Christianisme identitaire

Forces et faiblesses du christianisme identitaire : analyse réformée (Vincent Bru)

Voir de-même : Laïcité et identité chrétienne selon la théologie réformée classique (Vincent Bru)

Cette question touche à une tension majeure de notre époque : comment un chrétien réformé peut-il penser la nation — et l’identité nationale — sans tomber dans les dérives du nationalisme idolâtre ni dans la dissolution universaliste du multiculturalisme relativiste.

Partons d’abord des concepts, puis nous les relierons à la théologie biblique des nations exposée par Jean-Marc Berthoud.

1. Qu’est-ce que le « christianisme identitaire » ?

Le christianisme identitaire est un courant qui veut que le christianisme ne soit pas seulement une foi personnelle, mais aussi une matrice culturelle, morale et politique pour une nation. Il affirme que l’identité d’un peuple est indissociable de sa foi historique : par exemple, la France serait « fille aînée de l’Église », l’Europe « chrétienne », etc.

Ce courant se veut une réponse à la sécularisation, à l’islamisation ou au mondialisme, et cherche à réaffirmer que la civilisation européenne (ou française) est issue du christianisme. Il se traduit par une volonté de réenraciner la foi dans la culture nationale.

Mais le danger, vu d’un point de vue biblique réformé, est double :

  • D’un côté, il y a le risque d’ériger la nation ou la culture chrétienne en idole politique, où le Christ devient le drapeau d’un peuple particulier plutôt que le Roi des nations.
  • De l’autre, il y a la tentation inverse, celle du piétisme désincarné qui réduit le christianisme à la sphère privée, abandonnant la société, les lois et les institutions à une neutralité laïque ou païenne.

La foi réformée refuse ces deux extrêmes : elle confesse à la fois la seigneurie universelle du Christ (Colossiens 1.16-17) et la réalité créationnelle des nations (Actes 17.26).

C’est précisément ce que Jean-Marc Berthoud expose dans Les nations, une malédiction ?.


2. Les nations selon la théologie biblique (synthèse de Jean-Marc Berthoud)

Berthoud montre que, loin d’être un accident de l’histoire, la nation est un ordre créationnel voulu par Dieu, au même titre que la famille et l’Église.

  • Dieu a fait les nations (Psaume 86.8-10).
  • Il en a fixé les bornes et les temps (Actes 17.26).
  • Elles sont appelées à le chercher et à le glorifier dans leur diversité.
  • Elles subsisteront dans la gloire éternelle, purifiées et restaurées dans le Royaume (Apocalypse 21.24-26).

La dispersion de Babel (Genèse 11) n’est donc pas une malédiction en soi, mais un jugement bienfaisant : Dieu empêche la fusion totalitaire de l’humanité dans un empire mondial idolâtre, comme celui de Nimrod.

La diversité des nations est donc protectrice, et même prophétique : elle annonce la diversité des peuples rachetés qui marcheront à la lumière de l’Agneau.

Ainsi, la vision biblique refuse le mondialisme unificateur (l’utopie de Babel et des empires) comme le repli ethno-idolâtre.


3. Forces et faiblesses du christianisme identitaire (analyse réformée)

Forces :

  1. Il reconnaît que la foi a une dimension publique : le Christ règne non seulement sur les consciences, mais sur les nations (Psaume 2).
  2. Il réaffirme la valeur de l’ordre créationnel, contre l’individualisme abstrait et l’idéologie globaliste.
  3. Il résiste à la sécularisation en rappelant que la culture, la loi et l’histoire d’un peuple ne sont jamais neutres : elles reflètent une foi, une religion, un culte.

Faiblesses :

  1. Il confond souvent la chrétienté et la foi : un peuple « culturellement chrétien » peut rester spirituellement mort (Apocalypse 3.1).
  2. Il absolutise la nation, oubliant que « notre cité à nous est dans les cieux » (Philippiens 3.20).
  3. Il risque d’exclure la dimension missionnaire universelle de l’Évangile, qui rassemble les élus « de toute tribu, de toute langue, de tout peuple et de toute nation » (Apocalypse 7.9).
  4. Enfin, il tend à sacraliser la tradition nationale plutôt qu’à la juger et la purifier à la lumière de la Parole de Dieu.

