Je pense à mes amis catholiques en ce moment qui traversent de grosses turbulences (mais ils ne sont pas les seuls…), avec l’éviction d’un certain évêque conservateur aux États-Unis, la tenue d’un synode sur la synodalité qui ne fait pas l’unanimité, en proie à des courants théologiques contradictoires, le message cacophonique que délivre trop souvent un certain pape… J’en passe et des meilleures.
Je me disais plusieurs choses.
D’abord mon admiration pour le sens de l’Église qui est le leur. Ils se battent becs et ongles au sein de l’Église qui est la leur et qu’ils considèrent comme étant d’institution divine. C’est là leur foi, que je respecte. Puisqu’ils y croient.
Alors le discours qui revient souvent dans nos échanges c’est que Martin Luther a manqué d’humilité en créant sa propre Église. Il aurait dû rester et se battre ! Coûte que coûte.
Évidemment il y a du vrai dans ce discours. On peut néanmoins répondre que l’intention du Réformateur n’était pas au départ de quitter Rome. Les abus étaient criants. Il fallait donner un grand coup de pied dans la fourmilière, taper du poing sur la table, faire du bruit, beaucoup de bruit pour réveiller les esprits somnolants, les consciences endormies. Au risque de l’excommunication. Ce qui ne manqua pas d’arriver…
On me répond que Luther n’a pas été excommunié sèchement et qu’il y a eu un dialogue patient avec le cardinal Cajetan qui était prêt à des concessions, et que si Luther avait eut l’humilité d’un saint François d’Assise par exemple alors la face de l’Église en eût probablement été changée. Il faut entendre cet argument.
Il m’est difficile de répondre à cela. Car on ne refait pas l’histoire. Il aurait mieux valu préserver l’unité de l’Église oui. Certainement. Mais en même temps, et c’est là que je suis et que je reste protestant, pas à n’importe quel prix. Par moment de simples concessions ne suffisent pas ou plus. Quand il n’y a plus moyen de faire avancer les choses. Du tout. Que vaut-il mieux préserver et chercher à préserver par-dessus tout ? Je vous le demande. Est-ce l’unité ? Ou bien la vérité ? L’idéal, évidemment, c’est de préserver l’unité dans la vérité. Mais encore faut-il que cela soit possible. Et comment savoir si c’est possible ? Encore possible ? C’est à la fois un pari et un acte de foi.
J’admire mes frères cathos et leur confiance indéfectible au Saint-Esprit qui guide et conduit l’Église véritable dans le chemin de la vraie Foi. Ils y croient malgré le brouillard qui obscurcit parfois tout sur le chemin. L’important c’est d’être sur le bon chemin !
C’est respectable.
Quand je regarde autour de moi le paysage du protestantisme, surtout historique (dont je suis, moi réformé confessant) comment dire… Quelles leçons pourrions-nous donner à nos frères cathos ?
Comment pourrions-nous nous sentir autorisés, en profitant de la situation, de dire simplement et béatement : « Rejoignez-nous ! »
Que sont les protestants devenus ? Si Luther et Calvin revenaient aujourd’hui sommes-nous aussi sûr que cela qu’ils y reconnaîtraient leurs moutons ?
Quid du Sola Scriptura ? Et Quid du Tota Scriptura ?
Quand la raison humaine prend si facilement le pas sur la Parole de Dieu, la raison autonome, dont Luther disait qu’elle est « la plus grande putain du diable »…
Quid du Soli Deo Gloria ? A Dieu seul la gloire ?!
Tandis que l’humanisme, le culte de l’homme prétendument autonome s’immisce jusque dans les chaires de théologie ?
Et Quid du Solus Christus ? (Le Christ seul !)
Tandis que l’évangélisation, la proclamation de l’Évangile est si souvent assimilé à du prosélytisme et que le Christ n’est plus perçu que comme un maître de sagesse, comme d’autres. Un parmi d’autres. Un simple homme et non le Dieu Sauveur.
Ah ! Pour le Sola Gracia on est forts ! Très forts même !
La grâce à bon marché, comme le disait si justement Dietrich Bonhoeffer…
Quelle est donc cette grâce qui justifie le péché et non pas le pécheur… ?
On nous parle de théologie inclusive. A la bonne heure ! Mais quelle est donc cette grâce qui va jusqu’à inclure le péché en même temps que le pécheur ? Une grâce sans la repentance ?!
