Illustration : La destruction du Second Temple, vue par Francesco Hayez.
Certains chrétiens voient dans la reconstruction du temple de Jérusalem, le troisième donc, après celui du roi Salomon et celui du roi Hérode, un signe prophétique, d’autres y voient un contresens théologique. Mais il est possible d’adopter une voie de synthèse : Un temple pourrait être un signe visible de la présence de Dieu et de l’unité entre Israël et les nations, sans reprendre les sacrifices abolis en Christ.
Il ne servirait pas au culte lévitique, mais serait un haut lieu spirituel, comme un « Vatican de Jérusalem », où Juifs messianiques et chrétiens confesseraient ensemble que Jésus (Yeshoua) est le Messie.
Ce serait un symbole d’accomplissement, non de retour en arrière : un lieu de prière, d’enseignement et de paix, annonçant le Royaume du Christ à venir.
I. Deux approches contradictoires : théologie réformée contre dispensationalisme
Avant de proposer une voie de synthèse, il convient de rappeler les grandes lignes des deux approches principales : d’une part, la lecture dispensationaliste, qui attend la reconstruction littérale du Temple de Jérusalem comme signe prophétique de la fin des temps ; et d’autre part, la lecture réformée, qui voit dans le Christ et dans l’Église l’accomplissement spirituel et définitif du Temple annoncé dans l’Écriture.
1. Les textes de l’Ancien Testament
A) Ézéchiel 40–48
C’est le texte central invoqué. Ézéchiel décrit en détail une vision d’un temple futur, avec des mesures précises, un culte rétabli, et la gloire de Dieu revenant (Ézéchiel 43.1-7).
- Argument dispensationaliste :
Cette vision serait prophétique et littérale : un vrai temple doit être reconstruit pour accomplir cette prophétie, après le retour du peuple en Israël. - Argument réformé :
Cette vision est symbolique, décrivant la présence de Dieu restaurée au milieu de son peuple, réalisée en Christ (Jean 2.19-21) et dans l’Église (Éphésiens 2.19-22).
B) Daniel 9.27 ; 11.31 ; 12.11
Ces passages parlent de la « profanation du sanctuaire » et de l’arrêt du sacrifice perpétuel.
- Argument dispensationaliste :
Il faut qu’un temple matériel existe pour que l’Antéchrist puisse le profaner à la fin des temps. - Argument réformé :
Ces prophéties ont été accomplies historiquement (sous Antiochus IV Épiphane puis lors de la destruction du Temple en 70 ap. J.-C.) et ne nécessitent pas de reconstruction.
2. Les textes du Nouveau Testament
A) Matthieu 24.15 / Marc 13.14
Jésus évoque « l’abomination de la désolation dont a parlé le prophète Daniel ».
- Argument dispensationaliste :
Jésus annoncerait une future profanation d’un temple encore à venir, après le retour d’Israël dans sa terre. - Argument réformé :
Jésus parle du Temple existant de son temps, détruit en 70 par les Romains (accomplissement historique).
B) 2 Thessaloniciens 2.3-4
Paul écrit que l’« homme du péché » s’assiéra dans le temple de Dieu, se proclamant Dieu.
- Argument dispensationaliste :
Ce passage prouverait qu’un temple physique doit être reconstruit avant le retour du Christ, pour que l’Antéchrist s’y installe. - Argument réformé :
Le mot « temple » (ναός, naos) désigne l’Église (1 Corinthiens 3.16 ; 2 Corinthiens 6.16). L’Antéchrist s’élève dans le domaine de l’Église, non dans un bâtiment à Jérusalem.
C) Apocalypse 11.1-2
Jean reçoit un roseau pour mesurer le temple de Dieu, tandis que le parvis extérieur est livré aux nations.
- Argument dispensationaliste :
Il s’agit du Temple restauré à Jérusalem, existant pendant la Grande Tribulation. - Argument réformé :
Le Temple est symbolique du peuple de Dieu protégé spirituellement, non d’un édifice futur.
