Jay E. Adams – Fondements du counseling biblique nouthétique

Jay E. Adams et la relation d’aide biblique : fondements nouthétiques et théologie de l’alliance

Vincent Bru, 13 décembre 2025

Jay E. Adams (1929–2020) fut pasteur presbytérien et théologien réformé américain. Il est principalement connu pour avoir profondément renouvelé la réflexion chrétienne sur la relation d’aide et l’accompagnement pastoral au XXᵉ siècle. À une époque où le counseling chrétien tendait à s’aligner largement sur les modèles psychologiques séculiers, Adams a opéré un rappel vigoureux des fondements bibliques et théologiques du soin des âmes, en développant ce qu’il a appelé l’approche « nouthétique ».

Son apport incontestable réside dans une affirmation centrale : l’Écriture Sainte est suffisante, claire et normative pour comprendre l’être humain, sa souffrance et son besoin de restauration. Pour Adams, l’accompagnement chrétien ne peut être neutre. Il est nécessairement théocentrique, enraciné dans la révélation de Dieu et orienté vers Sa gloire. Le conseiller chrétien n’est pas d’abord un technicien, mais un ministre de la Parole, appelé à écouter, discerner et exhorter avec amour, à la lumière de l’Évangile.

Inscrit explicitement dans la théologie réformée de l’alliance, Jay Adams considère l’homme avant tout comme un être relationnel, créé pour vivre en communion avec Dieu. La majorité des maux dont l’être humain souffre ne trouvent donc pas leur origine première dans des dysfonctionnements psychiques ou biologiques, mais dans la rupture de cette relation fondamentale. Le péché, compris non seulement comme transgression morale mais comme désordre relationnel vis-à-vis de Dieu, demeure au cœur de l’analyse d’Adams. Cette rupture entraîne des conséquences spirituelles, théologiques, relationnelles et existentielles qui se manifestent dans la vie quotidienne.

Pour autant, Adams ne nie pas l’existence de cas cliniques réels. Il reconnaît explicitement les situations relevant de pathologies organiques, psychiatriques ou traumatiques graves, qui nécessitent une prise en charge spécialisée. Cependant, il met en garde contre une médicalisation ou une psychologisation excessive de la souffrance humaine, qui tend à évacuer la responsabilité morale, la dimension spirituelle et l’appel biblique à la repentance et à la foi.

L’approche nouthétique repose ainsi sur une conviction forte : Dieu parle à l’homme par Sa Parole, et cette Parole a le pouvoir de confronter, d’éclairer, de consoler et de transformer. L’exhortation biblique, lorsqu’elle est exercée avec amour, patience et sagesse, vise un changement réel et concret de vie, inscrit dans le processus de sanctification. L’accompagnement chrétien n’est pas seulement destiné à soulager, mais à restaurer une relation juste avec Dieu et avec le prochain.

Les deux ouvrages majeurs de Jay E. Adams consacrés à la relation d’aide, Competent to Counsel et The Christian Counselor’s Manual, exposent et développent cette vision de manière systématique et pratique. Ils constituent aujourd’hui encore des références incontournables pour quiconque souhaite réfléchir à un accompagnement pastoral résolument biblique et fidèle à la théologie réformée de l’alliance. Ces livres n’ont malheureusement pas encore été traduits en français, ce qui explique la nécessité d’en proposer ici un résumé et une présentation accessibles au public francophone.

Les pages qui suivent offrent donc une synthèse de ces deux ouvrages fondateurs, accompagnée de repères pédagogiques et critiques, afin d’en faciliter la compréhension et l’usage dans un cadre pastoral et ecclésial contemporain.



Recension – Competent to Counsel et The Christian Counselor’s Manual

Avec Competent to Counsel (1970) et The Christian Counselor’s Manual, Jay E. Adams a posé les fondations d’une approche du counseling chrétien résolument biblique, théocentrique et enracinée dans la théologie réformée de l’alliance. Ces deux ouvrages forment un ensemble cohérent : le premier établit les principes théologiques, le second en déploie l’application pratique.

La thèse centrale d’Adams peut se résumer ainsi : Dieu a donné à son Église, par l’Écriture, tout ce qui est nécessaire pour le soin des âmes. Le counseling chrétien n’est donc pas un domaine neutre ou technique, mais un ministère de la Parole. Il repose sur l’exhortation biblique (nouthēsia), c’est-à-dire une confrontation aimante, verbale et intentionnelle, visant un changement réel de vie.

Adams prend le péché au sérieux. Il considère que, en dehors des cas relevant clairement de pathologies médicales ou psychiatriques, la majorité des troubles humains trouvent leur racine dans un désordre spirituel et théologique : une relation faussée avec Dieu, des désirs mal orientés, une pensée non renouvelée par la Parole. Cette analyse s’inscrit pleinement dans la théologie de l’alliance, où l’homme est compris comme un être responsable, vivant devant Dieu, appelé à répondre à sa Parole.

Competent to Counsel insiste particulièrement sur la suffisance de l’Écriture et sur la compétence spirituelle de l’Église. Adams y conteste l’idée selon laquelle seuls des spécialistes formés à la psychologie moderne seraient aptes à accompagner les personnes en difficulté. Pour lui, un chrétien mûr, formé à la Parole et animé par l’amour pastoral, est réellement « compétent pour conseiller ».

