Grégoire de Nazianze

Grégoire de Nazianze (329-390)

Théologien et docteur de l’Église, évêque de Constantinople (380-381)

Grégoire de Nazianze

Apport pour la Théologie Réformée :

Grégoire de Nazianze est l’un de mes Pères de l’Église préférés, avec Saint Augustin. Son sens de Dieu est remarquable. Il n’a pas été surnommé « le Théologien » ‒ au même titre que l’Apôtre Jean ‒, pour rien.

On retrouve chez Calvin des accents similaires pour ce qui est de la théologie du Saint Esprit. Calvin a parfois été surnommé, comme Grégoire de Nazianze, le théologien du Saint Esprit. Il faut en particulier s’arrêter sur ce que le Réformateur de Genève dit au sujet du « témoignage intérieur du Saint Esprit » pour s’en convaincre.

On retrouve aussi des accents similaires sur la notion de l’incompréhensibilité de Dieu. Grégoire a développé une théologie très équilibrée entre l’approche apophatique et l’approche dite kataphatique (voir ci-après), entre l’incompréhensibilité de l’essence divine et la connaissabilité de Dieu en vertu de sa révélation, entre la théologie négative et la théologie positive, entre ce que les théologiens réformés nommeront plus tard les attributs incommunicables de Dieu et ses attributs communicables, ce que Dieu est « en soi » et ce qu’il est « pour nous » dans l’Alliance.

Grégoire est aussi le champion de l’orthodoxie au Concile de Constantinople face à l’hérésie arienne, à la suite du Concile de Nicée, et à en particulier défendu la pleine divinité du Saint Esprit, en tant que 3e personnes de la Trinité.

Il faut noter aussi sa théologie de la culture, qui rejoint celle de son grand ami, Basile de Césarée. Les chrétiens doivent « dérober », acquérir et assimiler toutes les richesses des cultures grecques ou égyptiennes en rejetant ce qui relève de l’idolâtrie. On peut parler en un sens d’une approche qui se veut universaliste et inclusive, plutôt qu’exclusive et sectaire, ou séparatiste. Accents que l’on retrouvera bien plus tard chez les théologiens de la Réforme, et chez Abraham Kuyper dans ses Lectures on calvinism.

Biographie [wiki] :

Grégoire de Nazianze (en grec ancien : Γρηγόριος ὁ Ναζιανζηνός), ou « de Naziance », dit « le Jeune », ou encore Grégoire le Théologien, né en 329 en Cappadoce et mort en 390, est un théologien et un Docteur de l’Église. Il fait partie avec Basile de Césarée et Grégoire de Nysse des Pères cappadociens.

Issu d’une famille chrétienne, Grégoire fait ses études à Alexandrie puis à Athènes, où il rencontre Basile de Césarée, qui devient son ami. Il rentre à Nazianze, où il est ordonné prêtre par son père. Ordonné ensuite contre son gré évêque de Sasimes par Basile de Césarée, il ne peut s’établir dans cette cité et reste chez son père, devenant ainsi le premier évêque auxiliaire de l’Église.

À la mort de son père, il décide de se retirer pour mener une vie cénobitique. Il est invité à Constantinople, où il prend part à la lutte contre l’arianisme et contre les divisions de l’Église de Constantinople. Partisan de la doctrine du concile de Nicée, il cherche à défendre la place de l’Esprit Saint dans la théologie orthodoxe.

L’empereur Théodose Ier impose Grégoire de Nazianze comme évêque de Constantinople. Il préside alors le concile de Constantinople mais démissionne alors que les débats sont loin d’être achevés. Il retourne à Nazianze, où il écrit de nombreuses lettres et discours en faveur notamment de la thèse qui considère l’Esprit Saint comme l’une des personnes de la Trinité.

La richesse des écrits théologiques de Grégoire conduit très vite à sa reconnaissance dans toute la chrétienté. Ses œuvres sont traduites en latin, puis dans différentes langues. Il influence significativement la théologie de la Trinité tant des Pères grecs que des Pères latins.

