Jean-Baptiste Jouvenet : Les marchands chassés du Temple (1706)

Jean 2.13-25 : Les vendeurs chassés du Temple – Commentaire de Jean Calvin

Source iconographique : Jean-Baptiste Jouvenet: Les marchands chassés du Temple, 1706.

Dimanche 3 mars 2024 – 3e dimanche du temps de carême

Autres lectures : Exode 20.1-17 ; 1 Corinthiens 1.22-27.

Jean 2.13-15 (Bible Louis Segond, NVS78P, dite « A la Colombe ») : Les vendeurs chassés du temple

Textes parallèles : Mc 11.15-18 ; Mt 12.38-40 ; Lc 19.45, 46

13 La Pâque des Juifs était proche, et Jésus monta à Jérusalem.

14Il trouva établis dans le temple les vendeurs de bœufs, de brebis et de pigeons, et les changeurs.

15Il fit un fouet de cordes et les chassa tous hors du temple, ainsi que les brebis et les bœufs ; il dispersa la monnaie des changeurs, renversa les tables 16et dit aux vendeurs de pigeons :

Ôtez cela d’ici, ne faites pas de la maison de mon Père une maison de trafic.

17Ses disciples se souvinrent qu’il est écrit :

Le zèle de ta maison me dévore

18 Les Juifs prirent la parole et lui dirent : Quel miracle nous montres-tu pour agir de la sorte ?

19Jésus leur répondit : Détruisez ce temple, et en trois jours je le relèverai.

20Les Juifs dirent : Il a fallu quarante-six ans pour bâtir ce temple, et toi, en trois jours, tu le relèveras !

21Mais il parlait du temple de son corps.

22Quand il fut ressuscité d’entre les morts, ses disciples se souvinrent qu’il avait dit cela et crurent à l’Écriture et à la parole que Jésus avait dite.

23 Pendant que Jésus était à Jérusalem, à la fête de Pâque, plusieurs crurent en son nom, à la vue des miracles qu’il faisait, 24mais Jésus ne se fiait pas à eux, parce qu’il les connaissait tous, 25et parce qu’il n’avait pas besoin qu’on lui rende témoignage de quelqu’un ; il savait de lui-même ce qui était dans l’homme.

Commentaire de Jean Calvin

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Verset 13. La pâque des Juifs était prochaine. Jésus donc monta.

Il y a mot à mot au grec : Et il monta ; mais l’évangéliste a mis et en lieu de c’est pourquoi, ou donc ; car il veut dire qu’il vint alors à Jérusalem afin d’y célébrer la fête de Pâques. Or, il le faisait pour deux raisons et d’abord comme lui, qui était le Fils de Dieu, s’était assujetti à la loi pour l’amour de nous, il a voulu en gardant étroitement tous les commandements de la Loi, nous montrer en sa personne le patron et l’exemple d’une parfaite obéissance. D’ailleurs, comme il pouvait faire plus de profit en une grande assemblée de peuple, il a presque toujours usé de cette occasion. Ainsi donc, toutes les fois qu’il sera dit ci-après que Christ est venu à Jérusalem en des jours de fête, il faut que les lecteurs observent qu’il l’a fait premièrement afin de garder, comme les autres, les exercices de piété que Dieu avait ordonnés, et puis aussi, afin de publier sa doctrine en une plus vaste assemblée de peuple.

Verset 16. Ne faites point, etc.

La seconde fois qu’il chassa les marchands hors du temple, les autres évangélistes récitent qu’il parla en termes plus sévères qu’à cette fois-ci ; et qu’il leur reprocha que du temple de Dieu ils faisaient une caverne de brigands. Et voilà ce qu’il faut faire, quand un gracieux châtiment n’a de rien profité. Ici, il les avertit simplement de ne pas profaner le temple de Dieu en le faisant servir a des usages étrangers. Le temple était appelé la maison de Dieu, parce que Dieu voulait être spécialement invoqué, parce qu’il y manifestait sa vertu, et enfin parce qu’il l’avait destiné pour l’administration des cérémonies spirituelles et sacrées. Or Christ prononce ici qu’il est le Fils de Dieu, afin de montrer qu’il a droit et autorité de purifier le temple. Au reste, puisque Christ rend ici raison de son fait, si nous en voulons recueillir quelque fruit, il nous faut principalement arrêter à cette sentence.

