29e dimanche du Temps ordinaire – Dimanche 22 octobre 2023 – N’Djaména (Tchad) – Pasteur Vincent Bru
Matthieu 22.15-21 : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu »
Autres lectures : Ésaïe 45.1-6 ; 1 Thessaloniciens 1.1-5
En ce temps-là,
15 les pharisiens allèrent tenir conseil
pour prendre Jésus au piège
en le faisant parler.
Les trois paraboles précédentes ont dévoilé l’orgueil et l’obstination des grands prêtres et des pharisiens face à l’appel au repentir et devant l’annonce de l’avènement du Royaume et la présence du Fils. Leur intention d’arrêter Jésus ne peut s’exécuter en raison de leur crainte vis-à-vis de la foule qui tient Jésus pour un prophète (21.45).
Le débat se poursuit cependant sur des sujets sensibles auxquels Jésus devra répondre publiquement tout en évitant de tomber dans les pièges tendus par ses adversaires.
Trois questions vont être ainsi posées à Jésus, trois questions-piège :
1. les pharisiens et la question de l’impôt (22.15-22),
2. les sadducéens à propos de la résurrection (22.23-33)
3. et un scribe sur le plus grand commandement (22.34-40).
Intéressons-nous donc à la première question, celle posée par les pharisiens, les champions de la Loi auxquels Jésus reproche souvent leur hypocrisie.
15 les pharisiens allèrent tenir conseil
pour prendre Jésus au piège
en le faisant parler.
16 Ils lui envoient leurs disciples,
accompagnés des partisans d’Hérode…
On peut assez bien se représenter la scène.
Un certain nombre de pharisiens, on ignore combien exactement mais plusieurs, accompagnés de partisans d’Hérode viennent voir Jésus pour essayer de le mettre en défaut.
Ces deux groupes-là, les pharisiens, champions de la Loi, et les hérodiens, dont la compromission avec le pouvoir romain les obligeait à quantité d’accommodements hétérodoxes, étaient pourtant ennemis en temps normal.
Mais quand il s’agit de faire le mal, alors ils font bloc.
Ainsi en est-il des méchants : Ils tissent des alliances de fortune pour atteindre plus aisément leurs objectifs sordides.
Le but ici c’est de rendre Jésus impopulaire.
La foule rappelez-vous considère Jésus comme un prophète. Un prophète, ce n’est pas encore le Messie, mais ce n’est déjà pas si mal.
Alors le stratagème consiste à lui poser des questions-piège.
C’est dit explicitement au verset 15
15 les pharisiens allèrent tenir conseil
pour prendre Jésus au piège
en le faisant parler.
16 Ils lui envoient leurs disciples,
accompagnés des partisans d’Hérode…
Remarquez que les pharisiens ne prennent même pas la peine de se déplacer eux-mêmes. Ils envoient leurs disciples faire la sale besogne… Avec aussi des hérodiens.
Les hérodiens étaient considérés par beaucoup , et notamment par les pharisiens comme des collaborateurs et à ce titre ils n’étaient pas très aimés.
Il faut savoir que le roi Hérode, qui n’était qu’à moitié juif.
C’était un homme de pouvoir qui ne se souciait guère du devenir de son peuple, un roi machiavélique, un souverain sans vrai charisme, qui ne tenait sa légitimité que du pouvoir romain.
Quelqu’un a dit fort justement, je cite : « La différence entre le politicien et l’homme d’État est la suivante : le premier pense à la prochaine élection, le second à la prochaine génération. » (De James Freeman Clarke, Discours)
Hérode appartenait manifestement à la première catégorie d’hommes.
On est à mille lieu ici avec Hérode de l’idéal de la royauté représenté en Israël par la figure du roi David.
Donc, des disciples des pharisiens et des partisans du roi Hérode viennent voir Jésus pour lui dire ceci :
16b « Maître, lui disent-ils, nous le savons :
tu es toujours vrai
et tu enseignes le chemin de Dieu en vérité ;
tu ne te laisses influencer par personne,
car ce n’est pas selon l’apparence que tu considères les gens.
Il y a plusieurs choses à dire ici.
La première c’est que les pharisiens reconnaissent manifestement en Jésus quelqu’un de véritable sage, c’est-à-dire un maître qui enseigne avec autorité et qui connaît parfaitement la Loi de Moïse et son interprétation.