Père de l’Église, il est introduit dans le bréviaire comme Docteur de l’Église par le pape Pie V en 1568. Il est vénéré tant par les catholiques que par les orthodoxes.

Ses reliques, transférées à Rome au viiie siècle pour éviter leur destruction lors de la querelle iconoclaste, ont été restituées en 2004 par le pape Jean-Paul II au patriarche Bartholomée Ier de Constantinople. Ce geste est à interpréter comme un signe de réconciliation entre catholiques et orthodoxes.

Premier concile de Constantinople

Théodose Ier décide de convoquer le deuxième concile de l’histoire du christianisme en mai 381A 33. Le premier concile de Constantinople, plus restreint que le concile de Nicée dans la mesure où aucun évêque latin n’a été invité19, a pour vocation de restaurer la foi proclamée par le symbole de NicéeA 34. Au même moment, Grégoire, qui a une santé fragile, tombe malade au point qu’il rédige son testament le 31 mai 381A 35.

Le concile de Nicée avait omis de parler de la nature divine de l’Esprit Saint ; or, lors du premier concile de Constantinople, cette question fait débat entre les évêques, mais surtout pour Grégoire de Nazianze qui veut que l’on reconnaisse la nature divine du Saint Esprit. Sa position doctrinale repose sur la formule de l’homoousios (consubstantialité du Père, du Fils et du Saint-Esprit, selon le credo de Nicée). Lors du concile, les évêques utilisent une autre formule, l’ekporeuomenon (expression selon laquelle l’Esprit Saint procède du Père)A 39. Cette formule est une vision minimaliste, qui pouvait être fragilisée par certains théologiens ariens. Cependant, même si la formule de Grégoire n’est pas consacrée, le concile de Constantinople reconnaît ouvertement, même si c’est de façon minimaliste, la divinité de l’Esprit Saint.

Retraite de Grégoire de Nazianze

À la suite de sa démission du concile, il décide de retourner à Nazianze en 381. Il semble passer un temps à se reposer et à se soignerA 41. Il dirige alors le diocèse de Nazianze de manière intérimaire, le diocèse n’ayant pas encore d’évêqueA 41.

Il écrit l’éloge funèbre de Basile de CésaréeE 6,21, qui est à la fois un éloge de son ami défunt et un véritable plaidoyer pour la fonction épiscopale. Il fait l’éloge de Basile, qu’il décrit comme un évêque profondément croyant et priant, qui a suivi la volonté de Dieu, en préférant la suivre à tout prix, et préférant Dieu à tout. Grégoire fait l’éloge de la formation et de la culture de Basile, s’insurgeant contre les ignorants et les borgnes qui se limitent à la formation moraleA 42.

Grégoire de Nazianze profite de cette période pour écrire beaucoup. Non seulement des discours, mais aussi des lettres à ses amisG 5. Le concile de Constantinople continue en 382 et en 383, mais Grégoire refuse d’y participer tout en s’y intéressant et en conseillant ses amis pour la suite du concileA 43. Il perçoit avec lucidité l’importance que peut avoir la théologie d’Apollinaire de Laodicée, débat par écrit et attire l’attention de son successeur à Constantinople sur les problèmes que l’apollinarisme peut poser. Il utilise des formules nettes qui sont reprises par les canons orthodoxes, affirmant à propos de la nature de la deuxième personne de la Trinité qu’il y a un seul Fils ayant deux natures : celle de Dieu fait homme et celle d’homme divinisé. :

Il écrit trois petits traités dits Lettres théologiques, mais aussi des poèmes, dont le plus long est son autobiographie. Il remanie ses écrits et ses discoursA 44. À partir de 389, il se retire de toute vie active à Arianze. Il écrit les discours 44 et 45 et meurt en 390.