Pourquoi donc chasse-t-il les vendeurs et acheteurs hors du temple ? C’est afin de remettre en son entier le service de Dieu que les hommes avaient corrompu par leurs vices, et pour rétablir et maintenir par ce moyen la sainteté du temple. Or nous savons bien que ce temple-là avait été édifié pour être comme une ombre des choses dont la vive image est en Christ. Ainsi donc, il fallait, pour qu’il demeurât consacré à Dieu, qu’il ne fût employé qu’a usages spirituels. C’est pour cette cause que Jésus dit qu’il n’est licite de le convertir en un lieu de marché : car il prend son principe et son fondement sur l’institution de Dieu, et c’est là ce qu’il nous faut toujours garder. Quelque illusion donc que Satan nous mette devant les yeux pour nous éblouir, sachons toutefois que tout ce qui dévoie du commandement et de l’ordonnance de Dieu, tant peu soit-il, est pervers. C’était une belle couverture pour décevoir, que de dire que le service de Dieu était entretenu et avancé, quand les fidèles trouvaient promptement ce qu’ils devaient offrir : mais parce que Dieu avait destiné son temple à d’autres usages, Christ ne s’arrête point à ce qu’on pouvait objecter contre l’ordre établi de Dieu même. Il n’en est pas ainsi de nos temples aujourd’hui ; mais ce qui est dit du temple ancien, convient proprement à l’Église : car elle est sur la terre le sanctuaire céleste de Dieu. C’est pourquoi nous devons avoir incessamment devant les yeux cette majesté de Dieu, qui réside en l’Église, afin qu’elle ne soit jamais par nous souillée d’aucune pollution. Or sa sainteté ne demeurera en son entier, que lorsqu’on ne fera rien en icelle qui soit contraire à la parole de Dieu.

Verset 17. Or ses disciples, etc.

Quelques-uns se tourmentent ici sans propos, demandant comment les disciples ont eu souvenance de l’Écriture, puisqu’ils en étaient encore ignorants ; car il ne faut pas entendre que ce passage de l’Écriture leur vînt alors en mémoire : ce ne fut que plus tard, quand étant divinement enseignés, ils considérèrent eux-mêmes ce que pouvait signifier ce fait de Jésus-Christ ; alors, par l’adresse du Saint-Esprit, ce passage de l’Écriture se présenta à eux. Et de fait, le motif des œuvres de Dieu ne nous apparaît pas toujours sur l’heure, mais plus tard et par succession de temps, Dieu nous manifeste son conseil. Et c’est ici une bride fort propre à réprimer notre audace et notre outrecuidance, et à nous apprendre à ne pas murmurer contre Dieu, si quelquefois il advient que nous ne trouvions pas bon à notre jugement ce qu’il a voulu faire.

Nous sommes aussi avertis par-là, que quand Dieu nous tient comme en suspens, il nous faut patiemment attendre le temps d’une plus pleine connaissance, et réprimer la hâtiveté excessive qui nous est naturelle; car la raison pour laquelle Dieu diffère la pleine manifestation de ses œuvres, est afin qu’il nous retienne en modestie et en humilité.

Le sens donc de ce passage est, que les disciples connurent finalement que c’était le zèle de la maison de Dieu, duquel Christ était embrasé, qui l’avait poussé à chasser hors du temple toutes ces profanations.