3. Le lien avec Israël moderne
Les tenants du Troisième Temple invoquent aussi :
- Le retour du peuple juif en Israël (Ésaïe 11.11-12 ; Jérémie 30.3 ; Ézéchiel 36–37) comme prélude à la restauration du culte lévitique.
- L’alliance inconditionnelle avec Abraham et David (Genèse 17.7-8 ; 2 Samuel 7.12-16) comme promesse d’une restauration nationale et cultuelle.
La logique est la suivante :
- Israël doit être rétabli comme nation (1948).
- Jérusalem doit redevenir sa capitale (1967).
- Le Temple doit être reconstruit.
- L’Antéchrist s’y installera.
- Le Christ reviendra pour juger et régner depuis Jérusalem.
4. Réponse biblique et théologique réformée
Les Réformateurs (Calvin, Bucer, Bèze) et les confessions classiques (Confession helvétique, Westminster) insistent :
- Le véritable Temple est Christ lui-même (Jean 2.19-21).
- L’Église est désormais le temple spirituel où Dieu habite (1 Pierre 2.5 ; Éphésiens 2.20-22).
- La Nouvelle Jérusalem d’Apocalypse 21 n’a plus de temple, « car le Seigneur Dieu Tout-Puissant et l’Agneau en sont le temple » (Apocalypse 21.22).
- La restauration d’un temple matériel serait donc un retour en arrière, niant l’accomplissement définitif en Christ.
En résumé
| Passage invoqué | Lecture “Troisième Temple” | Lecture réformée |
|---|---|---|
| Ézéchiel 40–48 | Temple futur littéral | Symbolique de la présence de Dieu accomplie en Christ |
| Daniel 9.27 | Temple futur profané par l’Antéchrist | Temple détruit en 70, prophétie accomplie |
| 2 Thessaloniciens 2.4 | Temple physique à Jérusalem | Temple spirituel = Église |
| Apocalypse 11 | Temple terrestre pendant la tribulation | Image du peuple de Dieu |
| Matthieu 24.15 | Abomination future dans un temple reconstruit | Accomplie en 70 ap. J.-C. |
II. Un Temple pour la fin des temps ? Lecture spirituelle et prophétique
Si le Christ est l’accomplissement parfait du Temple et le centre de la présence divine, cela n’exclut pas qu’un signe visible puisse, à la fin des temps, manifester cette réalité spirituelle. Il s’agit alors de comprendre comment l’Écriture elle-même évoque l’existence d’un lieu sanctifié dans la perspective eschatologique du règne de Dieu.
1. Fondement biblique d’un lieu sanctifié à la fin des temps
Même si le Nouveau Testament insiste que le culte sacrificiel est aboli en Christ (Hébreux 10.10–14), il n’exclut pas pour autant la possibilité d’un lieu saint dans le plan final de Dieu.
A) Zacharie 14.16-21
Les nations montent à Jérusalem pour adorer le Roi, l’Éternel des armées.
→ Cela peut désigner un pèlerinage mondial vers un centre de foi où le Seigneur est reconnu comme Roi.
→ Rien n’indique un retour des sacrifices sanglants, mais un culte de reconnaissance et de louange universelle.
B) Ésaïe 2.2-4
« La montagne de la maison de l’Éternel sera établie au sommet des montagnes. Toutes les nations y afflueront. »
→ Ici encore, Jérusalem devient un centre spirituel mondial, un lieu d’enseignement et de paix.
→ Le Temple y est symbole de la présence de Dieu et de l’unité des croyants, pas du rituel lévitique.
C) Apocalypse 21
Même si la Nouvelle Jérusalem « n’a plus de temple », cela ne contredit pas un temple de transition avant l’avènement final, servant de signe de la réconciliation entre Israël et les nations (Romains 11.15).
2. Théologie de la synthèse : un temple « eschatologique » mais non « légaliste »
Cette position reconnaît :
A) La continuité avec les promesses faites à Israël
Dieu a promis de demeurer à jamais au milieu de son peuple (Ézéchiel 43.7 ; Zacharie 2.10). Un temple restauré pourrait incarner le rappel visible de cette fidélité divine, sans substituer l’Évangile à la Loi.
