Anonyme XVIIe siècle, Concert des anges, huile sur toile 33 x 48,5cm

La musique dans le culte – Vincent Bru

Je n’irai pas par quatre chemins : L’Église doit-elle utiliser les moyens du monde pour plaire au monde, pour attirer le monde à elle ? Pourquoi est-ce que la grâce de Dieu opèrerait-elle mieux et serait-elle plus efficace quand on utilise des moyens les plus éloignés de ce que l’on est en droit de considérer comme relevant plus particulièrement des choses de Dieu, du sacré ?

La question se pose aussi pour le choix des cantiques et de la musique dans le culte.

Je pense ici à ce que Calvin écrit dans son introduction au Psautier de Genève :

« Il faut toujours veiller à ce que le chant ne soit ni léger, ni volage, mais qu’il ait poids et majesté (comme dit saint Augustin) et ainsi, qu’il y ait grande différence entre la musique qu’on fait pour réjouir les hommes à table et en leur maison, et les Psaumes qui se chantent en l’Église, en la présence de Dieu et de ses anges. »

A en croire le Réformateur de Genève, tous les styles de musique et de chant ne conviennent pas à la célébration du culte.

Les temps ont bien changés !

J’entends parfois l’argument suivant : Les seules Églises qui connaissent une certaine croissance aujourd’hui sont les Églises de la mouvance évangélique, voire charismatique – ce qui n’est pas tout à fait vrai. Or, les Églises évangéliques se caractérisent, entre autres choses, par des « cultes spectacles »1, où les émotions jouent un rôle de premier plan. Conclusion : L’Église doit s’adapter, ou mourir.

Le talentueux Cyrano rétorquerait : « C’est un peu court jeune-homme ! », et il aurait raison.

La question soulevée ici peut paraître simple, mais la réponse est plus complexe qu’on ne le croit.

Les Églises traditionnelles

Concrètement, il existe dans le monde des Églises qui célèbrent le culte de manière traditionnelle, et qui sont en pleine croissance, comme en Amérique Latine, en Corée du Sud, aux États-Unis, en Angleterre, aux Pays-Bas, et c’est, bien évidemment, aussi le cas dans notre pays, la France.

Qui plus est, dans le catholicisme, les Églises qui connaissent aujourd’hui le plus fort taux de croissance sont les Églises traditionnalistes.

J’ai vécu quelques années en Afrique, et c’est la même réalité. La croissance n’est pas l’apanage des communautés nouvelles. La nouveauté attire. Mais sur le long terme, qu’en est-il ?

La superficialité de certains cultes signe à plus ou moins longues échéances leur arrêt de mort. Cela s’est déjà vu. Il faut pouvoir tenir dans la durée. Sans fondements solides, l’édifice chancelle. La maison construite sur le sable s’effondre quand vient la tempête !

La vérité c’est que la croissance de l’Église ne doit pas être confondue, comme certains le prétendent, avec une forme unique de culte.

Il y a aujourd’hui une tendance très forte à chercher à plaire à tout prix, pour attirer du monde. De nombreux cantiques évangéliques ou autres donnent parfois l’impression de flatter, de manière excessive, les émotions des fidèles, plutôt que de s’adresser à d’autres dimensions, disons plus profondes, moins superficielles, moins à la surface des choses, de l’être humain, des dimensions plus proches du sacré, du divin.

Il ne s’agit pas, pour autant, de sous-estimer ni de dénigrer les émotions, mais plutôt de les mettre à leur juste place. Les émotions sont sujettes au changement. Il y a quelque chose de l’ordre de l’inconstance en elles. Elles sont subjectives et individualistes. Là où la piété biblique est d’abord communautaire, surtout dans son expression liturgique, au moment du culte dominical.

Qui plus est, les paroles de ces cantiques-chansonnettes sont souvent d’une pauvreté déconcertante, et dénotent une piété très individualiste, et subjective, quand ce n’est pas une mauvaise théologie. Nous en connaissons tous.

« Je pense vraiment que tu es ce que tu chantes. Une théologie superficielle produira une musique superficielle, et une musique superficielle produira une théologie superficielle. C’est quelque chose de cyclique. Ce que nous sommes mis au défi de faire de nos jours, c’est de réinsérer l’élément théologique à la fois dans nos vies et dans notre  musique. »

Daniel Block, For the Glory of God, Recovering a Biblical Theology of Worship.

Vivre avec son temps ?

Alors bien sûr, il faut savoir vivre avec son temps, comme on su le faire les chrétiens qui nous ont précédés. Mais attention ! S’adapter est une chose, encore faut-il le faire pour de bonnes raisons et non pas au détriment de la vérité. Il y a le fond, et il y a la forme. Les deux sont importants. Parfois, s’adapter, c’est trahir, et c’est se trahir ! La conformité aux expressions nouvelles de la modernité, aux modes de vie d’aujourd’hui, l’adaptation aux modes, doivent toujours se conjuger avec le respect de la Tradition, autrement, cela devient autre chose et perd tout son sens.