Postérité

Écrits

Grégoire de Nazianze reste dans la postérité du fait de ses nombreux écrits, principalement ses discours théologiques. Il a laissé également 45 discours, dont la moitié prononcée à ConstantinopleF 1. Différents sermons ont été distingués : cinq discours dits « théologiques » (Discours 27 à 35), le discours panégyrique d’Athanase d’Alexandrie (discours 21), les oraisons funèbres de son père Grégoire l’Ancien (discours 18), de son frère Césaire de Nazianze et de sa sœur Gorgonie (discours 7 et 8), de Basile de Césarée (discours 43), et deux discours contre Julien. Il a aussi écrit de nombreux poèmes théologiques et historiques qui traitent d’événements de sa vie, ainsi qu’un poème autobiographique (le poème 11)H 2 et une tragédie, la Passion du Christ vécue au travers du personnage de MarieI 4. Une partie de la production poétique de Grégoire est formellement influencée par la poésie épique — bien qu’il en rejette les thèmes — et s’exprime en hexamètres dactyliques ainsi qu’en distiques élégiaques, des formes morphologiques et lexicales puisées dans le corpus homérique dont l’usage est à la mode au ive siècle22.

Deux cent quarante-deux lettres de Grégoire de Nazianze ont été conservéesG 5, dont certaines ont une grande importance théologique (les lettres 101, 102, 20223) contre l’apollinarismeF 1.

Les oraisons funèbres constituent un genre que Grégoire a introduit dans l’Église. Il a christianisé les éloges funèbres païens, créant un nouveau genre littéraireF 1.

La majorité des écrits qui nous sont parvenus date de la fin de sa vie. Dès la fin du siècle, neuf discours de Grégoire de Nazianze sont traduits en latin par Rufin d’AquiléeA 45. Très vite, certains de ses écrits sont traduits en arabecoptearméniensyriaque. Des manuscrits de Grégoire de Nazianze sont répertoriés dès le viiie siècle, chose extrêmement rare pour l’époqueA 46Jacques-Bénigne Bossuet puise des éléments de l’Apologétique pour rédiger le Sermon sur l’Unité de l’Église, ainsi que son panégyrique de Paul de TarseE 2.

La première édition complète des écrits de Grégoire de Nazianze est établie par des bénédictins au xviiie siècleNote 4,A 46. Cette édition a été reprise et réimprimée dans la Patrologie grecque publiée sous le Second EmpireA 46,24. Une nouvelle édition critique est en cours de publicationA 47,25.

Saint Grégoire de Nazianze évoque ici l’amitié qui le liait à Basile le Grand alors qu’ils étaient tous deux étudiants à Athènes26.Une seule âme pour deux corps

« Quand, avec le temps, nous nous sommes mutuellement avoué nos aspirations et l’objet de nos aspirations — vivre en philosophes —, alors, à partir de ce moment-là, nous avons été tout l’un pour l’autre, partageant même toit et même table, profondément unis, n’ayant qu’un seul et même regard, développant continuellement l’un chez l’autre la chaleur et la fermeté de nos aspirations.

Il y avait une lutte entre nous deux pour déterminer celui qui aurait personnellement non pas la première place, mais le moyen de céder celle-ci à l’autre, car nous faisions nôtre la réputation de l’autre. On eût dit chez l’un et chez l’autre une seule âme pour porter deux corps, et, s’il ne faut pas croire ceux qui disent que tout est dans tout, on doit nous croire quand nous disons que nous étions l’un dans l’autre et l’un aux côtés de l’autre. Nous n’avions tous deux qu’une tâche : pratiquer la vertu et vivre en vue des espérances futures, détachés d’ici avant de partir d’ici. Les yeux fixés sur ce but, nous dirigions notre vie et notre activité tout entière, guidés de cette façon par le commandement et nous excitant mutuellement à la vertu, et, si ce n’est pas pour moi trop dire, étant l’un pour l’autre règle et cordeau pour distinguer ce qui est droit de ce qui ne l’est pas.
Pour nous, la grande affaire et le titre suprême consistaient à être chrétiens et à en porter le nom. »

— St Grégoire de Nazianze. Discours 43, 19-21, trad. J. Bernardi, Paris, Cerf, coll. « Sources Chrétiennes » 384, 1992, p. 163-169.

Commentaire des Livres des Maccabées, écrits juifs en langue grecque dont le thème est lié à la révolte des Maccabées qui eut lieu dans la Judée de l’époque hellénistique.

