Chaque année, à la même date, deux fêtes aux sens radicalement opposés se croisent : Halloween, qui plonge dans l’imaginaire des ténèbres, de la peur et de la mort, et la Toussaint, qui, dès l’origine, entend célébrer la lumière, la vie et la communion des croyants en Dieu. L’une transforme la mort en jeu, l’autre la replace dans une perspective d’espérance et de résurrection. Mais toutes deux révèlent, chacune à sa manière, la façon dont l’homme cherche à donner un sens à ce mystère qui nous dépasse : celui de la vie et de la mort.
Pour les chrétiens issus de la Réforme, cette période de l’année n’est pas d’abord une occasion de polémique ou de rejet, mais un appel à la redécouverte du vrai sens de la communion des saints. Les Réformateurs n’ont pas voulu effacer la mémoire des fidèles d’autrefois, mais purifier cette mémoire pour qu’elle conduise non vers les saints eux-mêmes, mais vers le Dieu qui a fait d’eux ses témoins.
Ainsi, la tradition réformée se situe à la fois dans une continuité et dans une réforme :
- Dans la continuité, car elle reconnaît la valeur spirituelle du souvenir des saints et la beauté d’une Église unie à travers le temps, « visible et invisible ».
- Dans la réforme, car elle met en gardre contre le glissement du souvenir à l’intercession, de la gratitude à la vénération, de la foi en Christ à la confiance dans des médiateurs humains.
Loin d’être un refus de la mémoire chrétienne, l’approche réformée de la Toussaint invite à réorienter cette mémoire vers sa source, à célébrer non la gloire des hommes, mais la fidélité de Dieu. Elle nous apprend à vivre ce temps non dans la peur ou la superstition, mais dans la lumière de la résurrection, en confessant que les saints d’hier et les croyants d’aujourd’hui ne forment qu’un seul corps, uni dans le Christ vivant.
« Car Dieu n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants, car tous vivent pour lui. » (Luc 20.38)
Halloween
1. Origines et nature d’Halloween
Le mot Halloween vient de All Hallows’ Eve, c’est-à-dire la veille de la fête de tous les saints. Cette fête chrétienne du 1er novembre (All Hallows’ Day) fut instituée pour honorer la mémoire de tous les martyrs et saints de l’histoire. Mais les origines d’Halloween remontent plus loin encore, à la fête celtique Samhain, célébrée à la fin de l’été, marquant le passage à la saison sombre. On croyait alors que les esprits des morts revenaient visiter les vivants, d’où les pratiques de déguisements, de feux, et d’offrandes pour se protéger des esprits malveillants.
La version moderne d’Halloween — très populaire en Amérique du Nord avant de se diffuser en Europe — est devenue une célébration séculière et commerciale centrée sur les déguisements, les sucreries et l’imaginaire du macabre.
2. Perspective réformée : une théologie de la séparation et du discernement
Les Réformateurs, en particulier Calvin et les Puritains, insistaient sur la nécessité de distinguer clairement la lumière et les ténèbres, le vrai culte et la superstition.
Calvin écrivait :
« L’homme, par nature, est une fabrique d’idoles. » (Institution de la religion chrétienne, I, 11, 8)
La Réforme a donc cherché à purifier la foi chrétienne de tout mélange avec des croyances païennes ou des pratiques superstitieuses. Halloween, avec ses origines occultes et sa fascination pour la mort, les esprits et les forces obscures, entre directement en tension avec ce principe.
Le chrétien réformé reconnaît que le monde spirituel existe (Éphésiens 6.12) et qu’il n’est pas neutre. Les forces des ténèbres sont réelles, mais Christ les a vaincues (Colossiens 2.15). Participer à des symboles, à des déguisements ou à des rituels qui glorifient le mal ou banalisent la mort est donc contraire à la foi qui confesse :
« Le Seigneur est ma lumière et mon salut : de qui aurais-je peur ? » (Psaume 27.1)
3. Halloween et la théologie de la mort
L’un des grands problèmes d’Halloween est sa manière de banaliser la mort. Or, pour la foi chrétienne, la mort est une conséquence du péché (Romains 6.23) et non un sujet de jeu. Le chrétien ne rit pas du tombeau, il attend la résurrection. La mort n’est pas une figure à célébrer mais un ennemi vaincu par le Christ (1 Corinthiens 15.54-57).