Le compliment est mérité. Là-dessus, ils ne se trompent pas, même si l’on est en droit de douter de leur sincérité.
Ils s’adressent à lui en disant « Maître » et ce titre n’est pas anodin.
« Nous savons que tu es toujours vrai »
Effectivement, Jésus n’a-t-il pas dit au sujet de lui-même : « Je suis la vérité, le chemin et la vie » ?
« Tu enseignes le chemin de Dieu en vérité »
Il l’enseigne d’autant mieux que c’est lui le chemin !
« Tu ne te laisses influencer par personne »
On reconnaît en effet un véritable maître à sa capacité de ne pas se laisser influencer par le premier venu…
Quel contraste avec tant d’hommes d’Église aujourd’hui qui suivent les modes et dont la seule ambition semble le fait d’être dans le vent…
Or, comme disait l’autre : « Être dans le vent, une ambition de feuille morte » !
« car ce n’est pas selon l’apparence que tu considères les gens. »
Calvin dit fort justement ici qu’ « il est impossible que celui qui désire plaire aux hommes s’adonne vraiment à Dieu [s’adonne dans le sens de se consacrer à] (Ga 1.40). Il est vrai qu’il faut bien avoir soin [s’en préoccuper, s’en soucier] des hommes mais non pas pour rechercher leur faveur en les flattant. En somme pour cheminer droitement il faut nécessairement oublier toute acception de personnes, laquelle obscurcit la lumière et pervertit le juste jugement comme aussi Dieu le répète souvent dans la Loi (Dt 1.40 et 16.19). »
Soyons assurés que nous avons ici le modèle type de ce que devrait être tout chrétien désireux de marcher dans les pas du Christ :
– être toujours vrai et droit
– aimer la vérité sans se laisser influencer par personne
– ne pas juger les gens selon les apparences mais porter plutôt sur eux le même regard que celui que Dieu porte sur nous
La deuxième chose qu’il faut dire c’est que tous ces beaux compliments adressés publiquement à Jésus n’ont en réalité d’autre intention que de le mettre en difficulté.
En vantant sournoisement la qualité du jugement de Jésus, la réponse de celui-ci sera donc d’autant plus attendue.
Les pharisiens, comme plus tard les sadducéens, vont tenter de mettre Jésus en porte-à-faux vis-à-vis de la foule. Sa popularité pourrait ainsi être ternie par ses prises de position, notamment sur l’impôt, sujet toujours hautement sensible.
17 Alors, donne-nous ton avis :
Est-il permis, oui ou non,
de payer l’impôt à César, l’empereur ?
La question des pharisiens place Jésus sur une ligne de crête acérée.
Si Jésus répond qu’il est favorable à l’impôt, son message sur l’avènement d’un royaume de Dieu soumis à César risque fort de ne plus audible. Jésus risque même de subir la colère d’une foule juive qui voit la présence romaine d’un mauvais œil.
A l’inverse, s’il déclare publiquement son opposition à l’impôt, il devient un fauteur de trouble à l’ordre publique. Une telle sentence pourrait être considérée comme un appel à la révolte. La présence des hérodiens, partisans d’Hérode et soumis au pouvoir romain, leur donne ici ce rôle d’observateurs non-neutres.
Notez que comme le fait remarquer fort justement Calvin dans son commentaire :
« Comme nous l’avons vu ailleurs il y avait alors en Israël un grand débat entre les juifs au sujet de l’impôt. Car, puisque les romains avaient réclamé pour eux-mêmes l’impôt que Dieu a ordonné de lui payer en signe d’hommage dans la Loi de Moïse (je veux parler ici du commandement sur la dîme, comme en Ex 30.13), les Juifs murmuraient et grondaient que c’était une grande honte et vilenie que des gens profanes s’attribuassent ainsi ce qui appartenait à Dieu. Outre que, comme ce paiement de tribut, qui leur était imposé par la loi, était un témoignage de leur adoption, ils se considéraient comme privés d’un honneur auquel ils avaient droit.»
18 Connaissant leur perversité, Jésus dit :
« Hypocrites !
pourquoi voulez-vous me mettre à l’épreuve ?