Heureux prélude

« Bien peu de gens honorent les Maccabées, sous prétexte que leur lutte n’a pas eu lieu après le Christ, eux qui sont pourtant dignes d’être honorés de tous parce que leur endurance s’est exercée pour la défense des institutions de leurs pères ! Et que n’auraient fait les hommes qui ont subi le martyre avant la passion du Christ, s’ils avaient été persécutés après le Christ et l’avaient imité dans sa mort pour nous ? Car ceux qui, sans l’aide d’un pareil exemple, ont fait preuve d’une si grande vertu, comment ne se seraient-ils pas montrés plus nobles encore dans des dangers affrontés après cet exemple ?

Voici Éléazar27, prémices de ceux qui sont morts avant le Christ, comme Étienne l’a été de ceux qui sont morts après le Christ. C’est un saint homme et un vieillard, aux cheveux blanchis et par la vieillesse et par la prudence. Auparavant il sacrifiait pour le peuple et priait, mais maintenant c’est lui-même qu’il offre à Dieu en sacrifice très parfait, victime expiatoire de tout le peuple, heureux prélude de la lutte, exhortation parlante et silencieuse. Il offre aussi les sept enfants, l’accomplissement de son éducation, en sacrifice vivant, saint, capable de plaire à Dieu (Rm 12, 1), plus splendide et plus pur que tout sacrifice conforme à la Loi. Car il est parfaitement juste et légitime de porter au compte du père les actions des enfants. Imitons Éléazar, qui a montré le meilleur exemple en parole et en acte. »

— Grégoire de Nazianze. Discours 15, 1.3.12, trad. Raphaëlle Ziadé, Les martyrs Maccabées : de l’histoire juive au culte chrétien, Leyde, Brill, 2007, p. 301-302, 311.

Le psautier conservé à la Bibliothèque nationale de France (ms.grec 510, f.30v) représente une Crucifixion dans laquelle on peut se demander si les yeux du Christ sont ouverts ou fermés. Il est parfaitement droit, et vêtu du colobium (tunique sans manche)28.

Théologie

Christianisme et culture

Certains chrétiens de la région sont méfiants vis-à-vis de la culture essentiellement hellénique, d’autres soutiennent une incompatibilité avec les récits mythologiques non chrétiens (évhémérisme). De même, certains intellectuels sont souvent hostiles au christianismeA 50. Cette hostilité avait eu pour réponse une certaine hargne des chrétiens pour la cultureA 50, à l’exemple de Tatien le Syrien. Grégoire de Nazianze garde quant à lui durant toute sa vie la conviction que le christianisme et la culture ne s’opposent pas, mais sont parfaitement conciliables.

Il s’oppose ainsi vivement à l’empereur Julien qui, dans un édit, interdit aux grammairiens et rhéteurs chrétiens d’enseigner les lettres classiques31. Bien que Julien ait favorisé les donatistes32 et qu’il ne se prononce pas dans les querelles ariennes de l’époque33, pour Grégoire, cette interdiction va à l’encontre du christianisme et il compare l’empereur à Ponce Pilate. Il concentre ses critiques sur la volonté de Julien de faire des chrétiens une secte marginale composée de personnes incultesB 25. Pour Grégoire, la sagesse et la culture sont universelles, elles n’appartiennent pas à une civilisation, aux Égyptiens ou aux Grecs, mais viennent à tous puisqu’elles viennent de Dieu. Les chrétiens doivent donc « dérober », acquérir et assimiler toutes les richesses des cultures grecques ou égyptiennes en rejetant ce qui relève de l’idolâtrieB 26,34. L’attitude de Julien, qui vise à exclure les professeurs chrétiens de l’enseignement et donc à marginaliser l’apprentissage, est fermement dénoncéeB 25.