Ainsi, tandis que le monde met des masques de squelettes ou de démons pour s’amuser, le croyant contemple la croix, où le Christ a ôté toute puissance à la mort.
Le contraste est radical :
- Halloween exalte la peur, la laideur et l’ombre.
- L’Évangile proclame la paix, la beauté et la lumière du Christ ressuscité.
4. Le danger de la compromission culturelle
Les chrétiens croient que le monde est sous la domination du péché (1 Jean 5.19) et qu’il faut s’en séparer sans pour autant fuir notre responsabilité de témoins. Calvin parlait d’une « tension féconde » : vivre dans le monde sans être du monde (Jean 17.14-16).
Ainsi, participer à Halloween « pour le fun » peut sembler anodin, mais c’est déjà adopter un langage symbolique étranger à la foi chrétienne. Se déguiser en démon ou en mort-vivant, même sans conviction spirituelle, c’est jouer avec ce que le Christ est venu détruire.
Paul écrit :
« Quelle communion y a-t-il entre la lumière et les ténèbres ? » (2 Corinthiens 6.14)
Le chrétien réformé doit donc exercer le discernement spirituel (Romains 12.2), en se demandant :
- Est-ce que ce que je fais glorifie Dieu ?
- Est-ce que cela nourrit ma foi ou celle de mes enfants ?
- Est-ce que cela honore la victoire du Christ sur le mal ?
5. Une alternative réformée : célébrer la Réformation plutôt qu’Halloween
Le 31 octobre n’est pas seulement la veille de la Toussaint, mais surtout le jour de la Réformation, commémorant le moment où Martin Luther afficha ses thèses à Wittenberg (1517). Plutôt que de jouer avec la peur et la mort, les chrétiens réformés peuvent célébrer la lumière retrouvée de l’Évangile : la justification par la foi seule, la grâce seule, l’Écriture seule, le Christ seul, à Dieu seul la gloire (Sola fide, sola gratia, sola Scriptura, solus Christus, soli Deo gloria).
De nombreuses Églises réformées organisent à cette date des « fêtes de la Réformation »1, soirées de louange, d’enseignement, de lecture biblique, ou encore des activités pour enfants centrées sur la lumière du Christ (par exemple : « Fête de la lumière », « Nuit de la Réforme », etc.).
6. Synthèse théologique et pastorale
| Aspect | Halloween | Foi réformée |
|---|---|---|
| Origine | Païenne, celtique, puis séculière | Biblique, centrée sur Christ |
| Symbole | Mort, peur, ténèbres | Vie, paix, lumière |
| Attitude spirituelle | Curiosité, amusement, banalisation du mal | Discernement, sanctification, reconnaissance |
| Message implicite | Le mal amuse | Le mal est réel et vaincu par le Christ |
| Alternative chrétienne | Aucune transcendance | Réformation : retour à la Parole et à la vérité |
7. Conclusion : vivre comme enfants de lumière
Le chrétien réformé n’a pas à se retirer du monde, mais à témoigner dans le monde avec sagesse et clarté. Il ne s’agit pas de condamner ceux qui fêtent Halloween, mais de manifester que notre joie n’est pas dans le déguisement de la mort, mais dans la victoire de la vie.
« Autrefois, vous étiez ténèbres, mais maintenant vous êtes lumière dans le Seigneur. Marchez comme des enfants de lumière. » (Éphésiens 5.8)
C’est pourquoi, pour les réformés, Halloween n’est pas une fête innocente, mais une occasion de rappeler la vraie délivrance : celle du Christ qui triomphe des ténèbres.
La Toussaint
Pour les chrétiens héritiers de la Réforme, ce temps de l’année n’est pas d’abord une occasion de polémique ou de rupture, mais une invitation à retrouver le sens authentique de la communion des saints. Les Réformateurs n’ont pas cherché à abolir le souvenir des croyants d’autrefois, mais à le purifier, afin que la mémoire des saints oriente les cœurs non vers eux-mêmes, mais vers Dieu seul, dont ils ont été les témoins et les instruments de grâce.