Jésus n’entre donc pas dans le jeu des pharisiens dont il dénonce l’hypocrisie.
Le jugement est sans appel : « Hypocrites ! »
Ce n’est pas une question, ni une supposition, c’est une accusation !
Alors pourquoi « hypocrites » ?
Hypocrites pour deux raisons : premièrement, parce que cette question, il y a longtemps que les pharisiens comme tous les israélites l’ont résolue.
A Jérusalem, où se passe la scène, il n’est pas question de faire autrement, sauf à se mettre hors-la-loi, ce qu’ils n’ont pas l’intention de faire, ni les uns ni les autres, qu’ils soient pharisiens ou partisans d’Hérode.
Payer l’impôt à l’empereur, « Rendre à César ce qui est à César », ils le font et Jésus ne leur donne pas tort, puisque c’était bel et bien Rome qui détenait le glaive temporel en Israël à ce moment-là, peu importe que l’on soit d’accord ou non avec cet état de fait.
Israël, à ce moment-là de son histoire, était gouverné par Rome, et à ce titre-là, la question de savoir s’il fallait payer l’impôt ou non ne se posait pas, ou plus.
Elle aurait pu se poser avant, quand le peuple d’Israël était encore une nation souveraine, mais là, non.
Les faits sont têtus !
Il faut bien reconnaître la réalité et faire avec.
Mais hypocrites, aussi, deuxièmement, parce qu’ils ne posent pas une question, ils tendent un piège, ils cherchent à prendre Jésus en faute…
Et le ton faussement respectueux qui précède la question force encore le trait.
Toutes ces amabilités ne sont qu’un préambule pour une question-piège, et ce piège-là, logiquement, Jésus ne devrait pas s’en sortir.
De deux choses l’une :
Ou bien il incite ses compatriotes à refuser l’impôt prélevé au profit de l’occupant romain et il sera facile de le dénoncer aux autorités pour sédition, et il sera condamné…
Ou bien il conseille de payer l’impôt et on pourra alors le discréditer aux yeux du peuple comme collaborateur, ce qui va bien dans le sens de ses mauvaises fréquentations…
Pire, il perd toute chance d’être reconnu comme le Messie, car le Messie attendu doit être un roi indépendant et souverain sur le trône de Jérusalem, ce qui passe forcément par une révolte contre l’occupant romain.
Et puisqu’il a prétendu être le Messie, aux yeux du peuple et des autorités religieuses, il méritera la mort, et pourra être accusé d’être un imposteur et un blasphémateur.
Le piège est bien verrouillé.
De toute manière il est pris au piège, il est perdu et c’est bien cela que les pharisiens cherchent : la première occasion sera la bonne pour le faire mourir ; la Passion se profile déjà à l’horizon, nous sommes dans les tout derniers moments à Jérusalem.
Dans sa réponse, Jésus montre bien qu’il a compris l’intention malveillante : « Hypocrites ! Pourquoi voulez-vous me mettre à l’épreuve ? »
Il n’est pas dupe du piège qu’on lui tend…
Jésus ne répond donc pas au piège par un autre piège, car il parle toujours en vérité, mais il traite la question comme une vraie question et il y répond vraiment, dune manière qui doit nous interpeler aujourd’hui encore.
Sa réponse tient en trois points :
« Rendez à César ce qui est à César » …
« Ne rendez à César que ce qui est à César » …
Et enfin : « Rendez à Dieu ce qui est à Dieu ».
Nous y reviendrons.
19 Montrez-moi la monnaie de l’impôt.
Ils lui présentèrent une pièce d’un denier.
Si chez Marc, Jésus demande qu’on apporte un denier, Matthieu insiste sur l’immédiateté de la réponse des pharisiens qui montre aussitôt à Jésus un denier, que l’un d’eux sort de sa poche.
Il faut savoir que pour les offrandes au sein du Temple, les monnaies étrangères étaient interdites car elles comportaient des insignes païens, ou des représentations humaines que la loi de Moïse réprouve (Ex 20.4).
Ainsi les changeurs – dont Jésus a renversé les tables (21.1-17) – permettaient de convertir le denier romain en une monnaie sans effigie.
