Ce changement survenu dans les présupposés philosophiques – plus ou moins rationalistes – a conduit bon nombre de théologiens, ceux de la mouvance libérale en l’occurrence (Schleiermacher, Auguste Sabatier, Bultmann, Tillich, etc… ), mais aussi, bien que de manière moins marquées, ceux de l’école « néo-orthodoxe » (Karl Barth, Emil Brunner) à contester de façon plus ou moins radicale les définitions historiques et classiques de la Foi chrétienne, sur la base des prétendues avancées de la science en matière de critique biblique (méthode dite « historico-critique »), d’une part, et d’autre par sur celle de la subjectivité humaine : « La vérité, c’est la subjectivité ! » L’important ici, nous dit-on, c’est de construire des ponts avec la culture – quelle soit de nature religieuse ou profane, peu importe ! – de l’homme-moderne, et de le rejoindre sur le terrain de son ressenti, de ses préoccupations existentielles, de sa subjectivité, ce à quoi il accorde de l’importance, sans s’embarrasser du « patois de Canaan » – nous rejoignons ici les préoccupations des philosophies dites existentialistes : « l’existence précède l’essence » (Sartres, etc.) !

La théologie négative – ou apophatique – prônée par certains Pères de l’Église, et le nominalisme philosophique (Guillaume d’Occan) qui met l’accent sur les limites du langage humain, occupent désormais le devant de la scène, et la frontière entre la foi et l’agnosticisme est devenue très étroite, à tel point que l’on ne sait plus très bien ce que l’on doit croire quand on lit les théologiens modernes. Savent-ils seulement encore, d’ailleurs, ce qu’est vraiment l’« Évangile » ? Ou bien ne s’agit-il pas plutôt, souvent, d’une espèce de philosophie humaniste et savante avec des connotations chrétiennes plus ou moins vagues, tant les références au texte biblique semblent secondaires et anecdotiques, et certainement pas normatives, comme c’est le cas dans le protestantisme classique ? Une réflexion rationnelle teintée de christianisme portant à la fois sur la religiosité et sur la culture ? Évidemment, il ne s’agit pas ici de mettre tous les théologiens modernes dans le même sac, et certains d’entre eux – je pense en particulier aux plus réformés des Barthiens – peuvent même être très proches de nos positions. Il n’empêche qu’il existe bel et bien des tendances, des leitmotivs, des constantes, et c’est ce que nous nous proposons de dégager ici dans cet article et dans tous ceux qui suivront.

Le règne du relativisme : le Non ! à l’objectivité

Il n’est pas rare de lire sous la plume de théologiens récents que le contraire de la foi, ce n’est pas le doute, mais le savoir. L’objectivité – l’ « objectivisation » -, en particulier en matière de dogme, est volontiers conçue, dans cette perspective, comme l’ennemi à combattre, celle-ci étant contraire à la vraie foi, laquelle est définie essentiellement comme une rencontre personnelle, intime et existentielle avec Dieu – on reconnait ici l’influence de la philosophie existentialiste et aussi du romantisme du 19e siècle. La connaissance de Dieu est dés lors conçue comme se situant au-delà du langage et de la raison, celle-ci ne pouvant que reconnaître son incapacité en face des réalités invisibles, qui échappent à la perception de nos cinq sens.

« Le fini n’est pas capable de l’infini » !

Cette formule de Saint Augustin – tirée d’ailleurs hors de son contexte – est désormais devenue un adage classique de la théologie moderne.

La « différence qualitative infinie entre le temps et l’éternité » – formule kierkegaardienne – marque la rupture moderne entre la foi et la raison, et conséquemment à cela l’impossibilité d’avoir une connaissance objective de Dieu.

La théologie calviniste

Dans ce climat théologique moderne la théologie calviniste, remise à l’honneur en France dans les années trente par Auguste Lecerf – longtemps professeur de dogmatique réformée à la Faculté de théologie protestante de Paris -, et représentée notamment aujourd’hui par la Faculté Jean Calvin,  nous semble avoir un rôle déterminant à jouer, et ce, quand bien même, sa réception en France n’a eu qu’une portée assez limitée en comparaison d’autres écoles théologiques, dans les églises luthéro-réformées, en tout cas. Il faut dire ici que l’influence d’Auguste Lecerf a été en partie occultée, court-circuitée, ou pour le moins amoindrie, affaiblie par celle de son illustre contemporain que fut Karl Barth et sa théologie dialectique – ou « néo-orthodoxie ».