The Christian Counselor’s Manual traduit ces principes en méthode concrète. Adams y décrit comment conduire un entretien, poser les bonnes questions, discerner les responsabilités, fixer des objectifs bibliques, proposer des mises en pratique, assurer un suivi et savoir reconnaître ses limites. Le changement attendu n’est jamais purement intérieur ou émotionnel, mais observable dans la vie quotidienne.

Notions clés à retenir, même sans lire les livres

– La Bible est suffisante pour le soin des âmes
– Le counseling est un ministère de la Parole, non une technique neutre
– L’homme est responsable devant Dieu, même dans la souffrance
– Le péché est une réalité spirituelle et relationnelle, pas seulement morale
– Le but de l’accompagnement est la transformation, pas seulement le soulagement
– L’exhortation doit être aimante, patiente et orientée vers la restauration
– L’Église est compétente et appelée à exercer ce ministère

Quelques citations clés de Jay E. Adams (traduction française)

« La Bible ne nous dit pas tout ce que nous aimerions savoir, mais elle nous dit tout ce que nous avons besoin de savoir pour vivre d’une manière qui plaise à Dieu. »

« Le counseling chrétien consiste à aider une personne à conformer sa vie à la Parole de Dieu. »

« Le problème fondamental de l’homme n’est pas psychologique, mais spirituel. »

« Le changement biblique ne se mesure pas à ce que l’on ressent, mais à la manière dont on vit. »

« Aimer quelqu’un, c’est parfois devoir lui dire ce qu’il ne veut pas entendre, pour son bien. »

Appréciation d’ensemble

Ces deux ouvrages constituent une contribution majeure au soin pastoral dans la tradition réformée. Leur clarté théologique, leur cohérence biblique et leur souci de responsabilité en font des références incontournables. Ils demandent cependant aujourd’hui à être lus avec discernement, notamment à la lumière des connaissances actuelles sur le psychotraumatisme. Correctement contextualisés, ils demeurent un socle solide pour une relation d’aide fidèle à l’Évangile, respectueuse de la dignité humaine et centrée sur la gloire de Dieu.


Recension critique en 10 points

  1. Un rappel salutaire de la suffisance de l’Écriture
    Adams a rendu un service majeur à l’Église en réaffirmant que la Bible est normative et suffisante pour le soin des âmes. Il a ainsi résisté à la psychologisation excessive du counseling chrétien.
  2. Une approche clairement théocentrique
    Le counseling nouthétique est centré sur Dieu, sa Parole et sa gloire, et non sur l’autonomie du sujet ou le simple bien-être émotionnel.
  3. Une anthropologie réformée cohérente
    Adams comprend l’homme comme un être d’alliance, responsable devant Dieu, ce qui donne à son approche une solidité théologique et une réelle cohérence doctrinale.
  4. Une prise au sérieux du péché et de la responsabilité morale
    À contre-courant des approches déterministes, Adams rappelle que beaucoup de souffrances sont liées à des désordres spirituels, à des choix et à des schémas de pensée non renouvelés.
  5. Une méthode pastorale concrète et structurée
    Le Christian Counselor’s Manual fournit des outils pratiques clairs pour l’entretien, l’analyse, le suivi et l’accompagnement dans la durée.
  6. Un risque de réduction morale de certaines souffrances
    Là où la lecture devient problématique, c’est lorsque des symptômes traumatiques ou des réactions de survie peuvent être interprétés trop rapidement comme des fautes spirituelles.
  7. Une prise en compte insuffisante du psychotraumatisme
    Les avancées contemporaines sur le trauma, la mémoire et la régulation émotionnelle n’étaient pas disponibles à l’époque d’Adams, ce qui limite l’applicabilité directe de certaines exhortations.
  8. Une confrontation parfois trop rapide
    La centralité de l’exhortation peut conduire, sans discernement, à une confrontation prématurée qui fragilise la relation d’aide ou réactive la souffrance.
  9. Une vision exigeante du changement
    L’insistance sur un changement concret et observable est bibliquement juste, mais elle nécessite aujourd’hui d’être articulée avec des temporalités longues et des processus de reconstruction.
  10. Une œuvre fondatrice à contextualiser, non à rejeter
    Les écrits d’Adams ne doivent ni être absolutisés ni disqualifiés. Correctement contextualisés, ils demeurent une base théologique solide pour un accompagnement pastoral fidèle, à condition d’y intégrer les apports contemporains sur la souffrance psychique.

Conclusion synthétique
Jay E. Adams a rappelé à l’Église que le soin des âmes relève d’abord de la Parole de Dieu. Son œuvre reste indispensable pour penser une relation d’aide biblique. Elle appelle toutefois aujourd’hui une application prudente, patiente et éclairée, particulièrement face aux réalités traumatiques.


Fiches de lecture

Competent to Counsel. Introduction to Nouthetic Counseling, Jay Adams

Jay Adams
Competent to Counsel – Introduction to Nouthetic Counseling de Jay E

Competent to Counsel. Introduction to Nouthetic Counseling, publié pour la première fois en 1970, est un ouvrage fondateur qui a profondément marqué le paysage du counseling chrétien réformé au XXᵉ siècle. Par ce livre, Jay E. Adams, pasteur presbytérien et théologien américain, ne cherche pas simplement à proposer une nouvelle méthode d’accompagnement, mais à opérer une réforme théologique et pastorale du soin des âmes, qu’il estime alors largement capturé par des présupposés psychologiques étrangers à l’Écriture.