L’ironie de la scène montre que les pharisiens, scrupuleux envers la Loi, ont en leur possession et au sein du Temple (car cette scène, ne l’oublions pas, se passe au sein du Temple selon Matthieu 21.23) une monnaie païenne qui pourrait tout aussi bien, être destiné à l’impôt de César.
Et c’est bien à César que Jésus les renvoie, c’est-à-dire à leurs propres contradictions.
20 Il leur dit :
« Cette effigie et cette inscription,
de qui sont-elles ? »
21 Ils répondirent :
« De César. »
Alors il leur dit :
« Rendez donc à César ce qui est à César,
et à Dieu ce qui est à Dieu. »
Ce qu’il faut comprendre ici c’est que Jésus refuse d’entrer dans le jeu des pharisiens ; il prononce une parole de jugement, à laquelle d’ailleurs ces derniers vont se soumettre malgré eux.
Car ils ne peuvent être dans le temple et en présence du Christ, lui qui est la véritable image de Dieu, l’effigie du Père, avec toute leur hypocrisie, leurs complices hérodiens et leur denier de César dans la poche.
Leur départ de ce lieu, et de la proximité de Jésus, laisse entendre qu’ils ont fait le choix du camp de la compromission et du pouvoir impérial plutôt que de l’avènement du royaume de Dieu.
Ils ont préféré obéir aux hommes plutôt qu’à Dieu, car s’ils avaient obéi à Dieu, alors ils auraient reconnu en Jésus le Messie.
Il faut aussi comprendre que notre récit n’insiste pas tant sur une séparation des pouvoirs, le temporel et le spirituel, que sur deux conceptions diamétralement opposée du pouvoir.
À l’effigie (en grec eikôn/εἰκών, l’image, l’icône) du pouvoir totalitaire et dictatorial de César s’oppose l’effigie, l’image de Dieu que le Fils, serviteur de tous, représente.
À celui qui prend, César, s’oppose celui qui donne et donnera sa vie, Jésus-Christ, le roi des rois et le seigneurs des seigneur.
Le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie en rançon pour la multitude (20.28).
Alors il faut revenir sur le dernier verset, évidemment, qui est parfois d’ailleurs mentionné sans toujours en connaître l’origine, dans les discussions autour du thème de la laïcité.
21 « Rendez donc à César ce qui est à César,
et à Dieu ce qui est à Dieu. »
Premièrement, il faut comprendre cette parole de Jésus de manière simple, évidente et pragmatique : « Rendez à César ce qui est à César », y compris en payant l’impôt.
Car si César est bel et bien, au moment où Jésus parle, celui qui détient le pouvoir en Israël, alors quel aurez choix que de lui rendre ce qu’il estime, à tort ou à raison, devoir lui revenir ?
Dans la perspective de la Bible on considère que tout pouvoir vient de Dieu.
Jésus lui-même, au cours de sa Passion, dira à Pilate : « Tu n’aurais aucun pouvoir sur moi, si tu ne l’avais reçu d’en-haut » (Jn 19.11).
D’autre part, et Ésaïe nous l’a rappelé dans notre première lecture de ce dimanche, en parlant du roi Cyrus, Dieu peut faire tourner toute royauté humaine au bien de son peuple…
Or les pharisiens connaissaient mieux que nous le texte d’Ésaïe sur Cyrus et ils savaient donc parfaitement que tout pouvoir, même païen, est dans la main de Dieu.
Notons quand même en passant que le César du moment s’appelait en réalité « Tibère » et que le nom « César » était à cette époque-là devenu un titre.
Deuxièmement, on peut comprendre cette parole de Jésus de cette manière : « Ne rendez à César que ce qui est à César », et j’insiste sur le « que » !
Quand César (c’est-à-dire l’empereur romain) exige l’impôt, il est dans son droit, mais quand il exige d’être appelé Seigneur, par exemple, quand il exige qu’on lui rende un culte, quand il cherche à prendre la l’ace de Dieu comme c’est en général le cas des tyrans, alors il expose tout un chacun à l’idolâtrie, et là, il ne faut pas transiger du tout !
S’il y a un devoir d’obéissance pour les choses légitimes, cette obéissance a des limites, car comme dit la Bible « il vaut mieux obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes ! »
A l’époque où Matthieu écrit son Évangile, cette hypothèse était d’ailleurs une réalité et de nombreux martyrs ont payé de leur vie ce refus de rendre un culte à l’empereur romain.