Il ne faudrait pas sous-estimer pour autant l’impact du renouveau calviniste (ou néo-calvinisme) chez bon nombre d’étudiants en théologie, de pasteurs et de théologiens, au premier rang desquels il faut mentionner les pasteurs Pierre Courthial et Pierre Marcel, fondateur de La Revue Réformée et de la Société Calviniste Française.

Comme l’a fait remarquer André Schlemmer, disciple et ami d’Auguste Lecerf :

« Quand Dieu rappela à lui son serviteur en 1943, celui-ci avait vu la bénédiction divine s’étendre sur son labeur. Il n’était plus le seul défenseur d’une cause perdue ! Il était le chef d’un mouvement vivace, qui renversait irrésistiblement et promptement toutes les positions du modernisme régnant. Presque toute la jeunesse qui sortait des Facultés de Théologie de France et de Genève s’affirmait Calviniste. L’Église Réformée de France revenait à sa tradition, et ceux qui faisaient figure de survivants n’étaient certes pas ceux qui pensaient avec Auguste Lecerf. »[iv]

Dans son Introduction à la Dogmatique Réformée, Lecerf consacre une partie non négligeable de son exposé à confronter son système théologique aux idéologies et aux théologies en vogue de son temps. La tâche apologétique doit nécessairement comporter ce dialogue critique. A ce titre, il est probable que si Auguste Lecerf revenait aujourd’hui, il trouverait le débat théologique bien pauvre.

Dans cet article nous nous proposons de confronter la théologie calviniste à quelques grands courants théologiques contemporains, regroupées en deux groupes principaux : les théologies libérales – car oui, il y en a plusieurs – et la théologie néo-orthodoxe (Karl Barth), en adoptant à leur égard une attitude à la fois de sympathie – au niveau de l’effort de compréhension – et de critique – car il ne faut pas craindre la confrontation -, selon l’adage de l’Apôtre Paul :

« Examinez toutes choses, retenez ce qui est bon » !

1 Thessaloniciens 5.21

1. La théologie dite libérale : Auguste Sabatier et l’école symbolo-fidéiste, la théologie de la sécularisation et la théologie de la mort de Dieu dont parle Bonhoeffer dans ses lettres de prison, Bultmann et la théologie existantiale , Tillich et la théologie de la culture, Cobb et la théologie du process, etc.

Sympathie :

On peut noter ici, entre autres choses, les éléments positifs suivants :

  • L’acceptation de la finitude de l’homme, du caractère incomplet de notre connaissance religieuse, du caractère partiel de toutes nos formulations doctrinales ;
  • La revalorisation de la conscience individuelle, de l’individu sur l’institution qui peut parfois outrepasser son rôle en se montrant tyrannique : c’est en vertu de ce principe du libre examen – ou liberté de conscience ou de pensée – que Martin Luther, à un moment donné, a pu trouver la force de dire « non ! » à Rome…
  • La volonté d’acculturation de l’Évangile et le fait de chercher à établir des ponts avec le monde moderne, plutôt que de se figer dans le passé de manière inamovible.

Critiques : 

Les éléments positifs mentionnés ci-dessus ne doivent pas occulter la critique radicale que le protestantisme classique adresse au libéralisme théologique qu’il estime s’écarter, parfois de manière grossière, du christianisme historique et biblique. Il faut noter, en particulier les éléments de discorde suivants :