L’intuition centrale d’Adams est simple, mais radicale : si Dieu a parlé de manière suffisante et normative dans l’Écriture, alors l’Église n’a pas à emprunter ses catégories fondamentales à des anthropologies concurrentes pour comprendre l’homme, sa souffrance et son besoin de transformation. Cette conviction s’inscrit pleinement dans la tradition réformée classique, et plus précisément dans la théologie de l’alliance, qui affirme que Dieu entre en relation avec l’homme par sa Parole, dans un cadre à la fois juridique, relationnel et éthique.

Dans cette perspective, Adams refuse de considérer l’être humain avant tout comme un patient déterminé par son passé, ses pulsions ou ses conditionnements. Il le comprend d’abord comme un être d’alliance, créé à l’image de Dieu, responsable devant Lui, appelé à vivre dans l’obéissance de la foi, mais aussi profondément affecté par la chute. La souffrance humaine, pour Adams, ne peut donc être réduite ni à un simple dysfonctionnement psychique, ni à une pure pathologie médicale. Elle s’inscrit dans la réalité biblique d’un monde brisé, où le péché, personnel et structurel, désorganise la relation à Dieu, aux autres et à soi-même.

L’apport spécifique d’Adams à la théologie réformée de l’alliance se situe précisément ici : il applique de manière rigoureuse les catégories covenantales au domaine du counseling. Là où la théologie de l’alliance a traditionnellement structuré la prédication, la catéchèse et l’éthique, Adams l’étend explicitement au soin pastoral. L’exhortation (nouthēsia), qu’il place au cœur de sa méthode, n’est pas une innovation arbitraire, mais l’expression pratique de la dynamique d’alliance elle-même : Dieu parle, avertit, reprend, console et appelle à la repentance et à la fidélité.

Ainsi, le counseling nouthétique repose sur une logique profondément biblique : l’homme est confronté à la Parole de Dieu non pour être écrasé, mais pour être restauré. Cette confrontation est toujours personnelle, verbale et relationnelle, parce que l’alliance est elle-même relationnelle. Elle vise un changement réel de conduite et de pensée, non par simple ajustement comportemental, mais par renouvellement du cœur et de l’intelligence, dans la dépendance de la grâce.

Adams s’inscrit également dans la continuité des Réformateurs lorsqu’il affirme la suffisance de l’Écriture. À l’image de Calvin, qui considérait la Parole comme la règle parfaite pour connaître Dieu et se connaître soi-même, Adams soutient que l’Écriture fournit les catégories nécessaires pour discerner, nommer et traiter les problèmes spirituels fondamentaux de l’existence humaine. Ce principe ne nie pas l’existence de maladies organiques ou de troubles nécessitant une prise en charge médicale, mais il refuse que ces cas deviennent la grille dominante pour interpréter toute souffrance humaine.

Enfin, Competent to Counsel redonne à l’Église locale une responsabilité centrale dans le soin des âmes. Dans une vision résolument réformée, Adams refuse la privatisation ou la technicisation excessive de l’accompagnement. L’exhortation mutuelle, l’enseignement, la discipline et la consolation sont des moyens ordinaires de la grâce confiés au peuple de Dieu. Le pasteur, l’ancien et même le chrétien mûr sont appelés à y participer, chacun selon sa vocation, sous l’autorité de l’Écriture.

Cet ouvrage n’est donc pas seulement un manifeste méthodologique. Il constitue une tentative cohérente de repenser le counseling comme un ministère d’alliance, enraciné dans la doctrine réformée de l’homme, du péché, de la grâce et de la sanctification. C’est précisément pour cette raison qu’il demeure une référence incontournable, même lorsqu’il doit aujourd’hui être lu avec discernement, notamment face aux avancées contemporaines sur le psychotraumatisme.


Chapitre 1 – La crise du counseling moderne
Adams commence par un constat critique : le counseling chrétien s’est progressivement aligné sur la psychologie séculière. Selon lui, beaucoup de pasteurs et d’accompagnants ont abandonné la Bible comme source suffisante pour comprendre et aider l’être humain. Il pose la question centrale : qui est réellement compétent pour accompagner l’homme en difficulté ?

Chapitre 2 – La suffisance de l’Écriture
Ce chapitre pose le fondement théologique de toute la démarche. Adams affirme que l’Écriture est suffisante pour traiter les problèmes fondamentaux de la vie humaine (péché, souffrance, relations, responsabilités). Il s’appuie notamment sur 2 Timothée 3.16–17 pour affirmer que le chrétien est « pleinement équipé » pour l’accompagnement.

Chapitre 3 – Qu’est-ce que le counseling nouthétique ?
Adams définit le terme clé : nouthetic (du grec noutheteō). Il explique que la relation d’aide biblique repose sur trois éléments indissociables :
– une confrontation verbale,
– motivée par l’amour,
– visant un changement concret conforme à la Parole de Dieu.
Le counseling nouthétique n’est ni brutal ni passif : il est intentionnel et orienté vers la transformation.