Il ne faut point douter que David ne comprenne sous le nom de temple, tout le service de Dieu en général, et qu’il n’ait pris ici une partie pour le tout ; car le vers entier porte ces mots : « Le zèle de ta maison m’a rongé, et les opprobres de ceux qui te faisaient des reproches sont tombés sur moi. » On voit bien que le second membre répond au premier ; et pour mieux dire, ce n’est qu’une répétition qui vient éclaircir ce qui avait été dit. Ainsi la somme de tous les deux membres est que David a été porté d’une si grande affection à maintenir la gloire de Dieu, qu’il a de son bon gré présenté sa tête pour recevoir tous les opprobres que les malins jetaient contre Dieu, et qu’il a été embrasé d’un zèle si ardent, que cette seule affection engloutissait toutes les autres. Or il témoigne bien qu’il avait lui-même un tel sentiment ; mais il ne faut point douter qu’il n’ait figuré dans sa personne les choses qui convenaient proprement au Messie. Et c’est pour cela que l’évangéliste nous dit que ç’a été ici l’une des marques par lesquelles les disciples ont reconnu que Jésus était le protecteur et le restaurateur du royaume de Dien. Il nous faut encore remarquer qu’ils ont suivi et étudié l’Écriture, pour avoir du Christ l’opinion qui était convenable. Et de fait, jamais homme n’entendra quel est Christ, ou à quel but tend tout ce qu’il a fait et tout ce qu’il a souffert, à moins qu’il ne soit enseigné et adressé par la Sainte-Écriture. C’est pourquoi selon qu’un chacun de nous désirera de profiter en la connaissance de Christ, il aura aussi besoin de méditer diligemment l’Écriture.

Au reste, ce n’est point sans cause que David fait mention de la maison de Dieu, quand il est question de la gloire d’icelui. Car, bien que Dieu ait en soi toute suffisance, et n’ait affaire de personne, toutefois il veut que sa gloire soit connue et magnifiée en l’Église. En quoi il montre un singulier témoignage de l’amour qu’il nous porte, puisqu’il conjoint sa gloire avec notre salut, comme d’un lien indissoluble. Il faut donc maintenant, pour que chacun se dispose a imiter Christ, (puisqu’en l’exemple du chef une doctrine générale est proposée à tout le corps, comme saint Paul le remontre en l’épître aux Rom., ch. XV, 3, ) il faut, dis-je, que chacun de nous, autant qu’il le peut, ne souffre point que le saint temple de Dieu soit pollué en quelque façon que ce puisse être; mais en même temps, il nous faut bien garder qu’en cela aucun n’outrepasse les limites de sa vocation. Le zèle nous doit être commun à tous avec le Fils de Dieu ; mais en même temps, il n’est pas loisible à tous d’empoigner un fouet pour corriger par voie de fait les vices ; car nous n’avons pas reçu la même puissance ni la même commission.

Verset 18. Les Juifs donc répondirent, etc.

Quant à ce qu’en une si grande assemblée nul n’a mis la main sur Christ, et que nul de ces vendeurs de bêtes et de ces changeurs ne l’a repoussé avec violence, nous en pouvons conclure qu’ils furent tous étonnés de Dieu, en sorte qu’ils demeurèrent la comme gens éperdus. C’était un miracle évident qu’un homme seul entreprit une si grande chose contre tant de gens, un homme sans armes contre gens si puissants, un homme inconnu contre si grands seigneurs. Pourquoi ne lui résistaient-ils pas, puisqu’ils étaient les plus forts de beaucoup, si n’est parce que leurs mains étaient lâches et comme rompues ? cependant ils avaient certainement quelque raison pour lui adresser cette question ; car il n’appartient pas à chacun d’introduire tout soudain des changements au temple, s’il y a quelque chose de vicieux, ou qui lui déplaise. Il est vrai qu’il est en la liberté de condamner les corruptions et les abus ; mais si un homme privé vient mettre la main pour les ôter, on l’accusera de témérité. Et comme la coutume de vendre au temple était communément reçue, Christ a ici entrepris une chose nouvelle et non accoutumée : c’est pourquoi c’est à bon droit qu’ils lui demandent de prouver qu’il est envoyé de Dieu ; car ils prennent ce principe, qu’il n’est point licite de rien changer en l’administration publique sans certaine vocation et sans commandement de Dieu. Mais ils faillaient en un autre point : c’est qu’ils ne voulaient point admettre la vocation de Christ, à moins qu’il ne fit quelque miracle. En effet, cela n’a point été perpétuel dans les prophètes et dans les autres serviteurs de Dieu, de faire des miracles ; et Dieu ne s’est point astreint à cette nécessité. Ils font donc mal d’imposer à Dieu cette loi, en demandant un signe à Jésus. Et quant à ce que l’évangéliste récite que les Juifs l’ont interrogé, il est certain que par ce mot, il désigne la multitude qui était là présente, qui représente tout le corps de l’église. C’est comme s’il disait, que ce n’a point été seulement la parole d’une ou de de deux personnes, mais celle de tout le peuple.