1. Origine et sens de la fête de la Toussaint
La Toussaint (Festum Omnium Sanctorum) est née dans les premiers siècles chrétiens. D’abord locale (notamment à Antioche dès le IVe siècle), elle fut généralisée à toute l’Église par le pape Grégoire IV (IXe siècle). L’intention initiale était on ne peut plus bonne :
- Honorer la mémoire des martyrs et des témoins de la foi,
- Encourager les fidèles à imiter leur exemple,
- Rendre gloire à Dieu pour les fruits de sa grâce dans leur vie.
Autrement dit, la Toussaint était à l’origine une célébration de la victoire de la grâce, non un culte rendu aux saints.
Mais au fil du temps, la distinction entre honneur (dulia) et adoration (latria) s’est estompée dans la pratique populaire, et la fête a souvent dérivé vers un culte des saints et des morts, où les fidèles demandaient leur intercession ou leur aide.
2. La perspective réformée : honorer les saints, mais adorer Dieu seul
Les Réformateurs ne rejettent pas le souvenir des saints, mais le détournement de ce souvenir. Pour eux, la vraie piété consiste non à invoquer les saints, mais à suivre leur exemple en adorant Dieu seul.
Jean Calvin écrit avec nuance :
« Nous ne refusons pas qu’il y ait eu des saints dignes d’honneur, mais nous disons qu’il ne faut point leur attribuer plus qu’à Dieu. »
(Institution de la religion chrétienne, III, 20, 21)
Et encore :
« Nous devons avoir une haute estime pour les saints, les aimer comme frères, les honorer comme membres du Christ, mais en même temps, ne point leur attribuer l’honneur qui appartient à Dieu. »
(Institution, III, 20, 27)
Ainsi, pour la Réforme :
- Oui à la mémoire des saints comme témoins de la grâce divine.
- Non à leur invocation comme médiateurs spirituels.
Christ seul est notre intercesseur (1 Timothée 2.5). Les saints eux-mêmes n’ont aucune gloire qui ne leur soit donnée par la grâce :
« Par la grâce de Dieu, je suis ce que je suis » (1 Corinthiens 15.10).
3. La communion des saints selon la Bible et la Réforme
L’article 9 du Symbole des Apôtres confesse : « Je crois […] à la communion des saints. » Mais comment la comprendre ?
3.1. Selon l’Écriture
La communion des saints (koinonia ton hagion) désigne l’unité spirituelle de tous les croyants en Christ, vivants et morts.
Paul écrit :
« Nous ne formons qu’un seul corps » (1 Corinthiens 12.12-27)
et
« Vous êtes venus vers la cité du Dieu vivant […] vers les esprits des justes parvenus à la perfection » (Hébreux 12.22-23).
Les saints du ciel et ceux de la terre sont unis en Christ par le même Esprit, mais il n’y a pas de communication directe ni de culte mutuel.
C’est une communion verticale (par le Christ et dans l’Esprit), non horizontale (par invocation ou contact).
3.2. Selon la théologie réformée
La Confession de foi de La Rochelle (1559) enseigne :
« Nous croyons que tous les élus sont unis en un seul corps et une seule communion, dont Jésus-Christ est la tête. »
La communion des saints, pour les Réformés, signifie donc :
- La solidarité spirituelle de tous les membres du corps du Christ.
- Le partage des dons de la grâce dans l’Église.
- La joie d’espérer ensemble la résurrection et la gloire.
Mais elle n’implique aucune vénération des défunts. Les morts en Christ reposent en Dieu, et leur témoignage nous encourage, sans qu’ils deviennent des intermédiaires.
4. Le culte des morts : dérive historique
Les Pères de l’Église eux-mêmes ont mis en garde contre les excès. Saint Augustin, tout en reconnaissant la valeur du souvenir des martyrs, précise :
« Nous ne dressons pas d’autels aux martyrs, mais au Dieu des martyrs. »
(Contre Fauste le manichéen, XX, 21)
Et encore :
« Nous aimons les martyrs comme des disciples et imitateurs du Seigneur, mais nous ne leur rendons pas le culte qui est dû à Dieu seul. »
(Cité de Dieu, VIII, 27)
C’est exactement la position que reprendra la Réforme : Calvin, Luther et Zwingli se réclament d’Augustin pour dire : le culte des saints s’est substitué au culte du Christ.