Lors de l’éloge funèbre de Basile de CésaréeGrégoire de Naziance loue la grande culture de son ami. Il justifie ainsi la culture que beaucoup de chrétiens rejettentA 42, critiquant les « ignorants et incultes » qui se contentent d’une simple formation moraleA 42. En décrivant l’évêque parfait que fut Basile, Grégoire de Nazianze développe ainsi la conception qu’il se fait du clergé et de la dignité d’évêque. Celui-ci doit avoir, en plus de grandes qualités de prière et d’oraison, une culture développée, à l’image de la culture grecque de Basile.

Enfin, dans ses nombreux écrits, Grégoire de Nazianze a développé et utilisé toutes les connaissances qu’il a acquises pendant ses études dans les écoles et à Athènes. Il a, par ses plaidoyers, oraisons funèbres et discours d’adieu, utilisé les règles grecques, tout en les christianisantA 51. Alors que dans les écoles, les chrétiens apprennent les exemples de mythes grecs ou païens, Grégoire transmet toutes ses règles d’éloquence en utilisant des exemples de foiA 51.

Philosophie de Dieu

Grégoire de Nazianze ambitionne de devenir philosophe. Pour lui, la philosophie et la théologie se confondentB 27. Deux méthodes sont en usage alors afin de parler de Dieu. La première, l’apophatisme, consiste à définir ce que n’est pas Dieu, Celui-ci ne pouvant être défini35 ; de nature transcendantale, la raison humaine ne peut y accéder. La deuxième méthode est la cataphatique ; elle conduit à définir positivement Dieu. Grégoire de Nazianze, qui utilise les deux méthodes, a un point de vue particulier sur la question. Pour lui, la raison humaine ne peut pas permettre de comprendre complètement Dieu, mais elle permet seulement de l’esquisserB 28.

Pour Grégoire, seul celui qui mène une vie mystique, c’est-à-dire de prière et de recueillement, peut vraiment parler de Dieu. Il définit la théologie comme une ascension mystique, à l’image de Moïse qui, au Mont Sinaï, contemple Dieu, de dos, sans pouvoir réellement le comprendreA 26. La véritable connaissance de Dieu découle donc de la méditation et de la vie de prière, la raison ne pouvant que partiellement rendre compte de cette réalité. Grégoire s’oppose pendant le premier concile de Constantinople aux débats des théologiens. Il considère que bon nombre de théologiens sont en réalité des sophistes du fait qu’ils refusent de vivre une existence mystique.

Cette conception le conduit à s’opposer à Eunome. Celui-ci affirme pouvoir, grâce à la raison humaine, « connaître Dieu de la même façon qu’il se connaît lui-même »A 28. Cette confiance dans la rationalité est incompatible avec la nature humaine pour Grégoire de Nazianze. En effet, même s’il ne nie pas l’importance de la raison humaine, il affirme que la connaissance de Dieu est en partie hors de sa portéeB 29. Cette connaissance de Dieu nous est rendue impossible du fait de notre corps terrestre, et notre raison est limitée face à l’infini divin : « Toujours apparaît quelque chose qui lui échappe, alors, ô merveille! — cela, pour éprouver, moi aussi, la même impression — il enveloppe de stupeur son discours, il appelle une telle réalité richesse de Dieu et profondeur et il reconnaît l’incompréhensibilité des jugements de Dieu »B 30,36.

Nature de la Trinité

La période qui suivit le Concile de Nicée est marquée par des discussions sur l’essence divine et l’opposition de différents courants théologiques sur la nature divine de la TrinitéB 31. La théologie trinitaire n’étant pas alors bien définie, le rôle de Grégoire de Nazianze est extrêmement important, car il a permis de la définir et de la développer. Ses écrits constituent l’un des fondements de la théologie trinitaire de l’orthodoxie.