  • Le divorce non scripturaire entre la foi et la raison qui, dans la Bible et dans la Tradition chrétienne sont complémentaires (jamais l’une sans l’autre!) : la foi raisonnable c’est celle qui s’enracine dans la sagesse divine telle que révélée de manière infaillible dans la Bible ;
  • L’approche subjective et dans certains cas franchement rationaliste des théologies libérales (car oui il y en a plusieurs… au moins autant que de théologiens) conduit inexorablement au relativisme doctrinal et éthique, puisqu’il n’existe pas de vérités objectives ;
  • Il faut noter une forte tendance anthropocentrique, centrée sur l’homme, plutôt que théocentrique, ce que Karl Barth reprochait amèrement aux libéraux de son temps ;
  • Il y a ici incontestablement une déviation, un divorce, une rupture plus ou moins accentuée par rapport à la Foi historique de l’Église, celle des grands symboles œcuméniques de l’Église ancienne et des confessions de foi de la Réforme des 16e et 17e siècles qui affirment des vérités objectives et absolues ;
  • Un Dieu qui serait en perpétuelle évolution mériterait-t-il encore d’être appelé « Dieu » (« théologie du Process ») ? Le Dieu de la Bible est parfait, et immuable. Voir La Confession de la Rochelle, article I : « Nous croyons et confessons qu’il y a un seul Dieu, qui est une seule et simple essence, spirituelle, éternelle, invisible, immuable, infinie, incompréhensible, ineffable… ». Poser le principe de l’évolution comme moteur premier de l’histoire nous parait arbitraire et fortement contestable ;
  • La tâche de la théologie et de l’apologétique en particulier ne saurait se réduire à la recherche et à l’établissement de frontières avec la culture ambiante, le « monde présent », mais comporte aussi un élément de rupture non négligeable, du fait de la situation de péché de l’homme, péché que le libéralisme occulte parfois tout à fait (anthropologie optimiste) ;
  • La tentation de l’agnosticisme (« Dieu au-dessus de Dieu » de Tillich et de la théologie négative), et d’une certaine forme de panthéisme (« Dieu au cœur de la culture ») ;
  • Le libéralisme conduit inexorablement à une relativisation de l’autorité de l’Écriture et constitue à ce titre une négation plus ou moins prononcée des principes de la Réformation et de ses cinq Sola.

2. Karl Barth et la théologie dialectique

Sympathie : 

On peut noter ici, entre autres choses, les éléments positifs suivants :

  • Il faut noter une revalorisation de la Transcendance de Dieu, le « Tout Autre », et de l’autorité de la Bible, dans le contexte du libéralisme de l’époque, et cela n’est déjà pas si mal !
  • Ainsi qu’une forte remise en question de l’anthropocentrisme de la théologie libérale, et de l’idéologie de l’ »humanisme » – la religion de l’homme, considéré comme la « mesure de toutes choses », avec sa folle prétention à l’autonomie, etc.
  • A ce titre là le Barthisme a opéré bel et bien un véritable recentrage dans le sens du vertical de la la théologie protestante, mais… Car il y a un gros MAIS !

Critiques : 

Les éléments positifs mentionnés ci-dessus ne doivent pas occulter les différences importantes entre le protestantisme classique et la néo-orthodoxie qui s’écarte sur certains points, bien que d’une manière plus subtile qu’avec le libéralisme, du christianisme historique et biblique. Il faut noter, en particulier les éléments de discorde suivants :

  • Pierre Courthial dans sa critique de la théologie de Karl Barth a mis en exergue la distinction non-scripturaire qui est faite ici entre la Parole de Dieu et la Bible : la Bible contient la Parole de Dieu, mais elle n’est pas, en elle-même, la Parole de Dieu ; c’est ici qu’il y a la faille selon nous. Je cite : « Il nous paraît que la plupart des erreurs, des défauts, et des éléments « gnostiques » de la Dogmatique du théologien de Bâle proviennent radicalement de sa doctrine non-scripturaire de l’Écriture. Sur ce point fondamental, Barth n’a pas pu, n’a pas su, n’a pas voulu exorciser les démons de la tradition critique déjà ancienne qui lui fût enseignée et qui continue, hélas ! D’être imperturbablement enseignée dans trop de Facultés de théologie et de Séminaires protestants et catholiques romains.  Cette tradition critique (non assez critiquée), établie à partir de « motif de base » rationalistes ou existentialistes, a marqué la pensée de Barth d’une empreinte si profonde et persistante que les « motifs de base » bibliques – indéniables – de la Dogmatique y sont constamment contre battus et que les exposés les plus « réformés » de Barth – et il y en a ! – en sont, comme malgré lui, constamment « déformés ». Par ailleurs si, d’un côté, quelques anciens disciples de Barth ont heureusement rejoint l’authentique tradition « réformée », après avoir précisément commencé par reconnaître la fidélité scripturaire des confessions de foi de la Réformation quant à la Parole de Dieu qu’est l’Écriture, d’un autre côté beaucoup (trop !) de disciples de Barth, en suite précisément de la doctrine barthienne de l’Écriture Sainte dont ils s’étaient laissés imprégner, ont malheureusement fini par rejoindre Bultmann, Tillich, Ébeling, etc… (…) Le « défaut » majeur et radical de la pensée de Karl Barth est certainement là, à ce point de sa doctrine non-scripturaire de l’Écriture. »[v]
  • Il y a incontestablement ici une surévaluation de la transcendance de Dieu, au dépend de son immanence, là où la théologie réformée classique affirme les deux : Dieu est le Tout Autre, et tamen (et cependant) il est aussi le Tout Proche ! La notion d’accommodatio Dei si chère à Calvin permet de comprendre l’articulation entre les deux.
  • Avec la théologie dialectique, on court le risque d’aboutir à une certaine forme d’agnosticisme théologique et de fidéisme (la foi ne reposant sur rien d’autre que sur elle-même) du fait de la prétendue inadéquation du langage humain en choses si haute, et de la dévaluation de l’histoire humaine et de la culture, le « non ! » à la théologie naturelle. La théologie réformée classique a toujours enseigné, à côté de la révélation spéciale de Dieu dans l’Écriture Sainte, l’existence de la révélation générale de Dieu, la manifestation de Dieu dans sa création, dans la nature, et dans la conscience de l’homme, avec aussi le concept de la grâce commune, et donc, jusqu’à un certain point, la possibilité, certes limitée mais réelle, d’une certaine forme de théologie naturelle et de droit naturel.