B) L’accomplissement en Christ
Le Christ reste le véritable Temple (Jean 2.21), et tout édifice matériel ne serait qu’un signe visible de sa seigneurie sur Israël et les nations.
Autrement dit, ce temple ne serait pas un lieu d’expiation, mais un lieu de proclamation : la grâce y serait célébrée, non répétée par des sacrifices.
C) La fonction symbolique et œcuménique
Un tel temple pourrait être :
- Un signe de l’unité eschatologique entre Israël et l’Église (Romains 11.26) ;
- Un centre spirituel commun pour les croyants en Yeshoua ha-Mashiah (le Messie Jésus) d’origine juive et les chrétiens des nations ;
- Un lieu d’enseignement, de prière et de réconciliation, où les peuples viennent honorer le même Dieu, dans la paix.
3. Exemples d’une telle lecture chez certains théologiens
Pour illustrer concrètement cette approche, il est utile de voir comment certains théologiens contemporains — issus de traditions réformées ou proches — interprètent le Temple et l’élection d’Israël, en ouvrant la porte à une lecture symbolique et eschatologique qui dépasse le simple littéralisme.
N. T. Wright et le temple comme lieu de rencontre entre ciel & terre
N. T. Wright voit dans le temple un symbole de la rencontre entre ciel et terre, et estime qu’un signe visible de cette rencontre, même matériel, n’est pas incompatible avec l’Évangile.
- Dans Simply Christian, Wright écrit : « Those in whom the Spirit comes to live are God’s new Temple. They are, individually and corporately, places where heaven and earth meet. » Goodreads
- Dans son livre Paul and the Faithfulness of God, il décrit le Temple de Jérusalem comme « le lieu où ciel et terre se rejoignent », et il dit que « quand on monte au Temple, ce n’est pas comme si on était ‘au ciel’ — on est réellement là. C’était le point. » Joaomordomo.com+1
- Il insiste aussi sur l’idée que le Temple (et précédemment, le tabernacle) fonctionne dans la Bible comme un signe cosmique – un symbole de la présence de Dieu en ce monde, en surplomb mais en intersection avec le créé. Admirato+1
Karl Barth et le « mystère d’Israël » dans Romains 9-11
Karl Barth, dans sa lecture de Romains 9–11, parle d’un « mystère de l’élection d’Israël » toujours à l’œuvre — ce qui permet d’imaginer un rôle historique et spirituel particulier du peuple juif à la fin des temps.
- On trouve dans Church Dogmatics II/2 de Barth une discussion importante sur l’élection d’Israël, considérée non pas comme un vestige purement extérieur, mais comme un « mystère » toujours actif, même après la venue du Christ.
- Par exemple, un article a étudié comment, dans la édition de Barth sur Romains 9-11, l’élection d’Israël est liée à la relation entre Israël et l’Église, et que Barth affirme que « la crise d’Israël et la crise de l’Église est une et la même ». Scielo.org.za+1
- On peut aller plus loin dans le commentaire de Barth sur Romains (par exemple dans Karl Barth’s Theological Exegesis of Romans 9-11), pour identifier comment il conçoit l’avenir d’Israël dans le plan rédempteur. Journals.sagepub.com
Ces références montrent qu’il y a chez Barth une ouverture à l’idée que l’élection d’Israël ne soit pas simplement historique, mais qu’elle conserve une dimension eschatologique / prophétique — ce qui pourrait légitimer d’imaginer un rôle particulier d’Israël à la fin des temps, sans pour autant revenir aux sacrifices lévitiques.
Jacques B. Doukhan et le « temple eschatologique / de la rencontre »
Jacques Doukhan (théologien adventiste d’origine juive) évoque un « temple eschatologique de la rencontre » où les promesses faites à Israël trouvent une expression visible, sans contradiction avec la christologie.