Ainsi ce qui appartient à César est définit et circonscrit par la Loi de Dieu.
Il faut bien évidemment ici rappeler les propos de l’Apôtre Paul au chapitre 13 de son épître aux Romains :
Que toute personne soit soumise aux autorités supérieures; car il n’y a pas d’autorité qui ne vienne de Dieu, et les autorités qui existent ont été instituées par Dieu. C’est pourquoi celui qui s’oppose à l’autorité résiste à l’ordre de Dieu, et ceux qui résistent attireront une condamnation sur eux-mêmes. Les gouvernants ne sont pas à craindre quand on fait le bien, mais quand on fait le mal. Veux-tu ne pas craindre l’autorité? Fais le bien, et tu auras son approbation, car elle est au service de Dieu pour ton bien. Mais si tu fais le mal, sois dans la crainte; car ce n’est pas en vain qu’elle porte l’épée, étant au service de Dieu pour (montrer) sa vengeance et sa colère à celui qui pratique le mal. Il est donc nécessaire d’être soumis, non seulement à cause de cette colère, mais encore par motif de conscience. C’est aussi pour cela que vous payez les impôts. Car (ceux qui gouvernent) sont au service de Dieu pour cette fonction précise. Rendez à chacun ce qui lui est dû: la taxe à qui vous devez la taxe, l’impôt à qui vous devez l’impôt, la crainte à qui vous devez la crainte, l’honneur à qui vous devez l’honneur. (Rm 13.1-7)
Troisièmement : « Rendez à Dieu ce qui est à Dieu ».
La vraie question est là.
Au fond c’est comme si Jésus disait à ses interlocuteurs : « Vous m’interrogez sur des futilités au sujet de l’impôt dû à César, au sujet de choses matérielles et passagères. Mais êtes-vous sûrs de rendre à Dieu ce qui est à Dieu ? »
Rendre à Dieu ce qui est à Dieu, dans le contexte de notre texte, c’est d’abord et avant tout reconnaître en Jésus celui qui vient de Dieu, celui qui « est à Dieu ».
Il faut rendre à Dieu ce qui est à Dieu, et Jésus-Christ est à Dieu, et vient de Dieu.
Il faut donc le recevoir comme le cadeau de Dieu aux hommes, et rendre à Dieu toute la reconnaissance qui lui est dû pour son si grand salut !
Ce que Jésus dit dans notre texte est on ne peut plus clair : César n’est que César ; les rois de la terre ne sont en réalité que des roitelets. Leur royauté est passagère et le royaume de Dieu est d’un tout autre ordre.
Pour autant c’est bien au sein même des royaumes de la terre que le chrétien est appelé à œuvrer et à prier pour faire grandir le seul vrai royaume, le royaume de Dieu.
Je cite ici Calvin :
« Rendez-donc à César ce qui est à César » : Christ veut dire, puisque la soumission de la nation d’Israël à César est un état de fait, comme l’atteste l’effigie que porte leur monnaie, qu’il ne sert à rien de débattre sur ce sujet. C’est comme s’il disait : « S’il vous semble étrange de payer le tribut, ne soyez donc point sujets de l’empire romain. Mais déjà la monnaie par laquelle les hommes trafiquent les uns avec les autres, rend témoignage que César a la domination sur vous, en sorte que tacitement, par votre approbation, vous avez perdu la liberté que vous réclamez maintenant. » »
Et Calvin poursuit en disant de façon fort pertinente :
« Car il y a ici une distinction évidente entre le gouvernement spirituel, et le politique ou civil : afin que nous sachions que la sujétion externe n’empêche point que nous ayons au-dedans, la conscience libre devant Dieu (et vous voyez qu’ici Calvin introduit ce concept si important pour nos société occidentale, de la liberté de conscience). Car Christ a voulu réfuter l’erreur de ceux auxquels il ne semblait pas qu’ils fussent peuple de Dieu, s’ils n’étaient exempts de toute sujétion de domination humaine : comme aussi saint Paul insiste fort sur ce point (Romains 13.5) qu’ils ne pensent pas moins servir au seul Dieu encore qu’ils obéissent aux lois humaines, payent les tributs, et baissent la tête pour porter toutes les autres charges.