Autrement dit : le christianisme identitaire perçoit bien la dimension politique du Royaume de Dieu, mais il oublie que ce Royaume ne s’établit pas par la chair, ni par le sang, ni par la culture, mais par la régénération spirituelle (Jean 3.5).


4. Si le christianisme ne forge plus l’identité de la France, que restera-t-il ?

C’est ici une question capitale. Une nation ne vit pas dans le vide : si elle renonce à la foi qui l’a fondée, elle sera façonnée par une autre foi. Car toute société repose sur un culte.

Si ce culte n’est plus rendu au Dieu trinitaire, il le sera :

  • à une autre religion (islam, néo-paganisme, syncrétisme new age),
  • ou à une idéologie (humanisme sécularisé, wokisme, écologisme absolu),
  • ou à l’athéisme pratique, où l’homme se fait dieu.

Comme le disait Calvin : « Le cœur de l’homme est une fabrique d’idoles. »

L’histoire de France l’illustre : la Révolution a remplacé le culte du Christ par le culte de la Raison, l’État-nation s’est fait dieu. L’Europe postmoderne a remplacé la croix par le drapeau étoilé du marché et du droit de l’homme désincarné.

Il n’existe aucune neutralité : soit le Christ est reconnu comme Seigneur des nations (Matthieu 28.18-20), soit Babel revient sous d’autres formes.


5. Penser la nation chrétiennement : entre fascisme et Babel

Pour éviter les deux abîmes — le nationalisme fascisant et le cosmopolitisme babélique —, il faut revenir à une doctrine réformée des trois ordres créationnels : famille, Église, nation1.

  1. Chaque ordre a son autonomie et sa finalité propre, mais tous relèvent de la souveraineté de Dieu.
    • La famille : cellule de base de la société.
    • L’Église : instrument du salut et du renouvellement spirituel.
    • La nation : cadre providentiel de la vie commune, où la justice, la langue et la culture s’exercent.
  2. La nation chrétienne n’est pas celle qui se ferme aux autres, mais celle qui reconnaît publiquement le Christ comme Roi, fonde ses lois sur la Loi divine, et recherche la justice selon la Parole.
  3. L’universalisme biblique ne détruit pas les nations, mais les convertit et les transfigure : la Pentecôte est l’anti-Babel, non par l’uniformité, mais par la communion dans la diversité.
  4. Enfin, le pouvoir politique doit être vu comme un ministère de Dieu (Romains 13.1-7) : il protège la nation, non pour sa gloire propre, mais pour que le peuple puisse vivre en paix et servir Dieu librement.

6. Conclusion : pour une vision réformée de la nation

Le christianisme réformé enseigne :

  • que Dieu est le Créateur des nations,
  • que le Christ en est le Roi,
  • que l’Évangile les purifie sans les abolir,
  • et que leur identité ne trouve sa vérité que dans la gloire rendue à Dieu.

Le « christianisme identitaire » n’est donc ni entièrement faux ni entièrement juste. Il rappelle légitimement l’importance de l’incarnation de la foi dans la culture nationale, mais il doit se soumettre au Christ, afin que la nation ne soit pas une idole, mais une servante du Royaume.

Et si la France veut demeurer une nation vivante, elle devra tôt ou tard se souvenir de cette vérité :

« Heureuse la nation dont l’Éternel est le Dieu » (Psaume 33.12).

Le choix n’est pas entre la foi et la neutralité, mais entre le Christ et Babel. Et comme le rappelle Berthoud, au dernier jour, « les nations marcheront à la lumière de l’Agneau ».

Notre vocation, comme chrétiens français, est d’œuvrer dès aujourd’hui pour que notre nation en fasse partie.

  1. Abraham Kuyper, avec sa doctrine de la « souveraineté en sphères » (chaque domaine – État, Église, famille – autonome sous la seigneurie du Christ) et sa « grâce commune » (la révélation générale de Dieu dans la création, accessible à tous), défend un engagement culturel chrétien sans confusion des pouvoirs. Les reconstructionnistes, plus radicaux, appellent à « reconstruire » la société sous la loi biblique (théonomie), en rejetant le pluralisme laïc comme rébellion contre Dieu, mais en insistant sur une application universelle de la justice divine, non ethnique. ↩︎

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