Chapitre 4 – Le problème fondamental de l’homme
Adams affirme que, même si des facteurs biologiques ou sociaux existent, le problème central de l’homme demeure moral et spirituel. Le péché, compris comme rupture avec Dieu et désordre des relations, est au cœur de nombreuses souffrances humaines. Il refuse une vision purement déterministe de l’être humain.

Chapitre 5 – La responsabilité personnelle
Ce chapitre insiste sur la responsabilité individuelle. Adams critique les approches qui déresponsabilisent la personne en expliquant ses comportements uniquement par son passé, son environnement ou ses blessures. Il rappelle que l’appel biblique est toujours un appel à la repentance, à l’obéissance et à la croissance.

Chapitre 6 – Le rôle du conseiller chrétien
Le conseiller nouthétique n’est ni un thérapeute neutre ni un simple auditeur. Il agit comme un frère, un pasteur, un accompagnateur spirituel. Sa tâche est d’écouter, discerner, enseigner, exhorter et encourager, toujours sous l’autorité de l’Écriture et avec humilité.

Chapitre 7 – Le rôle de l’Église
Adams souligne que le counseling n’est pas réservé à des spécialistes. L’Église tout entière est appelée à l’exhortation mutuelle (Romains 15.14). Il critique la professionnalisation excessive du soin de l’âme et appelle à redonner à l’Église locale sa responsabilité biblique.

Chapitre 8 – La place de l’amour et de la compassion
Contrairement à certaines caricatures, Adams insiste sur l’amour pastoral. La confrontation biblique n’est jamais dure ou mécanique : elle doit être empreinte de patience, de douceur et de compassion, à l’image du Christ.

Chapitre 9 – Le changement biblique
Ce chapitre décrit le processus de changement :
– abandon des comportements pécheurs,
– renouvellement de l’intelligence par la Parole,
– mise en pratique d’une obéissance concrète.
Le changement n’est pas seulement émotionnel, mais visible dans la vie quotidienne.

Chapitre 10 – Limites et discernement
Adams reconnaît l’existence de troubles organiques ou médicaux nécessitant une prise en charge spécifique. Il affirme cependant que ces cas sont minoritaires et ne doivent pas devenir un prétexte pour évacuer la dimension spirituelle et morale de l’accompagnement.

Chapitre 11 – Une alternative chrétienne claire
L’ouvrage se conclut par un appel : les chrétiens doivent choisir entre deux visions de l’homme – une vision biblique ou une vision psychologisante séculière. Adams appelle à un retour courageux à une relation d’aide clairement enracinée dans l’autorité de la Parole de Dieu.

En résumé pédagogique
– La Bible est suffisante pour l’accompagnement spirituel.
– Le counseling est une exhortation aimante orientée vers le changement.
– L’homme reste responsable, même au cœur de la souffrance.
– L’Église est compétente pour le soin des âmes.
– L’amour et la vérité doivent toujours aller ensemble.


Competent to Counsel se conclut implicitement par un appel à la fidélité. Jay E. Adams ne cherche pas à offrir une méthode parmi d’autres, mais à rappeler à l’Église sa vocation première dans le soin des âmes : annoncer, appliquer et faire vivre la Parole de Dieu au cœur même des situations de détresse humaine. Son œuvre s’inscrit dans une dynamique de réforme pastorale, au sens le plus classique du terme, en appelant à un retour à l’autorité normative de l’Écriture dans l’accompagnement des personnes éprouvées.

L’apport majeur de cet ouvrage est d’avoir rappelé que le counseling chrétien n’est pas un espace neutre ou techniquement autonome, mais un ministère d’alliance. Dieu parle, l’homme répond ; Dieu exhorte, l’homme est appelé à la repentance et à la foi ; Dieu promet la restauration, et l’homme est invité à marcher dans l’obéissance. Cette logique covenantale traverse tout le livre et lui donne sa cohérence interne. Le soin pastoral n’est pas d’abord thérapeutique, il est relationnel, moral et spirituel, inscrit dans une histoire de rédemption.

Dans cette perspective, Adams a rendu un service durable à la théologie réformée en refusant la dilution du discours biblique dans des catégories psychologiques étrangères à l’Écriture. Il a rappelé que la souffrance humaine, si réelle et parfois écrasante soit-elle, ne peut être comprise en dehors de la chute, du péché, de la responsabilité morale et de l’espérance de transformation offerte en Christ. Cette affirmation demeure précieuse à une époque où la tentation est forte de réduire l’homme à un ensemble de mécanismes psychiques ou neurobiologiques.

Appliqué au contexte de l’aumônerie militaire, Competent to Counsel offre plusieurs repères structurants. D’abord, il rappelle que la personne accompagnée n’est pas seulement un individu en difficulté, mais un être d’alliance placé devant Dieu, même au cœur de situations extrêmes : violence, perte, culpabilité morale, échec, ou confrontation répétée à la mort. L’aumônier n’est pas un simple soutien moral ou un relais social ; il est un ministre de la Parole, appelé à parler vrai, avec amour, dans un cadre de confiance.

Ensuite, l’approche nouthétique permet de tenir ensemble deux réalités souvent dissociées dans le contexte militaire : la reconnaissance de la souffrance réelle et la préservation de la responsabilité morale. Adams offre un cadre qui permet de nommer la douleur sans l’idolâtrer, de reconnaître les blessures sans dissoudre l’appel à la fidélité, et d’accompagner sans enfermer la personne dans une identité de victime. Cette posture est particulièrement pertinente lorsqu’il s’agit d’aider à relire des actes vécus dans des contextes contraints, marqués par l’obéissance, l’usage de la force et le poids des conséquences.