En somme il déclare, encore que les juifs soient sujets aux romains quant à la police externe, que cela ne déroge rien à l’autorité de Dieu, et ne porte point de préjudice à son service. »
Et Calvin de conclure, car c’est là où le Christ veut en venir dans cette réponse lapidaire « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu », je cite encore :
« C’est comme s’il disait : « Vous avez grand peur que si on paie le tribut aux romains, cela déroge quelque chose à l’honneur de Dieu : mais il vous faut plutôt vous mettre peine de rendre à Dieu le service qu’il requière de vous, et cependant de rendre aussi aux hommes ce qui leur appartient. » »
Fin de citation.
Ce qu’il faut comprendre ici, c’est que le Seigneur veut être véritablement le seul législateur pour gouverner les âmes, et qu’il ne faut pas chercher ailleurs que dans sa Sainte Parole la règle de le servir, et que la puissance du glaive temporel, pour autant que les lois humaines des nations n’empêchent point que le service de Dieu ne demeure en son entier.
Pour reprendre la fameuse devise de Jeanne d’Arc : « Dieu premier servi ! »
Tout ce qui peut être dû aux hommes doit rester subalterne à l’empire souverain de Dieu. De sorte que si ceux qui nous gouvernent devaient usurper quelque chose de l’autorité de Dieu, alors il ne leur faut point obéir, sinon (dit Calvin, et j’aime beaucoup la formule ici) « sinon autant qu’il se pourra faire sans offenser Dieu ».
Alors pour conclure je voudrais maintenant tirer des conclusions de notre texte de ce matin, en disant tout d’abord que ce que l’on doit retenir ici, c’est une extraordinaire leçon de liberté, qui est celle de notre conscience devant Dieu, dont nous dépendons absolument !
Car c’est à Dieu que nous appartenons d’abord, c’est de son royaume à Lui que nous sommes les sujets, de sorte que tout le reste n’a, au regard de ce royaume, qu’une importance secondaire.
Ce qui est à César n’est pas l’important ! C’est quelque chose de secondaire, c’est futile, c’est temporaire, et c’est illusoire et pour reprendre les mots de l’Ecclésiaste : « Vanité des vanités, tout est vanité ! »
Qu’il me soit permis ici de citer le Réformateur Martin Luther qui dans son magnifique traité « De la liberté du chrétien » dit ceci : « Pour que nous puissions bien connaître ce qu’est un chrétien et savoir ce qu’il en est de la liberté que le Christ lui a acquise et donnée et dont saint Paul parle abondamment, je veux poser ces deux thèses : Le chrétien est un libre seigneur sur toutes choses et il n’est soumis à personne. Le chrétien est un serviteur obéissant en toutes choses et il est soumis à tout un chacun. »
Libre seigneur sur toutes choses, le chrétien l’est parce qu’il n’appartient qu’à Dieu seul, et que c’est à lui d’abord que va son allégeance et son amour !
Serviteur obéissant il l’est aussi du fait du commandement : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » !
Quelle est donc cette liberté dont parle Luther ? Je le cite :
« Il s’agit de la liberté par laquelle Christ nous a affranchis, non de telle ou telle servitude humaine, ou du pouvoir des tyrans (ces servitudes là, celle de César et de son impôt, nous ne saurions y échapper), mais de la colère éternelle de Dieu. Où [est cette liberté]? Dans la conscience. C’est là que demeure notre liberté : il ne faut pas chercher ailleurs. Car ce n’est pas d’une liberté politique dont Christ nous a fait don en nous affranchissant, et ce n’est pas une liberté charnelle. C’est théologiquement et spirituellement qu’il nous a affranchis, c’est afin que notre conscience soit libre et heureuse, n’ayant nulle crainte de la colère à venir […]. C’est une liberté ineffable que d’être affranchis éternellement de la colère de Dieu : une liberté plus grande que le ciel et la terre et que toutes les créatures. »
Je pense aussi ici à cette citation de saint Augustin et qui marque cette opposition entre les deux royaumes (Dieu et César) :
« Deux amours ont donc fait deux cités : l’amour de soi jusqu’au mépris de Dieu, la cité terrestre ; l’amour de Dieu jusqu’au mépris de soi, la cité céleste.