Verset 19. Détruisez ce temple, et en trois jours je le relèverai, etc.

C’est ici une manière de parler allégorique ; et si Christ a ainsi parlé avec quelque obscurité, c’est de propos délibéré, et parce qu’il les jugeait indignes d’une réponse plus claire et plus ouverte. C’est ainsi qu’ailleurs il déclare (Mt 13.11) qu’il leur parle en paraboles, parce qu’ils ne peuvent comprendre les secrets du royaume céleste. Or, en premier lieu, il leur refuse le signe qu’ils demandaient, ou pour ce que cela n’eût de rien profite, ou parce qu’il savait que le temps n’était pas opportun. Il a bien quelquefois fait de certaines choses pour satisfaire à des demandes qui étaient même mal réglées et importunes. Il faut donc maintenant qu’il y ait eu quelque grande cause pour l’engager à leur refuser ce qu’ils demandaient. En même temps, cependant, pour que par-là ils ne pensent pas être excuses, il leur donne à entendre que sa puissance sera approuvée et confirmée par un signe excellent et non vulgaire. En effet, on ne pouvait désirer une plus grande approbation de la vertu divine qui était en Christ, que sa résurrection des morts ; cependant il leur fait cette déclaration ou figure, c’est-à-dire en termes couverts, parce qu’il ne les estime pas dignes d’avoir une promesse ouverte. En somme, il traite ces malheureux incrédules comme ils le méritent ; et en même temps, contre tout leur mépris, il maintient son autorité. Il est bien vrai qu’il n’apparaissait point encore qu’ils fussent complétement obstinés ; mais Christ savait bien quelle était leur affection.

On pourrait cependant demander, puisqu’il a fait des miracles si nouveaux et si variés, pourquoi il n’en mentionne ici qu’un seul. Je réponds qu’il s’est tu de tous les autres, parce que sa résurrection seule était suffisante pour leur fermer la bouche, et, aussi parce qu’il ne voulait pas prostituer la puissance de Dieu à leurs moqueries. Et c’est pour cette même raison qu’il a parlé par allégorie de la gloire de sa résurrection. D’ailleurs, j’ajoute en troisième lieu qu’il a mis en avant ce qui convenait le mieux à son dessein ; car il montre par ces paroles qu’il a tout droit et toute autorité sur le temple, puisqu’il a une si grande puissance pour édifier le vrai temple de Dieu. Or, bien qu’il accommode le nom de temple à la circonstance du fait présent ; cependant, c’est très-proprement et très-convenablement que le corps de Christ est appelé un temple. Le corps de chacun de nous est appelé un tabernacle (2 Co 5.4, et 2 P 1.13) parce que l’âme habite en icelui ; mais le corps de Christ a été le domicile de sa divinité ; car nous savons que le Fils de Dieu a tellement revêtu notre nature, que la majesté éternelle de Dieu a habité en la chair qu’il a prise, comme en son sanctuaire.

Quant à ce que Nestorius abusait de ce passage pour prouver qu’il n’est pas un même et seul Christ, Dieu et homme, il est aisé de le réfuter. Voici en effet l’argument qu’il faisait : Puisque le Fils de Dieu a habité en la chair comme en un temple, les natures étaient donc séparées, en sorte qu’un même n’était pas Dieu et homme.

Mais on pourrait transporter cet argument aux hommes ; car on pourrait dire aussi, par un raisonnement semblable : L’homme dont l’âme habite au corps comme en un tabernacle, n’est point un homme seul. C’est donc une sottise que de vouloir faire servir cette façon de parler à ôter en Christ l’unité de la personne. Au reste, il nous faut bien remarquer que nos corps aussi sont appelés les temples de Dieu (1 Co 3.16, et 7.19 ; 2 Co 6.16) ; mais c’est en un autre sens, à savoir, parce que Dieu habite en nous par la grâce et la vertu de son Saint-Esprit (Co 2.9) tandis qu’en Christ la plénitude de divinité habite corporellement (1 Tm3.16) en sorte qu’il est vraiment Dieu manifesté en chair.