Calvin déplore cette confusion :
« Les hommes, par trop de curiosité, ont voulu converser avec les morts, et ont oublié le Dieu des vivants. »
(Institution, I, 12, 2)
La Réforme voit donc dans le culte des morts une forme de superstition : une volonté d’avoir des intercesseurs visibles plutôt que de s’en remettre au Christ invisible.
5. Les points positifs que la Réforme reconnaît
La Réforme ne rejette pas tout dans la Toussaint. Elle reconnaît plusieurs éléments bons et bibliques :
- La reconnaissance de l’œuvre de Dieu dans la vie des saints.
Les saints ne sont pas glorifiés eux-mêmes, mais témoignent de la grâce divine. « En eux, Dieu a voulu montrer la puissance de sa miséricorde. » (Calvin, Institution, III, 20, 21) - L’exemple moral et spirituel des saints.
Le chrétien est appelé à « imiter leur foi » (Hébreux 13.7) sans idolâtrer leurs personnes.
La fête des saints peut donc devenir une occasion d’édification, si elle ramène à Dieu. - La consolation de savoir que l’Église est une communion universelle, réunissant les croyants de tous les temps et lieux.
- La méditation sur la mort et la résurrection, qui peut être vécue chrétiennement, en espérant la vie éternelle.
6. Les divergences essentielles
| Thème | Tradition catholique | Perspective réformée |
|---|---|---|
| Nature de la fête | Culte de reconnaissance et d’intercession envers les saints | Mémoire et imitation des saints, sans invocation |
| Communion des saints | Communication des mérites et intercession des saints du ciel | Union spirituelle des croyants en Christ seul |
| Culte des morts | Prières pour les défunts (purgatoire) | Confiance en la résurrection et en la grâce seule |
| Médiation | Multiples intercesseurs (Marie, saints) | Christ seul Médiateur (1 Timothée 2.5) |
| Finalité | Espérance dans la sainteté partagée | Gloire à Dieu seul pour son œuvre de salut |
7. Conclusion : une fête à purifier plutôt qu’à abolir
La fête de la Toussaint peut être comprise, dans une perspective réformée, comme une célébration de la communion des croyants en Christ, vivants et glorifiés, à condition qu’elle demeure centrée sur Dieu seul.
La Réforme ne détruit pas le souvenir des saints ; elle le purifie de toute idolâtrie. Elle rappelle que la sainteté n’est pas un statut posthume mais une vocation présente pour tous ceux qui croient (1 Pierre 2.9).
Ainsi, le 1er novembre pourrait devenir pour les chrétiens réformés :
- Un jour de remerciement pour les témoins de la foi,
- Un jour de réaffirmation de la communion du corps du Christ,
- Un jour de méditation sur la mort et la résurrection,
- Un jour de gloire rendue à Dieu seul.
« Car je suis certain que ni la mort ni la vie […] ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu manifesté en Jésus-Christ notre Seigneur. » (Romains 8.38-39)
En résumé
Vivre la Toussaint en chrétien réformé, c’est :
- Remercier Dieu pour les saints d’hier,
- Imiter leur foi,
- Attendre la résurrection,
- Refuser toute idolâtrie,
- Proclamer la victoire du Christ sur la mort.
Ce jour peut donc devenir une fête de la vie en Christ, une célébration joyeuse de la fidélité de Dieu à travers les générations.
« À celui qui nous aime, qui nous a lavés de nos péchés par son sang, et qui a fait de nous un royaume de prêtres pour Dieu son Père, à lui soient la gloire et la puissance aux siècles des siècles ! Amen. »
(Apocalypse 1.5-6)
- Remarques & limites
Ces célébrations varient beaucoup selon les pays, les traditions (réformée purement calviniste, mixte réformée-luthérienne, union d’Églises…) et les usages culturels.
Dans certains pays la fête de la Réforme est plus marquée (Allemagne, certains Länder, certains cantons suisses), voire jour officiel dans le calendrier protestant ou civil.
Dans d’autres lieux, elle reste plutôt un accent liturgique / éducatif ponctuel, parfois intégré dans « dimanche de la Réforme » plutôt que le 31 octobre exactement. ↩︎

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