Synthèse générale :

Sympathie : 

De façon générale on peut dire que les théologies modernes ont cherché, chacune à leur façon, à établir des ponts entre le monde de la Bible et le monde contemporain, entre la foi chrétienne et la culture moderne. Cet effort peut être légitimement salué. Ce qui est visé ici, c’est l’universel. On ne se satisfait plus du particularisme strict des anciens. La théologie doit être englobante, et l’Église doit pouvoir avoir son mot à dire dans tous les domaines de la vie, sans faire figure de fossile de l’histoire. Elle doit sembler moderne, en phase avec les évolutions sociétales ou prétendues telles. Et non pas rétrograde, d’un autre âge, enfermée dans des principes inamovibles, hors du temps. Comme une statue de marbre.

Critiques :

Ces tentatives de contextualisation de l’Évangile se sont souvent faites au détriment de la vérité biblique et de la foi chrétienne historique en étant souvent – mais pas toujours ! – accompagnée par la résurgence de vieilles hérésies (notamment l’arianisme), la négation de certains « grands faits chrétiens » (Credo), des miracles, de la confession pleine et entière de la divinité du Christ, du dogme trinitaire (symbole de Nicée), de l’historicité de la Chute, des doctrines de la grâce, de la christologie et de la sotériologie classique – doctrine de sacrifice expiatoire, de la mort substitutive et propitiatoire du Christ sur la croix, etc. -, de la négation de la Toute-Puissance de Dieu aussi. Disons le tout net, dans ces cas-là, il s’agit ni plus ni moins que d’un autre évangile, d’un autre christianisme, sans rapport avec celui de la Bible et de la Tradition chrétienne, puisque certains courants théologiques sont allés jusqu’à l’absurdité de prôner une forme d’ « athéisme chrétien », un christianisme sans Dieu, un humanisme avec une teinte légère de christianisme. L’humanisme n’est pas l’Évangile !

De manière plus générale, force est de constater que toutes ces tentatives se sont soldées par une dévaluation plus ou moins prononcée de l’autorité de la Bible, comme Parole de Dieu pour l’homme de tous les temps et de tous les lieux. Tandis que la Réformation (ou Re-formation plutôt !) s’est articulée précisément autour de cette réaffirmation de l’autorité souveraine de la Sainte Écriture (Sola et Tota Scriptura), avant même d’être la redécouverte du salut par la foi seule (Sola Fide, Sola Gracia), et de la théologie de l’Alliance (foedus) dont le Christ est l’unique Seigneur et Sauveur (Solus Christus).

L’Église se doit d’être Trinitaire, ou alors elle devient autre chose : Dieu seul est Sauveur, et le Sauveur, c’est Dieu ! Voilà l’orthodoxie de la Foi !

L’Église doit reconnaître dans la Bible la Parole de Dieu, ou alors, elle devient autre chose.

Le risque ici, avec le protestantisme moderniste, c’est de perdre de vue l’inattendu de l’Évangile, et la rupture nécessaire que la foi chrétienne impose au monde du fait de sa situation spirituelle « en Adam » : le péché n’est pas quelque chose que l’on doit prendre à la légère ; c’est quelque chose d’extrêmement sérieux et que l’on ne peut occulter en aucun cas.