« Et je le relèverai en trois jours »

Christ s’attribue ici la gloire de sa résurrection, et toutefois l’Écriture témoigne partout que c’est une œuvre de Dieu le Père ; mais les deux s’accordent très-bien ensemble. Car l’Écriture, pour nous magnifier la puissance de Dieu, attribue expressément au Père d’avoir ressuscité son Fils des morts ; et ici Christ se propose spécialement en sa majesté divine. Et saint Paul met tous les deux d’accord (Rm 8.11) car faisant l’Esprit auteur de sa résurrection, il le nomme indifféremment maintenant Esprit du Père, et maintenant Esprit du Fils.

Verset 20. Ce temple a été édifié par l’espace de quarante-six ans, etc.

La supputation de Daniel s’accorde avec ce passage ; car il compte sept semaines, qui font quarante-neuf ans ; mais avant que la dernière fût finie, le temple fut parachevé. Quant à ce qu’en l’histoire d’Esdras, il est fait mention d’un temps beaucoup plus court ; bien que cela ait quelque apparence de répugnance, nonobstant, cela n’est point contraire aux paroles du prophète; car après que le sanctuaire fut dressé, et avant que l’édifice du temple fût achevé, ils commencèrent à offrir des sacrifices. Depuis lors, l’œuvre commencée fut longtemps interrompue par la paresse du peuple; comme on le voit clairement par les complaintes du prophète Aggée (1.4); car il reprend aigrement les Juifs de ce qu’ils étaient trop diligents à bâtir leurs maisons particulières, tandis qu’ils laissaient imparfait le temple de Dieu.

On demandera peut-être encore à quel propos ils font mention du temple qu’Hérode avait abattu quarante ans auparavant, ou environ. En effet, le temple qu’ils avaient alors, bien que ce fut un bâtiment fort magnifique, et qui avait coûté un merveilleux argent, avait été bâti par Hérode en huit ans contre toute espérance des hommes, ainsi que Joseph le récite au 15 livre des Antiquités judaïques, chap. dernier. Je trouve vraisemblable qu’on prenait ce nouveau bâtiment du temple, comme si l’ancien eût toujours demeuré en son état, afin qu’on y portât plus de révérence, et je pense qu’ainsi ils ont parlé à la façon commune et usitée, lorsqu’ils ont dit que les Pères avaient à grand-peine pu bâtir ce temple par l’espace de quarante-six ans. Au reste, cette réponse démontre bien de quelle affection ils ont demandé un signe ; car s’ils eussent été prêts d’obéir en toute révérence à un prophète envoyé de Dieu, ils n’eussent rejeté avec un tel orgueil ! ce qu’il leur avait dit de l’approbation de son office. Ils veulent avoir quelque témoignage de vertu divine, et en même temps ils ne veulent rien recevoir qui ne réponde à la petite capacité des hommes. C’est encore ainsi que de nos jours les papistes demandent des miracles, non pas qu’ils veuillent donner lieu à la puissance de Dieu (car ils sont résolus à donner la première place aux hommes, à mettre Dieu derrière, et à ne relâcher rien de ce qu’ils ont une fois reçu par coutume et par usage 😉 mais pour qu’il ne semble pas que se soit sans raison qu’ils sont rebelles à Dieu, ils prennent cette couleur pour couvrir leur obstination. Voilà comment les cœurs des infidèles se tempêtent en eux-mêmes d’une impétuosité aveugle, désirant que la main et la puissance de Dieu leur soient montrées, et toutefois ne voulant pas qu’elle soit divine.

Verset 22. C’est pourquoi, quand il fut ressuscité des morts, ses disciples eurent souvenance.

Cette souvenance a été semblable à la précédente, de laquelle saint Jean a fait mention ci-dessus. Les disciples ne comprenaient point Christ quand il disait ces paroles ; mais dans la suite, cette doctrine qui semblait être bien évanouie en l’air et perdue, a produit son fruit dans son temps. C’est pourquoi, bien que plusieurs choses soient pour un temps obscures dans les faits et les paroles de Christ, il ne faut pas pourtant quitter là tout par désespoir, ni mépriser ce que Jésus-nous n’entendons pas incontinent.

Au reste, il nous faut bien remarquer ici la suite des mots : qu’ils ont cru à l’Écriture et à la parole de Christ ; car l’évangéliste veut dire qu’en conférant l’Écriture avec la parole de Christ, ils ont été aidés à profiter en la foi.