Par ailleurs, Competent to Counsel invite à une grande humilité pastorale. Adams reconnaît l’existence de situations nécessitant une prise en charge médicale ou spécialisée. Cette reconnaissance ouvre la voie à une collaboration saine avec les professionnels de santé, sans abdication du rôle spirituel propre à l’aumônerie. L’aumônier demeure compétent dans son champ : celui de l’écoute, du discernement spirituel, de l’exhortation biblique et de l’annonce de la grâce.

Enfin, l’ouvrage rappelle que le changement véritable ne peut être réduit à un apaisement émotionnel ou à une stabilisation fonctionnelle. Le but ultime du counseling chrétien reste la restauration de la relation à Dieu et la croissance dans la sainteté. Dans un environnement marqué par la rigueur, la discipline et parfois la dureté, cette perspective offre une espérance profonde : même après des expériences moralement lourdes ou intérieurement dévastatrices, un chemin de repentance, de pardon et de reconstruction demeure possible.

En conclusion, Competent to Counsel reste une œuvre exigeante, parfois tranchante, mais profondément enracinée dans la théologie réformée de l’alliance. Lue avec discernement et contextualisée avec sagesse, elle constitue un socle théologique solide pour un accompagnement pastoral fidèle, y compris dans les contextes les plus éprouvants. Pour l’aumônerie militaire, elle rappelle une vérité essentielle : la Parole de Dieu n’est jamais inadaptée aux situations extrêmes, et le soin de l’âme demeure un ministère de vérité, de grâce et d’espérance.


The Christian Counselor’s Manual : The Practice of Nouthetic Counseling de Jay E. Adams

Jay Adams
The Christian Counselor’s Manual: The Practice of Nouthetic Counseling de Jay E. Adams

The Christian Counselor’s Manual constitue le prolongement pratique et méthodologique de Competent to Counsel. Là où le premier ouvrage posait les fondements théologiques du counseling nouthétique, ce manuel se présente comme un guide de terrain destiné à équiper concrètement les pasteurs, anciens et accompagnateurs chrétiens dans le soin des âmes. Jay E. Adams y développe une vision résolument biblique de l’accompagnement, enracinée dans la théologie réformée et dans une compréhension covenantale de l’être humain.

L’objectif du livre est clair : montrer comment appliquer, de manière fidèle et structurée, l’exhortation biblique au cœur des situations réelles de souffrance, de conflit et de désordre moral. Adams refuse une conception abstraite ou théorique du counseling. Il s’adresse à ceux qui, semaine après semaine, rencontrent des personnes aux prises avec des difficultés concrètes et parfois lourdes, et qui cherchent des repères solides pour les accompagner avec vérité et amour.

Dans cet ouvrage, le counseling est présenté comme un ministère de la Parole. Le conseiller n’est ni un technicien neutre ni un simple soutien émotionnel, mais un serviteur appelé à écouter, discerner, enseigner et exhorter à la lumière de l’Écriture. Chaque étape de l’accompagnement – de la première rencontre jusqu’au suivi dans la durée – est pensée dans une logique biblique de responsabilité, de repentance, de changement et de croissance spirituelle.

The Christian Counselor’s Manual se distingue également par son insistance sur le caractère concret du changement chrétien. Adams souligne que l’obéissance à Dieu ne se limite pas à des intentions intérieures, mais se manifeste dans des attitudes, des paroles et des comportements observables. Cette dimension pratique confère à l’ouvrage une grande utilité pastorale, tout en exigeant un discernement et une maturité spirituelle de la part de l’accompagnateur.

Enfin, ce manuel s’inscrit dans une vision ecclésiale du soin des âmes. Adams rappelle que le counseling n’est pas une activité marginale ou réservée à des spécialistes, mais une responsabilité partagée au sein de l’Église, appelée à vivre l’exhortation mutuelle dans l’amour et la vérité.


Chapitre 1 – Le but du counseling chrétien
Adams rappelle que le counseling n’a pas pour objectif principal le soulagement émotionnel, mais la gloire de Dieu et la croissance du croyant dans l’obéissance. Le changement recherché est moral et spirituel, visible dans la vie quotidienne.

Chapitre 2 – Le cadre biblique du counseling
Le counseling s’inscrit dans l’autorité de l’Écriture. Le conseiller agit comme un ministre de la Parole, et non comme un technicien neutre. La Bible fournit les normes, les catégories et les objectifs de l’accompagnement.

Chapitre 3 – Le rôle et l’attitude du conseiller
Le conseiller doit faire preuve d’humilité, de patience et de fermeté. Il écoute attentivement, pose des questions précises et agit avec amour. Son autorité est dérivée de la Parole, non de sa personne.

Chapitre 4 – L’entretien initial
Ce chapitre très pratique décrit la première rencontre : accueil, clarification de la demande, collecte des faits, établissement d’un cadre clair. Adams insiste sur l’importance de comprendre le problème avant d’intervenir.

Chapitre 5 – L’écoute et le recueil des données
Le conseiller apprend à écouter activement, à distinguer faits, interprétations et émotions, et à ne pas se contenter de versions vagues ou émotionnelles. Le but est de cerner les comportements et situations concrètes.