L’une se glorifie en elle-même, l’autre dans le Seigneur. L’une demande sa gloire aux hommes ; pour l’autre, Dieu témoin de sa conscience est sa plus grande gloire. »
Saint Augustin, La Cité de Dieu
Je pense aussi ici à la fameuse théologie des deux règnes si chère à Luther qui comporte néanmoins, selon moi, des limites, mais qui, en même temps, est très vraie.
Le premier, le règne du monde régi par des lois imparfaites, qui s’adressent à ses individus imparfaits, dépend de la création. On y entre par sa naissance, on lui appartient du simple fait qu’on est un être humain.
Des lois naturelles ou sociales le gouvernent, et ces lois reflètent en partie la Loi de Dieu, elles peuvent aussi parfois s’y opposer, ce qui soulève la question du devoir de désobéissance civile quand la situation l’impose.
À cause du péché et de la méchanceté des hommes, il faut faire respecter ces lois par la force, et Dieu donne aux autorités politiques le mandat de maintenir, en exerçant une contrainte, un ordre sans lequel la vie serait impossible (voir Romains 13 notamment).
Le second règne, celui de l’évangile et de la grâce, relève du salut et de la rédemption.
On y accède par la foi, seuls les croyants en font parti.
Il est gouverné par l’amour de Dieu et du prochain.
Il a pour visée la sanctification, la transformation intérieure de l’être humain.
Il n’utilise pas la contrainte, mais suscite et fortifie un libre consentement par le moyen de la prédication et des sacrements.
Ici, Dieu se sert non de l’Etat et du droit, mais de l’Église et de la piété.
Le chrétien appartient simultanément aux deux règnes ; il ne doit cependant pas les confondre. Distinguer sans séparer, unir sans confondre…
S’il pratique par exemple dans sa vie personnelle le pardon des offenses, il ne peut pas en faire une loi de l’État, ni imposer aux non-croyants des conduites qui découlent de la foi et qui la caractérisent.
De même un juge (le principe est le même pour les militaires qui détiennent la légitimité de la force armée) ne doit pas se laisser guider par la charité chrétienne lorsqu’il condamne des délinquants. En tant que chrétien, il les aime, les plaint, compatit avec eux, souffre dans son cœur ; mais en tant que magistrat il applique strictement la loi, il fait ce que les lois du pays lui demandent de faire, il applique la pénologie qui s’impose dans chacun des cas qu’il traite. Il applique légitimement la loi (pour autant que la loi en question soit juste).
Les pouvoirs publics tiennent donc, qu’ils le sachent ou non, de Dieu un mandat qui vise non pas à établir une société idéale (car la perfection n’est pas de ce monde…), mais à garantir à ses citoyens une vie matérielle convenable, à les préserver de ce qui menace et pourrait détruire leur existence. C’est là ce qu’on appelle le pouvoir régalien de l’État sur lequel l’Écriture Sainte insiste fortement et qui est premier devoir de l’État.
Prétendre pouvoir instaurer le royaume de Dieu ici-bas sur cette terre est donc, dans cette perspective, une utopie et une dérive malheureuse. Car jusqu’au retour du Seigneur il y aura toujours de l’ivraie et du bon grain dans le champ de ce monde.
Pour autant, ne pas chercher à réformer la société selon la Parole de Dieu, qui est tout à la fois évangile et loi, constitue une dérive tout aussi malheureuse.
Le théologien réformé et homme d’État que fut Abraham Kuyper a écrit fort justement : « Il n’existe aucun domaine de la vie des hommes dont le Christ ne puisse dire, c’est à moi ! »
La théologie des deux règles de Martin Luther a ses limites.
Elle doit être contrebalancée à mon sens par une véritable doctrine sociale de l’Église, comme c’est le cas d’ailleurs dans l’Église catholique, et comme Jean Calvin s’est efforcé de la mettre en œuvre à Genève et plus tard les Puritains aux Etats-Unis.
Car Jésus-Christ a dit à ses disciples, juste avant de retourner vers son Père : « Allez ! Faites de toutes les nations des disciples » ; il parle bien des nations et pas seulement des individus.