Verset 23. Et lui, étant à Jérusalem, à Pâques, au jour de la fête, etc.

L’évangéliste conjoint fort à propos ce récit avec l’autre. Christ n’avait point fait de signe tel que les Juifs le demandaient; et maintenant, puisqu’il n’a rien profité envers eux par tant de miracles, si ce n’est qu’ils ont conçu une foi froide, qui n’était qu’une ombre de foi, cet événement démontre bien qu’ils étaient indignes que Christ obtempérât à leurs premiers désirs. Il est vrai que ç’a bien été un fruit de ses miracles qu’il y en eut plusieurs qui crurent en Christ, et même qui crurent en son nom, en sorte qu’ils faisaient profession de vouloir suivre sa doctrine (car le mot de nom est ici mis pour autorité). Cette apparence de foi qui était encore sans vertu, se pouvait convertir plus tard en vraie foi ; ce pouvait être une préparation utile pour célébrer le nom de Christ auprès des autres. Toutefois, ce que nous avons dit demeure véritablement ; c’est qu’ils étaient encore bien loin d’une droite affection, pour faire leur profit des œuvres de Dieu comme il était convenable.

Au reste, ce qu’ils éprouvèrent ne fut point une feintise de foi par laquelle ils voulussent avoir bruit et se faire valoir auprès des hommes ; car ils étaient persuadés que Christ était quelque grand prophète ; et par aventure ils lui attribuaient même cet honneur de penser qu’il fût le Messie dont l’attente était alors si grande en tous lieux. Mais parce qu’ils ne comprenaient pas quel était le véritable office du Messie, leur foi était mal réglée, d’autant qu’elle s’arrêtait au monde et aux choses terrestres. D’ailleurs c’était une persuasion froide et vide de vraie affection du cœur ; car les hypocrites consentent à l’Évangile, non pas pour s’adonner à l’obéissance de Christ, ni pour suivre de vraie et naïve piété ce Dieu qui les appelle ; mais parce qu’ils n’osent totalement rejeter la vérité qu’ils ont connue, et principalement quand ils ne trouvent point occasion de s’y opposer. Car de mème qu’ils ne font pas la guerre à Dieu de leur propre gré et à leur plaisir, aussi quand ils sentent que la doctrine est contraire à leur chair et à leurs affections perverses, ils s’aigrissent incontinent, ou pour le moins ils se retirent de la foi qu’ils avaient déjà conque. Je n’entends donc point que ceux que l’évangéliste dit avoir cru, aient fait semblant d’avoir une foi qu’ils n’avaient point ; mais j’entends qu’ils ont été au commencement contraints de se ranger à Christ, et que cependant leur foi n’était ni vraie ni légitime, puisque Christ, au jugement duquel il se faut arrêter, les exclut du nombre des siens. D’ailleurs, cette foi ne dépendait que des miracles, et n’avait encore pris aucune racine en la bonne nouvelle de Christ : aussi ne pouvait-elle être ni ferme ni stable. Il est vrai que des miracles aident bien aux enfants de Dieu à parvenir à la foi ; mais ce n’est point encore croire véritablement, que d’avoir en admiration la puissance de Dieu, et que de croire simplement que la doctrine est vraie, sans s’être assujetti complétement à icelle. C’est pourquoi, quand il est parlé de la foi en général, sachons qu’il y a une foi qu’on reçoit de l’entendement seulement, et qui ensuite s’évanouit facilement, parce qu’elle n’est point vivement imprimée dans le cœur. C’est là cette foi que saint Jaques, chap. 2, 17 et 26, appelle morte ; mais la vraie foi a toujours en soi l’esprit de la nouvelle naissance. Au reste, il faut remarquer que tous ne profitent pas également des œuvres de Dieu car quelques-uns sont amenés jusqu’à Dieu par icelles, tandis que d’autres en sont seulement touchés d’un mouvement aveugle et confus, en sorte qu’ils apercevront bien la puissance de Dieu, mais qu’ils ne laisseront pas toutefois de s’égarer en leurs pensées.

Verset 24. Mais Jésus ne se fiait point à eux, etc.