Le schéma biblique fondamental est Création-Chute-Rédemption : c’est là l’un des traits distinctifs du christianisme historique et biblique. On ne saurait en faire l’économie.

La sotériologie chrétienne repose sur une vision extrêmement pessimiste de la condition humaine (anthropologie pessimiste) : l’homme en Adam est séparé de Dieu du fait de son péché, et est spirituellement mort ; il faut la régénération du Saint Esprit et le secours de la révélation spéciale de Dieu dans l’Écriture pour qu’il retrouve son état d’innocence (« Le Paradis perdu » de John Milton), de sorte que toute tentative de salut de l’homme par l’homme est irrémédiablement vouée à l’échec.

Il ne faut pas confondre l’humanisme et le christianisme. Une théologie anthropocentrique ne saurait répondre au besoin fondamental de l’homme, qui est la réconciliation avec Dieu, le Salut – ou rédemption -, qui passe par la conversion de la pensée, dans la reconnaissance de l’autorité souveraine et normative – objective ! – de la Parole de Dieu, la Bible.

On nous parle du Jésus de la foi et du Jésus de l’histoire qu’il ne faudrait en aucun cas confondre. Et pourquoi donc ? Si la Bible est vraiment ce qu’elle prétend être, c’est-à-dire la Parole écrite de Dieu, alors il faut bien que la foi et l’histoire se rejoignent. Le Jésus auquel nous croyons est celui qui « a souffert sous Ponce Pilate »… Ponce Pilate, un personnage dont nul ne met en doute l’historicité. La foi est enracinée dans l’histoire et il n’y a pas d’autre foi que celle-là ! D’autant qu’il n’est pas possible de connaître Jésus-Christ en dehors de la Bible ; il faut bien que le Jésus de l’histoire et le Jésus de la foi soit le même Jésus ! Autrement comment pourrions-nous vraiment placer notre foi et notre confiance, et notre amour en lui ? Le vraie foi doit nécessairement reposer sur une connaissance rationnelle, objective, un savoir vérifiable – au moins en partie – au regard de l’histoire. Autrement quelle différence existerait-il entre la foi et la superstition ?

Soli Deo Gloria !

Tel doit être, dans une juste perspective réformée, le principe discriminatif de la théologie : théocentrique, et non pas anthropocentrique, et centrée sur l’Alliance (foedus !)

« Dieu seul parle bien de Dieu » (Blaise Pascal)

La théologie se doit d’être servante de l’Écriture, à l’écoute de l’Écriture, autrement, elle perd de vue sa raison d’être et sa vocation.

Pasteur Vincent Bru, 23/11/2023


[i] J’avais posé un jour la question au professeur Laurent Gagnebin dont je suivais les cours : « Connaissez vous des étudiants ou des professeurs à la Faculté qui se réclament de la théologie calviniste ? » Et il m’avait répondu du tac au tac : « Je n’en connais qu’un seul, c’est vous quand vous venez… ! » Pour la petite histoire, j’avais proposé à la Faculté de soutenir une thèse de Doctorat sur la question du statut des Écritures, et ils les professeurs m’avaient alors renvoyé aux Facultés de théologie de Vaux-sur-Seine et d’Aix-en-Provence, car le sujet ne les intéressait pas… J’avais alors proposé une soutenance sur Auguste Lecerf et il m’avait été répondu qu’un seul professeur de l’IPT (Laurent Gagnebin) était intéressé par le sujet, mais qu’il était sur le point de partir à la retraite, et qu’il ne pouvait donc pas prendre un tel engagement. Je n’avais donc pas insisté.

[ii] Voir à ce sujet les ouvrages de l’apologète américain Francis Schaeffer, dont Démission de la raison.

[iii] Épistémologie classique que l’on retrouve notamment chez Saint Anselme (Fides quarens intellectum), et dans la philosophie réaliste de Saint Thomas d’Aquin, suivi par les Réformateurs et post-Réformateurs, Calvin en particulier, et François Turretin.

[iv] Auguste Lecerf, Études Calvinistes, p. 5. Voir de même l’ouvrage récent : La réception du néo-calvinisme en France (1938-1992).

[v] Pierre Courthial, « La conception barthienne de l’Écriture Sainte, point de vue réformé », dans Fondements pour l’avenir, Aix-en-Provence, Ed. Kerygma, 1981.


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