Chapitre 6 – L’analyse du problème
Adams explique comment identifier les schémas de péché, les responsabilités personnelles et les influences extérieures. Il met en garde contre les diagnostics psychologiques hâtifs et privilégie une analyse biblique.

Chapitre 7 – Fixer des objectifs bibliques
Le counseling doit viser des objectifs clairs, mesurables et conformes à l’Écriture. Les objectifs ne sont pas simplement « se sentir mieux », mais vivre différemment devant Dieu et les autres.

Chapitre 8 – L’exhortation (nouthēsia)
Cœur du livre, ce chapitre explique comment confronter avec amour. L’exhortation est directe, verbale, fondée sur la Bible, toujours orientée vers le changement et la restauration.

Chapitre 9 – Les devoirs et exercices pratiques
Adams insiste sur l’importance des « devoirs » entre les séances : lectures bibliques, mises en pratique concrètes, changements de comportements observables. Le counseling se poursuit hors du bureau.

Chapitre 10 – Le suivi et l’évaluation
Le conseiller vérifie les progrès, ajuste les objectifs et encourage la persévérance. Le changement est souvent progressif et demande un accompagnement dans la durée.

Chapitre 11 – Les problèmes relationnels
Ce chapitre aborde les conflits, la colère, le pardon, la communication et la réconciliation. Adams applique les principes bibliques aux relations familiales, conjugales et communautaires.

Chapitre 12 – Les émotions et la souffrance
Adams traite des émotions fortes (peur, tristesse, anxiété) en rappelant qu’elles doivent être comprises à la lumière des croyances et des choix du cœur. Les émotions ne sont pas niées, mais replacées sous l’autorité de la foi.

Chapitre 13 – Les habitudes et dépendances
Il aborde les comportements répétitifs et les habitudes destructrices, en mettant l’accent sur la discipline, la responsabilisation et l’apprentissage de nouvelles pratiques conformes à la Parole.

Chapitre 14 – Les situations de crise
Adams décrit comment intervenir en cas de crise aiguë : désespoir, conflits graves, comportements dangereux. Il souligne la nécessité d’agir rapidement tout en restant bibliquement fidèle.

Chapitre 15 – Les troubles physiques et médicaux
Ce chapitre reconnaît l’existence de maladies organiques et la nécessité de collaborations médicales. Adams rappelle toutefois que même dans ces cas, l’accompagnement spirituel reste pertinent.

Chapitre 16 – Les limites du counseling
Le conseiller doit connaître ses limites, éviter l’orgueil et savoir orienter vers d’autres compétences lorsque c’est nécessaire. Le counseling nouthétique n’est ni omnipotent ni exclusif.

Chapitre 17 – Le counseling dans l’Église
Adams réaffirme que le counseling appartient à la vie de l’Église. Les anciens, pasteurs et chrétiens mûrs sont appelés à pratiquer l’exhortation mutuelle.

Chapitre 18 – Former d’autres conseillers
Le livre se termine par une vision de transmission : former d’autres accompagnateurs, équiper l’Église, et développer une culture biblique de l’entraide et de la croissance spirituelle.

En résumé pédagogique
– Le counseling est un ministère biblique structuré.
– L’exhortation aimante est centrale.
– Le changement doit être concret et observable.
– La responsabilité personnelle est maintenue.
– L’Église est le lieu naturel du soin des âmes.


The Christian Counselor’s Manual demeure l’un des ouvrages les plus structurants pour comprendre et pratiquer le counseling nouthétique dans une perspective réformée. Par son approche méthodique, bibliquement fondée et résolument orientée vers la transformation concrète, Jay E. Adams offre à l’Église un outil précieux pour exercer le soin pastoral de manière fidèle et responsable.

L’apport majeur de ce manuel est de rappeler que l’accompagnement chrétien ne peut être dissocié de l’autorité de l’Écriture ni de l’appel à la responsabilité personnelle. Dans un contexte où la souffrance est souvent abordée uniquement sous l’angle thérapeutique ou émotionnel, Adams réaffirme que le changement véritable implique une réponse morale et spirituelle à la Parole de Dieu. Cette conviction, profondément enracinée dans la théologie réformée de l’alliance, confère à l’ouvrage une cohérence et une force durable.

Cependant, la lecture de ce manuel appelle également au discernement. Les situations de souffrance humaine sont complexes, et certaines nécessitent une collaboration étroite avec des professionnels de santé. Adams lui-même reconnaît ces limites, invitant les conseillers à l’humilité et à la sagesse. Utilisé avec prudence, contextualisation et compassion, ce manuel peut servir de socle solide pour un accompagnement pastoral respectueux de la personne et fidèle à l’Évangile.

En définitive, The Christian Counselor’s Manual n’est pas seulement un guide pratique ; il est un appel à redonner toute sa place au ministère de la Parole dans le soin des âmes. Pour ceux qui exercent une responsabilité pastorale ou d’accompagnement, il demeure une référence incontournable, à lire, à critiquer et à appliquer avec fidélité, au service de la vérité, de la grâce et de la restauration des personnes confiées.


Annexes

Adaptation de The Christian Counselor’s Manual au contexte de l’aumônerie

Conçue comme un outil pratique de discernement, fidèle à l’esprit nouthétique, tout en tenant compte des contraintes institutionnelles, éthiques et humaines propres à ce cadre.