Quelques-uns exposent ces paroles, comme si Christ s’était donné de garde de ces Juifs parce qu’il savait qu’il n’y avait ni prud’homie ni fidélité en eux, mais il me semble qu’ils n’expriment pas assez l’intention de l’évangéliste. Beaucoup moins encore s’y accorde l’idée de saint Augustin qui nous amène ici les nouveaux convertis, et les apprentis en la foi. Selon mon jugement, l’évangéliste plutôt veut dire, que Christ ne les a point tenus pour vrais et naïfs disciples, mais les a méprisés comme gens inconstants et volages. C’est un passage qu’il nous faut diligemment noter, savoir que tous ceux qui font profession d’être disciples de Christ ne sont pas pour cela réputés tels devant lui ; mais il faut en même temps ajouter la raison qui s’ensuit incontinent: c’était parce qu’il les connaissait tous. Il n’y a rien de plus dangereux que l’hypocrisie, tant pour d’autres raisons, que parce que c’est un vice plus que commun. Il n’y a presque homme au monde qui ne se plaise à lui-même; et quand nous nous trompons par nos vaines flatteries, nous pensons que Dieu n’y voit rien et qu’il est aveugle comme nous. Mais nous sommes ici admonestés, de la grande différence qu’il y a entre son jugement et le nôtre : car il voit au clair les choses que nous ne pouvons apercevoir, parce qu’elles sont couvertes de quelque déguisement. Il estime et il juge selon la source cachée les choses qui nous éblouissent les yeux, à cause de quelque faux lustre dont elles sont fardées. C’est ce que dit Salomon, Pr 21.2 : Dieu pèse dans sa balance les cœurs des hommes, au lieu qu’eux se plaisent et se flattent en leurs voies. Qu’il nous souvienne donc qu’il n’y a point de vrais disciples de Christ, que ceux qu’il approuve, parce qu’il est seul juge compétent en cette affaire.

Maintenant, quand l’évangéliste dit que Christ les connaissait tous, on pourrait ici demander s’il ne désigne que ceux dont il avait parlé naguère, ou bien, si ces paroles se rapportent généralement à tout le genre humain. Plusieurs l’étendent à la nature commune des hommes, et pensent que tout le monde est ici condamné d’une feintise perverse et déloyale. Et de fait, c’est une sentence véritable, que Christ ne peut rien trouver en tous les hommes qui puisse l’engager à les mettre au nombre des siens. Mais je ne vois point que cela convienne au fil du texte je le restreins donc à ceux desquels il avait fait mention ci-dessus. Mais comme on pouvait douter d’où venait à Christ une telle connaissance, l’évangéliste, prévenant cette objection, répond que Christ connaissait tout ce qui est caché dans les hommes et que nous ne voyons pas ; en sorte que de son autorité il pouvait mettre des distinctions entre les hommes. Christ donc, qui connaît les cœurs, n’avait point besoin que personne l’avertit pour savoir quels étaient ceux-ci : il connaissait qu’ils étaient de telle nature, et qu’ils avaient telle affection, bon droit il les réputait étrangers et gens qui ne lui appartenaient point.

Quant à ce que quelques-uns demandent si, à l’exemple de Christ, nous ne pouvons pas aussi avoir pour suspects ceux qui ne nous ont montré aucun témoignage de leur prud’homie, ce ne peut être à propos de ce passage, car il y a bien grande différence entre lui et nous. Christ connaissait jusqu’aux racines des arbres ; mais nous, nous ne connaissons ce qu’est un arbre que par les fruits qui se montrent au dehors. Et puisque la charité n’est point soupçonneuse, (comme dit saint Paul en 1 Co 13.4) il ne nous est point licite de mal soupçonner sans cause des hommes qui nous sont inconnus. Mais afin que nous ne soyons pas toujours déçus par les hypocrites, et que l’Église ne soit pas trop exposée à leurs fallaces méchantes, l’office de Christ est de nous garnir de l’esprit de discrétion.

Remarques

Les animaux des sacrifices ne devraient pas être sur l’esplanade du Temple : normalement, les marchands de bestiaux auraient dû se trouver dans la vallée du Cédron et sur les pentes du mont des Oliviers. Peu à peu, ils s’étaient rapprochés du Temple jusqu’à s’installer sur l’esplanade. C’est cela que Jésus leur reproche, à juste titre.

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