Les principaux courants, qui sont considérés postérieurement comme hérétiques, l’arianisme et le sabellianisme, s’opposent sur la nature de la Trinité. Le modalisme et le monarchianisme sont deux conceptions du sabellianisme. Pour l’arianisme, la définition de la Trinité ne peut pas être celle qui a été établie par le concile de Nicée : Dieu étant premier, il ne peut avoir de principe. La deuxième personne de la Trinité, le « Fils », c’est-à-dire Jésus Christ, ne peut donc pas être de même nature que le Père, puisqu’il est engendré par LuiB 32,B 33. Si le Christ est de nature divine, sa nature est inférieure à celle de Dieu le Père. Le deuxième courant est représenté par SabelliusB 34. Pour lui, la Trinité ne consiste pas en personnes différentes, mais le Père et le Fils et le Saint-Esprit ne sont que des modes d’actions différents de DieuB 34. Sabellius croit donc en la Trinité, mais non pas en tant que personnes distinctes, mais comme une seule et même personne prenant des noms différents.

Face à l’arianisme et au sabellisme, considérés ultérieurement comme des hérésies, Grégoire de Nazianze développe dans ses écrits la théologie d’un Dieu trinitaire. Il définit Dieu comme l’égalité des trois hypostases consubstantiellesB 35, l’hypostase étant définie comme un être premier, concret et personnel. Ainsi le Père, le Fils et le Saint Esprit sont tous les trois de nature divine, donc ce sont trois hypostasesB 35. La difficulté serait alors de dire qu’il n’existe pas un Dieu, mais trois Dieux, puisqu’il existe trois hypostases. Cependant pour Grégoire, la Trinité n’est pas l’existence de trois Dieux différents, mais d’un unique Dieu ; les trois hypostases sont donc consubstantielles, c’est-à-dire un seul et même DieuB 35.

Grégoire précise ainsi la définition de la Trinité. Il défend la monarchie de Dieu, son unité, sans pour autant nier sa nature trinitaire : « une monarchie constituée par l’égale dignité de nature, l’accord de volonté, l’identité de mouvement et le retour à l’unité de ceux qui viennent d’elle — ce qui est impossible quand il s’agit de la nature procréée ». Les trois personnes de la Trinité sont, pour Grégoire, profondément unies et non distinctes ou divisées. Il s’oppose en cela à l’arianisme qui considère les trois personnes comme étant de nature différente, l’une inférieure à l’autre, ce qui rend difficile leur unité de pouvoir, leur monarchie, et donc remet en cause la définition de Dieu comme principe premier dans la mesure où seul Dieu le Père est premierB 36.

Rapport des personnes de la Trinité

La conception arienne affirme la divinité de Dieu, tout en affirmant la nature inférieure de la dignité du Christ : le Christ étant engendré, il n’a pas toujours existé, il a été créé. Grégoire de Nazianze s’oppose à cette conception. Il affirme que le Fils a été engendré en dehors du temps et d’une manière inexprimable. Ainsi les objections sur la nature temporelle du Fils n’ont pas lieu d’être pour Grégoire de Nazianze : « Car les mots « quand », « avant cela » et « depuis le commencement » ne sont pas en dehors du temps, si grande que soit la violence que nous leur faisons »B 37,37.

Grégoire de Nazianze définit l’existence du Fils et de l’Esprit Saint comme des réalités, non pas temporelles, comme le considère une partie des ariens, mais coéternelles. Le Christ n’a pas d’existence à partir du moment de sa naissance mais existe dans l’éternité. Le Fils et l’Esprit Saint ne sont pas liés par des catégories ou des principes temporels, du fait de leur nature divineB 37,37.

Théologien de l’Esprit Saint

Grégoire de Nazianze est avec Basile de Césarée l’un des plus grands théologiens de l’Esprit Saint. Après le Premier concile de Nicée, la nature divine de l’Esprit Saint était une question ouverteB 38. Dès sa nomination en tant qu’évêque, il affirme sa volonté de défendre publiquement la divinité de l’Esprit Saint, afin de la « faire briller pour toutes les églises »B 38. Lors du premier concile de Constantinople auquel il participe, il défend systématiquement la divinité de l’Esprit Saint en répondant aux différentes thèses sur ce mystère religieuxB 39.