1. Statut et posture de l’aumônier
Dans le manuel, le conseiller agit avec une autorité pastorale explicite, inscrite dans la vie ecclésiale.
En aumônerie, l’aumônier agit avec une autorité spirituelle reconnue, mais non contraignante.
Adaptation :
– privilégier une autorité relationnelle et morale plutôt que disciplinaire
– rappeler que l’exhortation repose sur le consentement libre de la personne
– éviter toute confusion entre accompagnement spirituel et injonction institutionnelle

2. Cadre de l’entretien
Dans le manuel, le cadre est ecclésial, régulier et souvent inscrit dans la durée.
En aumônerie, le cadre est souvent ponctuel, mobile, parfois imprévisible.
Adaptation :
– clarifier dès le début le rôle de l’aumônier et les limites de l’entretien
– accepter que certaines rencontres soient uniques ou discontinues
– travailler avec des objectifs modestes mais clairs

3. Collecte des données et écoute
Le manuel insiste sur une collecte précise des faits et des comportements.
En aumônerie, le récit peut être fragmenté, chargé émotionnellement ou marqué par le silence.
Adaptation :
– privilégier une écoute patiente et sécurisante avant toute analyse
– distinguer clairement faits, émotions, culpabilité morale et culpabilité ressentie
– ne pas forcer la verbalisation, surtout en contexte de vécu traumatique

4. Analyse biblique du problème
Chez Adams, l’analyse met fortement l’accent sur la responsabilité morale.
En aumônerie, certaines situations relèvent davantage de l’épreuve, du choc ou de la sidération.
Adaptation :
– différencier clairement péché, souffrance subie et conséquences du mal
– éviter toute lecture moralisante de symptômes traumatiques
– utiliser les catégories bibliques de lamentation, cri, attente et espérance

5. Exhortation (nouthēsia)
Dans le manuel, la confrontation est directe et structurée.
En aumônerie, une confrontation trop rapide peut être contre-productive.
Adaptation :
– retarder l’exhortation lorsque la personne est en état de vulnérabilité aiguë
– privilégier une exhortation progressive, indirecte, souvent narrative ou biblique
– rappeler que l’appel au changement inclut aussi l’appel au repos, à la vérité et à l’aide

6. Objectifs du counseling
Le manuel vise un changement concret et observable.
En aumônerie, l’objectif peut être simplement de tenir, comprendre ou survivre spirituellement.
Adaptation :
– ajuster les objectifs à la réalité du moment
– reconnaître comme progrès la reprise de sens, de parole ou de confiance
– inscrire le changement dans une temporalité longue

7. Devoirs et mises en pratique
Adams accorde une grande place aux devoirs entre les séances.
En aumônerie, ces pratiques doivent rester simples et non contraignantes.
Adaptation :
– proposer des exercices spirituels légers (lecture, prière, psaume, silence)
– éviter toute surcharge ou pression de performance
– adapter les propositions au rythme et à l’état psychique de la personne

8. Gestion des émotions et de la souffrance
Le manuel relie fortement émotions et croyances.
En contexte d’aumônerie, certaines émotions relèvent du choc ou du trauma.
Adaptation :
– reconnaître la légitimité de certaines réactions émotionnelles
– éviter de corriger trop vite les émotions par des exhortations doctrinales
– utiliser les Psaumes comme médiation biblique de la souffrance

9. Situations de crise
Adams propose une intervention rapide et structurée.
En aumônerie, la crise peut nécessiter une coordination interprofessionnelle.
Adaptation :
– savoir repérer les signaux d’alerte nécessitant un relais
– travailler en complémentarité avec les acteurs compétents
– rester présent spirituellement sans se substituer aux autres prises en charge

10. Limites et orientation
Le manuel reconnaît les limites du counseling nouthétique.
En aumônerie, ces limites doivent être clairement assumées.
Adaptation :
– nommer explicitement ce qui relève du spirituel et ce qui ne l’est pas
– orienter sans culpabiliser ni abandonner
– maintenir un lien spirituel même après une orientation

11. Dimension ecclésiale
Chez Adams, l’Église est le lieu naturel du suivi.
En aumônerie, le lien ecclésial est parfois absent ou fragile.
Adaptation :
– respecter le chemin spirituel propre de la personne
– proposer, sans imposer, des relais ecclésiaux adaptés
– considérer l’aumônerie comme un lieu de passage, non de contrôle

12. Posture théologique globale
Le manuel est marqué par une théologie réformée exigeante et structurée.
En aumônerie, cette théologie doit être traduite pastoralement.
Adaptation :
– conserver la clarté doctrinale sans jargon
– articuler vérité, grâce et patience
– toujours subordonner la méthode à la charité pastorale

Synthèse opérationnelle
Ce que l’aumônier peut reprendre directement :
– la centralité de la Parole
– la vision covenantale de l’être humain
– l’appel à la responsabilité et à l’espérance

Ce qui doit être ajusté :
– le rythme de l’exhortation
– la gestion du trauma et de la crise
– la définition du changement

Ce qui doit être évité :
– toute pression morale prématurée
– toute confusion entre rôle spirituel et rôle institutionnel
– toute approche uniforme des situations humaines


Fiche pratique claire et directement utilisable : « Ce qu’un aumônier peut faire / ne pas faire »

Insspirée de Jay E. Adams et de l’approche nouthétique, adaptée au cadre de l’aumônerie et formulée de manière pédagogique.