« Actuellement dans notre combat il y va de la grâce qui coûte ! » (Dietrich Bonhoeffer, Le prix de la grâce)
Reste le Sola Fide ! La foi seule. Sous-entendu le salut par la foi seule, et non par la foi plus les œuvres.
C’est entendu. Bien sûr ! Mais ne peut-on pas parler aussi, d’une certaine manière, trop souvent, d’une foi à bon marché ? Quelle est donc cette foi qui s’affranchit si aisément de la Parole de Dieu ? Une foi qui n’est plus tant une foi en Dieu qu’une espèce de croyance en une certaine forme d’humanisme bon ton, un humanisme sans le Christ (ou un christ rabougri et racorni comme le disait mon regretté maître le Pasteur Pierre Charles Marcel dans « Face à la critique, Jésus et les Apôtres : Esquisse d’une logique chrétienne », un humanisme sans l’Évangile, c’est-à-dire sans la Croix, c’est-à-dire sans la repentance ? Et sans Dieu pour finir ? Un club pour gens biens ? Pour bien-pensants ? Pour penser comme tout le monde, et surtout comme le monde ?
Or, comme le disait si bien le catholique Chesterton :
« Nous ne voulons pas, comme le disent les journaux, d’une Église qui suive le monde, nous voulons d’une Église qui entraîne le monde. » – Gilbert Keith Chesterton, New Witness, 21 octobre 1921.
Et comme l’écrit Pierre Marcel dans son livre cité plus haut :
« Incroyable, mais vrai : on offre pour remède à l’homme-moderne ce qu’on croit qu’il est devenu : on se fait le porte-parole de son idéologie et de ses misères. Si le monde est présent dans l’Église, comment l’Église peut-elle être présente au monde ? – Les difficultés de l’homme-moderne à recevoir l’Évangile sont celles de tous les temps. Il y faut la repentance et la foi, par la puissance de l’Esprit Saint. Mais l’Esprit n’a pas de place dans la nouvelle théologie ! » (p. 149)
Le progressisme a remplacé le souci sacré de préserver coûte que coûte le « dépôt de la foi » pour reprendre la formule de l’apôtre Paul en 1 Timothée 6.20.
La Réformation c’est quoi ? Ce n’est certes pas la ré-volution mais bien plutôt la re-formation de l’Église : remise sur la forme, sous-entendu la forme initiale de la Parole de Dieu. Retour à la Source. Volonté ferme de se re-mettre au diapason de l’Évangile pur et simple. Purement et simplement. Loin des scories de l’histoire et de ses infidélités nombreuses, trop nombreuses. Car « le visage de l’Église est le visage d’un pécheur » (Luther)… pardonné, certes. Mais trop pécheur pour ne plus avoir à se repentir ! Quelle est donc cette Église qui se glorifie en elle-même plutôt que dans son Seigneur et Sauveur Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme à la fois, du Symbole de Nicée ? Nous ne sommes que des serviteurs inutiles, des serviteurs infidèles appelés à la fidélité ! La repentance n’est pas une option.
« Repentez-vous, car le royaume des cieux est proche ! » (Matthieu 3.2)
Moi j’appelle ça l’esprit de la Reformation. Et cet esprit-là n’est la propriété de personne. Cet esprit-là n’est pas spécifiquement protestant. Il appartient à chaque Église, à chaque confession. Dans un souci permanent de revenir à l’enseignement du Christ et des Apôtres. Notre divin Maître. A l’Ecriture Sainte qui est tout à la fois et indissolublement Évangile et Loi, commandements plus promesses. Indissociablement. L’Évangile qui ne dispense pas de l’obéissance à la Loi…
Des propos de l’évêque de Strickland dans sa réaction à sa destitution par le pape François j’ai plus particulièrement retenu ceci : « … Ceux qui voudraient proposer des changements à ce qui ne peut être changé cherchent à confisquer l’Église de Christ, et ce sont eux les vrais schismatiques. »
J’aime beaucoup ça !
Que l’on soit romains catholiques ou protestants orthodoxes, et par-delà nos différences (qui sont réelles sur le rapport entre Écriture et Tradition notamment) il y a un combat commun à mener contre le dévoiement de l’Évangile qui consiste à s’écarter du « dépôt de la foi », de la Parole de Dieu, autrement dit de ce qui ne saurait être changé sans briser le lien entre l’unité de l’Église et la Vérité, la Foi une et indivisible de l’Église.
Revenons à l’Évangile ! Point fini !
Pasteur Vincent Bru
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