En analysant les Écritures, Grégoire de Nazianze affirme que l’Esprit Saint est de nature divine dans la mesure où il est défini comme un être actif. Cette définition implique donc qu’il ne soit pas considéré comme un attribut de Dieu, comme le prétendent certains théologiens de l’époque. Comme l’Esprit Saint parle, sépare, agit, cela signifie donc qu’il est essence. Comme il n’est pas une créature de Dieu, et que les chrétiens affirment être baptisés en Lui, cela implique donc que nous sommes baptisés en Dieu, donc que l’Esprit Saint est DieuA 40.

Il s’oppose également aux théologiens qui transfèrent les attributs humains à DieuB 40, affirmant par ailleurs le caractère masculin de Dieu, « le Père ». Pour Grégoire de Nazianze, toute notion humaine appliquée à Dieu ne peut être que relative, Dieu étant d’une nature différente de l’homme. Le divin ne peut être défini clairement par l’homme, comme le proposent les théories eunoméennesB 41. Celles-ci sont pour Grégoire une « déformation de la foi et l’anéantissement du mystère » qu’est Dieu.

Face aux théologiens ariens qui nient la divinité de l’Esprit Saint dans la mesure où il n’y a pas d’affirmation de la divinité de l’Esprit Saint dans la Bible, Grégoire défend l’existence d’une révélation progressive des dogmes dans la période post-apostoliqueB 42. Enfin, il montre qu’il existe dans la Bible de nombreux passages parlant de la présence de l’Esprit Saint, tant dans la liturgie que dans la narrationNote 5.

Discours théologiques

Grégoire de Nazianze, Docteur de l’Église, est le premier après saint Jean à avoir été surnommé le « Théologien » pour la profondeur de ses discours sur Dieu.Dieu ne donne rien qui ne soit grand

« Frères et bien-aimés, ne soyons pas les mauvais économes des biens que l’on nous a confiés (Lc 12, 41-48), si nous ne voulons pas entendre gronder la voix de Pierre : « Rougissez, vous qui retenez le bien d’autrui. Imitez l’équité de Dieu et il n’y aura plus de pauvres » (1 P 4, 10). Ne nous tuons pas à amasser de l’argent quand nos frères meurent de faim, pour ne point nous exposer à de sévères remontrances, comme aux paroles du divin Amos : « Prenez garde, vous qui dites : Quand le mois sera-t-il passé afin que nous vendions, et le sabbat écoulé, pour que nous ouvrions nos dépôts ? » (Am 8, 5). Et il menace encore de la colère de Dieu les marchands qui truquent leurs balances.
Imitons cette loi sublime et première d’un Dieu « qui laisse tomber sa pluie sur les justes et sur les méchants et fait lever son soleil sur tous les hommes sans distinction » (Mt 5, 45). Aux créatures qui vivent sur terre, il octroie d’immenses espaces, des sources, des fleuves, des forêts. Pour les espèces ailées, il crée l’air et l’eau pour la faune aquatique. Il fournit en abondance pour chacun sa première subsistance. Et ses dons ne tombent pas aux mains des forts, ni ne sont mesurés par une loi, ni partagés entre des États. Tout est commun, tout est en abondance.
Il ne donne rien qui ne soit grand. Ainsi honore-t-il l’égalité naturelle, par l’égal partage de ses grâces ; ainsi révèle-t-il l’éclat de sa munificence. »

— Discours 14 sur l’amour des pauvres, 24-25, trad. France Quéré, « Riches et pauvres dans l’Église ancienne ». Lettres chrétiennes 2, Migne, Paris, 2011, p. 152-153.

Bibliographie

Éditions

  • Clavis Patrum Græcorum 3010-3125.
  • Migne, Patrologiae Cursus Completus, Series Graeca, tomes 35 à 38, Paris, 1857-1866.
  • Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum, tome 46, 1910.