- Article intitulé La fin des temps où il figure comme auteur. Troisanges.org
- Il existe une mention dans un article de la revue théologique Hokhma — Pentecôtisme et sionisme – une relation en quête de cohérence — qui cite Doukhan, dans laquelle apparaît l’ouvrage Israël et l’Église : Deux voix pour le même Dieu (éd. Vie et Santé, 2010). Hokhma.org
4. Deux analogies utiles : le Vatican et la cathédrale protestante Saint-Pierre de Genève, sans le sacerdoce sacrificiel
Le Vatican n’est pas le centre d’un culte sacrificiel, mais un centre de rayonnement et de gouvernement spirituel. De même, on pourrait évoquer la cathédrale protestante Saint-Pierre de Genève, d’où a rayonné au XVIᵉ siècle le calvinisme, comme un symbole d’influence spirituelle et doctrinale, sans sacerdoce, mais avec une autorité de la Parole qui a touché les nations.
Un 3ᵉ Temple pourrait avoir une fonction analogue :
- Non pas le rétablissement de la Loi mosaïque (lois sacrificielles et cérémonielles),
- Mais le témoignage visible de la royauté universelle du Christ,
- Un signe de paix et de mémoire de l’Alliance.
Il deviendrait, non pas le cœur d’un nouveau rituel, mais le lieu où Israël et les nations reconnaissent ensemble le Dieu unique révélé en Jésus-Christ, à l’image de ces lieux où, dans l’histoire, la foi a rayonné sans se confondre avec le pouvoir terrestre.
5. Prudence et espérance
Une telle synthèse garde deux repères essentiels :
- Tout centre spirituel visible doit rester soumis à la seigneurie du Christ (Colossiens 1.18).
- Aucun édifice, même à Jérusalem, ne remplace la présence de l’Esprit Saint dans le cœur des croyants.
Mais si Dieu, dans son plan providentiel, permet la reconstruction d’un temple à Jérusalem, ce pourrait être :
- Un signe prophétique, rappelant l’unité de son peuple,
- Un appel à la repentance mondiale,
- Et l’annonce de la venue du Roi.
En résumé
| Aspect | Vision du 3ᵉ temple comme symbole spirituel |
|---|---|
| Fonction | Centre de prière et de témoignage, non de sacrifice |
| Sens théologique | Signe de l’unité entre Israël et l’Église en Christ |
| Lien biblique | Ésaïe 2, Zacharie 14, Romains 11, Apocalypse 21 |
| Rapport à l’Ancienne Alliance | Accomplissement, non restauration |
| Objectif | Manifestation visible de la gloire du Christ sur la terre |
Conclusion générale
Vers une eschatologie de l’espérance
Ainsi, loin du catastrophisme qui imprègne le dispensationalisme classique, notre regard sur la fin des temps doit être celui de l’espérance et de la promesse accomplie. Le Christ n’a pas inauguré un âge du repli, mais celui du Règne progressif de Dieu dans l’histoire. La terre n’est pas destinée à la défaite du Royaume, mais à sa transfiguration.
Cette vision s’accorde avec ce qu’on pourrait appeler une eschatologie de l’espérance, ou — pour reprendre une expression suggestive — un « opti-millénarisme » : une lecture confiante du dessein de Dieu, où l’histoire avance vers la réconciliation de toutes choses en Christ (Éphésiens 1.10). C’est aussi la conviction du néo-calvinisme et des reconstructionnistes, qui refusent de voir le monde livré au chaos, et affirment que l’Évangile finira par triompher dans les cœurs, les cultures et les nations.
Lorsque le Fils de l’homme reviendra, il ne trouvera pas une foi éteinte, mais une Église affermie, un peuple sanctifié et des nations transformées par la Parole. Et si, dans la providence divine, un Temple restauré à Jérusalem devait devenir un signe visible de ce renouveau spirituel, non comme retour à la Loi, mais comme symbole du règne universel du Christ, alors il ne serait pas un vestige du passé, mais un avant-goût du monde à venir.
Tel est le cœur de cette espérance : non un effondrement, mais l’avènement d’un Royaume sans fin, où la gloire de Dieu remplira la terre comme les eaux couvrent la mer (Habacuc 2.14).
Illustrations




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