Le respect de la Tradition

Il y a les traditions hymnologiques et musicales qui sont propres à telles ou telles Églises, et qui ont fait leurs preuves, qui sont parfois d’un niveau incomparable, sur le plan littéraire et musical, comme c’est le cas par exemple du Psautier de Genève, avec les 150 Psaumes de David mis en vers par Clément Marot et Théodore de Bèze, sous la supervision de Jean Calvin. C’est aussi le cas de bons nombre de nos vieux cantiques, dont tant le fond que la forme sont uniques. Qui donc peut se targuer d’avoir fait mieux depuis, pour ne plus les chanter du tout, ou presque jamais, sous prétexte qu’ils ne font pas moderne, qu’ils sont anciens ? Pourquoi faudrait-il donc se priver de les chanter aujourd’hui sous prétexte qu’ils auraient mal vieillis ? La musique de Bach ou de Händel peut-elle vieillir ? Quelle tristesse de se priver de telles richesses, incomparables.

Je ne suis bien évidemment pas opposé à tout type de musique moderne, et l’hymnologie chrétienne ne doit jamais être figée. Bien sûr que non ! Mais alors, qu’on nous propose de la qualité, quelque chose qui défie le temps, et non pas des « cris-de-chats évangéliques », trop souvent profonds dans le sens du creux, qui tirent les fidèles vers le bas, plutôt que vers le haut, ou qui les élèvent bien peu.

Quels types de musique pour quelle piété ?

Certains types de musique font plus particulièrement appel à l’émotionnel et au corporel, à travers les harmoniques et les pulsations, à travers aussi la nature des instruments. Elles stimulent ces deux dimensions de la personne qui sont parmi les plus superficielles, alors même que le culte, lieu par excellence du sacré, entend ramener les fidèles à une dimension moins accessible et rarement stimulée par le monde, la dimension intérieure et intime de l’âme.

Ce type de musique en donnant l’illusion d’une spiritualité surtout fondée sur l’exaltation, maintient la personne à un niveau superficiel. Spiritualité qui est trop souvent contraire à la délicatesse, à l’intériorité, à la profondeur de l’hymnologie traditionnelle et classique.

La musique sacrée a cette vertu unique d’unir le croyant à Dieu, d’une manière vraiment spirituelle et profonde : c’est là que s’origine la verticalité du lien qui nous unit à Dieu, d’âme à âme.

L’exaltation mystique ne doit pas être confondue avec la spiritualité. L’exaltation mondaine non plus !

Il faut être prudent avec le type de musique pour le culte que l’on propose aux fidèles, car celui-ci caractérise un type de spiritualité particulier, qui est parfois aux antipodes de la véritable piété.

Soli Deo Gloria

Dans la tradition réformée, ce qui caractérise la véritable piété, c’est la recherche de la gloire de Dieu avant tout : Soli Deo Gloria.

Voilà bien ce qui doit orienter toute notre vie chrétienne, et notamment le culte dominical.

Dans son introduction au Psautier de Genève, Jean Calvin dit ceci :

« Quant aux prières publiques, il y en a deux espèces. Les unes se font par de simples paroles, les autres avec chant. Et ce n’est pas là une invention récente. Car dès la première origine de l’Église cela a été le cas, comme l’histoire nous l’enseigne. Et même saint Paul ne parle pas seulement de prier de bouche, mais aussi de chanter. Et à la vérité, nous connaissons par expérience que le chant a grande force et vigueur pour émouvoir et enflammer le cœur des hommes, pour invoquer et louer Dieu d’un zèle plus véhément et ardent. Il faut toujours veiller à ce que le chant ne soit ni léger, ni volage, mais qu’il ait poids et majesté (comme dit saint Augustin) et ainsi, qu’il y ait grande différence entre la musique qu’on fait pour réjouir les hommes à table et en leur maison, et les Psaumes qui se chantent en l’Église, en la présence de Dieu et de ses anges. Or quand on voudra droitement juger de la forme qui est ici exposée, nous espérons qu’on la trouvera sainte et pure, vu qu’elle est simplement destinée à l’édification dont nous avons parlé, bien que l’usage du chant s’étende plus loin. »

Tout est dit !

Pasteur Vincent Bru

Source iconographique : Anonyme XVIIe siècle, Concert des anges, huile sur toile 33 x 48,5cm.

Pour approfondir :

  1. Faut-il rappeler ici que dans la tradition réformée, la prédication est au centre du culte, l’écoute de la Parole de Dieu. L’accent est trop souvent déplacé sur la participation des fidèles, dans ce type de culte, et l’écoute placée au second plan. ↩︎

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