Œuvres en traduction française

  • Discours (380), trad. no 1 à 3 (1978), trad. Marie-Ange Calvet-Sebasti no 6 à 12, trad. Justin Mossay no 20 à 23, trad. Justin Mossay, no 24 à 26 (1981), trad. no 27 à 31, trad. Paul Gallay no 32 à 37, Claudio Moreschini no 38 à 41, trad. Jean Bernardi no 42 et 43, Cerf, coll. « Sources chrétiennes »
  • Poèmes et lettres, trad. P. Gallay, Emmanuel Vitte, 1941.
  • Épigrammes, apud Anthologie grecque, t. VI, Les Belles Lettres, 1960.
  • Homélies, Soleil levant, 1962.
  • Lettres, Les Belles Lettres, 1964.
  • La Passion du Christ : tragédie, Cerf, coll. « Sources chrétiennes », 1969.
  • Lettres théologiques, Cerf, coll. « Sources chrétiennes », 1974.
  • Poème de ma vie, trad. A. Lukinovich et C. Martingay, Grégoire de Nyzianze. Le dit de sa vie, poème autobiographique, Genève, ad solem, 1997.
  • Grégoire de Nazianze, collectif et André Tuilier (Sous la direction de), Œuvres poétiques. Tome I, 1re partie : Poèmes personnels (II, 1, 1-11), coll. « Collection des universités de France Série grecque: Collection Budé », 2004, 798 p. (ISBN 978-2-251-00516-4)
  • Raphaëlle Ziadé, Les Martyrs Maccabées : De l’histoire Juive au culte Chrétien : Les Homélies de Grégoire de Nazianze et de Jean Chrysostome, Brill, coll. « Vigiliae Christianae, Supplements », 2006, 398 p. (ISBN 978-90-04-15384-4lire en ligne [archive])Document utilisé pour la rédaction de l’article
  • Éloge funèbre de Césaire, Hachette Livre BNF, coll. « Littérature », 2013, 126 p. (ISBN 978-2-01-288409-0)

Études sur Grégoire de Nazianze

  • France Quéré, « Réflexions de Grégoire de Nazianze sur la parure féminine (Étude du poème sur la coquetterie, I, II, 29) », Revue des Sciences Religieuses, t. 42, no 1,‎ 1968, p. 62-71. (lire en ligne [archive])
  • Jean Bernardi, « Grégoire de Nazianze et le poète comique Anaxilas », Pallas, vol. Épopée – Tragédie – Antiquité tardive, no 31,‎ 1984, p. 157-161. (lire en ligne [archive])
  • Jean Bernardi, Saint Grégoire de Nazianze. Le Théologien et son temps (330-390), Éditions du Cerf, Paris, 1995.
  • André Tuilier, « Grégoire de Nazianze », dans Jean Leclant (dir.), Dictionnaire de l’Antiquité, Presses universitaires de France, 2005.
  • Albert Houssiau, « Vie contemplative et sacerdoce selon Grégoire de Nazianze : À propos du livre de Francis Gautier », Revue théologique de Louvain, vol. 37ᵉ année, no 2,‎ 2006, p. 217-230. (lire en ligne [archive])
  • Justin Mossay, Nazianze et les Grégoire. Réflexions d’un helléniste retraité, Bruxelles, Safran (éditions), coll. « Langues et cultures anciennes, 15 », 2009, 192 p. (présentation en ligne [archive]).
  • Francis Gautier, La retraite et le sacerdoce chez Grégoire de Nazianze, Turnhout (Belgique), Brepols, coll. « Bibliothèque de l’École des hautes études, section des sciences religieuses, numéro 114 », avril 2003, 457 p. (ISBN 2-503-51354-9)
  • Francis Gautier, « Grégoire de Nazianze. Le miroir de l’Intelligence ou le dialogue avec la Lumière », Théologiques, vol. 16, no 2,‎ 2008, p. 31-47 (lire en ligne [archive])
  • Père Philippe Molac (trad. du grec ancien, préf. Philippe Barbarin), Discours sur le sacerdoce de Grégoire de Nazianze : traduction commentée, Paris/Perpignan, Lethielleux Éditions, coll. « Art. Christiani. », 2018, 204 p. (ISBN 978-2-249-62587-9)
  • Guillaume Bady, « La Lumière, image de Dieu et nom de l’homme chez Grégoire de Nazianze », Revue des Sciences philosophiques et théologiques, vol. 97, no 4,‎ octobre-décembre 2013, p. 459-476 (lire en ligne [archive])

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