Et dans le Notre Père ce que nous demandons à Dieu c’est que sa volonté soit faite sur la terre comme au ciel !
Comme au ciel, sur la terre aussi !
Nous savons bien que tous ne deviendront pas chrétiens mais une société majoritairement chrétienne est bien évidemment une grâce et un objectif à atteindre pour l’Église combattante, l’Église missionnaire que nous sommes bel et bien appelés à être !
L’exhortation du Christ ne doit donc pas être comprise comme une invitation à baisser les bras face aux pouvoirs totalitaires et injustes de notre monde, mais plutôt à toujours faire le choix d’obéir à Dieu plutôt qu’au hommes en lui accordant la première place dans notre vie et dans la vie du monde.
C’est aussi une invitation à œuvrer pour un monde plus juste, sans jamais, en tant que chrétiens, avoir recours à la violence, et tout en privilégiant les changements lents mais en profondeurs, plutôt que la révolution violente qui cause en général plus de mal que de bien…
La force de l’Esprit est bien plus puissante que toutes les agitations des hommes et tous les cliquetis d’armes.
Dieu est vraiment souverain. Ne l’oublions jamais. C’est lui qui est aux commandes. Et les événements quels qu’ils soient relèvent de sa providence bienveillante.
Les deux mots d’ordre que je vous adresse donc ce matin sont :
« Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu » et « Il vaut mieux obéir à Dieu plutôt qu’au hommes » !
Les deux ensemble.
Jusqu’à ce que le Christ vienne pour faire toutes choses nouvelles, quand il reviendra dans sa gloire.
Amen !
À noter : Matthieu est le seul parmi les évangélistes à mentionner les pharisiens à l’occasion du procès de Jésus (27.62) tandis que les autres évangélistes ne mentionnent comme accusateurs devant Pilate que les sadducéens. Cette présence des pharisiens au procès de Jésus n’a en réalité rien d’étonnant quand on sait la haine farouche que ces derniers lui voyaient, comme en témoignent les derniers chapitres de l’Évangile de Matthieu.
Sur la question des pouvoirs publics il faut mentionner ici l’article 9 de la Confession de foi de La Rochelle :
VIII. LES POUVOIRS PUBLICS
39. La nécessité des gouvernements
Nous croyons que Dieu veut que le monde soit dirigé par des lois et des gouvernements, afin qu’il y ait quelques freins pour réprimer les appétits désordonnés du monde. Nous croyons donc que Dieu a institué les Royaumes, les Républiques et toutes autres sortes de Principautés, héréditaires ou non, et tout ce qui appartient à l’état de la justice, et qu’il veut en être reconnu l’auteur.
Les Magistrats
Dans ce but, Dieu a mis le glaive dans la main des magistrats pour réprimer les péchés commis non seulement contre la seconde Table des commandements de Dieu, mais aussi contre la première.
Le respect dû aux Autorités
Il faut donc, à cause de Dieu, non seulement qu’on supporte que les autorités exercent la souveraineté de leur charge, mais aussi qu’on les honore et les estime d’un profond respect, les considérant comme ses lieutenants et officiers, qu’il a établis pour exercer une charge légitime et sainte.
40. L’obéissance due aux Autorités
Nous affirmons donc qu’il faut obéir à leurs lois et règlements, payer taxes, impôts et autres charges, et consentir à cette obéissance d’une bonne et franche volonté – quand même ils seraient infidèles – pourvu que la souveraineté absolue de Dieu demeure entière.
Ainsi, nous réprouvons ceux qui voudraient rejeter toute hiérarchie, établir la communauté et le mélange des biens et renverser l’ordre de la justice.
Mt 17:24-27 ; Mc 12 :17. Ac 4:17-20.
Source iconographique : Ce tableau du XVIIIe siècle, intitulé L’Impôt dû à César et dont l’auteur est inconnu, illustre cette formule évangélique. Il dépeint le moment où le Christ déjoue le piège des pharisiens, venus lui demander s’il était permis selon lui de payer l’impôt à l’empereur. L’enjeu est de taille, car si le Christ l’interdit, il peut être dénoncé comme opposant ; à l’inverse, s’il l’autorise, il peut passer comme traître à son Dieu. Jésus brise le piège par la formule : « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu ».
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