Ce qu’un aumônier peut faire

Écouter activement et avec bienveillance
L’aumônier peut offrir un espace de parole sécurisé, sans jugement immédiat. Il écoute les faits, les émotions et le sens que la personne donne à ce qu’elle a vécu, en respectant son rythme et ses silences.

Clarifier son rôle dès le début
Il peut expliquer qu’il propose un accompagnement spirituel fondé sur la Parole de Dieu, sans se substituer à un suivi médical, psychologique ou social. Cette clarification protège à la fois la personne accompagnée et l’aumônier.

S’appuyer explicitement sur l’Écriture
L’aumônier peut lire, citer ou évoquer des textes bibliques de manière appropriée, comme une parole de vérité, de consolation ou d’espérance, en veillant à ne jamais instrumentaliser la Bible.

Nommer la souffrance sans la nier
Il peut reconnaître la réalité de la douleur, du choc, de la peur ou de la honte, sans chercher à les minimiser ni à les expliquer trop vite par des catégories morales.

Distinguer souffrance subie et responsabilité morale
L’aumônier peut aider à différencier ce qui relève de l’épreuve, du trauma ou de la contrainte, et ce qui relève d’un choix personnel, afin d’éviter toute culpabilisation injuste.

Exhorter avec prudence et amour
Dans l’esprit nouthétique, il peut appeler à la vérité, à la repentance ou au changement lorsque le moment est juste, de manière progressive, respectueuse et toujours orientée vers la restauration.

Proposer des pratiques spirituelles simples
Il peut inviter à des gestes accessibles : prière brève, lecture d’un psaume, temps de silence, bénédiction, sans créer de pression ni d’obligation.

Reconnaître ses limites
L’aumônier peut et doit savoir dire qu’une situation dépasse son champ de compétence et proposer une orientation vers des professionnels, tout en restant présent spirituellement.

Collaborer avec d’autres acteurs
Il peut travailler en complémentarité avec les professionnels de santé, les responsables institutionnels et les communautés religieuses, dans le respect de la confidentialité et des cadres établis.

Préserver la dignité et la liberté de la personne
Il peut accompagner sans jamais contraindre, manipuler ou imposer un chemin spirituel, respectant la liberté de conscience et le rythme intérieur de chacun.

Ce qu’un aumônier ne doit pas faire

Se substituer à un professionnel de santé
L’aumônier ne doit pas poser de diagnostics médicaux ou psychologiques, ni interrompre ou contester une prise en charge spécialisée.

Moraliser une souffrance traumatique
Il ne doit pas interpréter des réactions traumatiques (peur, colère, repli, dissociation) comme des fautes spirituelles ou un manque de foi.

Confronter trop tôt ou trop brutalement
L’exhortation biblique ne doit jamais être précipitée. Une confrontation prématurée peut aggraver la détresse ou fermer la relation.

Imposer des objectifs spirituels
L’aumônier ne doit pas fixer des buts de changement sans l’accord et la capacité réelle de la personne accompagnée.

Utiliser la Bible comme une arme
Il ne doit pas citer l’Écriture pour faire taire, culpabiliser ou forcer une décision. La Parole est donnée pour éclairer et restaurer, non pour contraindre.

Promettre une guérison ou une solution rapide
Il ne doit pas créer de fausses attentes spirituelles ou émotionnelles. La restauration est souvent progressive et parfois incomplète dans le temps présent.

Confondre accompagnement spirituel et discipline
L’aumônier ne doit pas exercer un pouvoir disciplinaire, juridique ou institutionnel sur la personne accompagnée.

Forcer la verbalisation
Il ne doit pas exiger que la personne parle de ce qu’elle n’est pas prête à exprimer, en particulier dans des contextes de vécu traumatique.

Rester isolé dans les situations lourdes
Il ne doit pas porter seul des situations complexes sans supervision, échange ou relais approprié.

Projeter ses propres convictions ou expériences
L’aumônier ne doit pas utiliser l’accompagnement pour régler ses propres questions spirituelles ou émotionnelles.

Principe de synthèse

Inspiré de Jay E. Adams, l’aumônier est appelé à tenir ensemble vérité et grâce, responsabilité et compassion, Parole de Dieu et humilité pastorale.
La méthode nouthétique n’est jamais une fin en soi : elle est au service de la personne, de sa dignité, et de l’œuvre de restauration que Dieu accomplit dans le temps.


Lecture critique de Jay Adams à la lumière du psychotraumatisme

La force de Jay E. Adams, dans Competent to Counsel et The Christian Counselor’s Manual, est d’avoir rappelé à l’Église une vérité réformée fondamentale : la Parole de Dieu est normative, l’être humain est responsable, et l’accompagnement pastoral vise une transformation réelle, pas seulement un apaisement. Cette contribution demeure précieuse. Mais l’expérience clinique du psychotraumatisme (et l’observation de terrain) oblige à relire l’approche nouthétique classique avec discernement, en distinguant ce qu’elle éclaire, ce qu’elle simplifie, et ce qu’elle peut involontairement aggraver.

1) Là où Adams reste très utile, même pour le trauma

La dignité morale et spirituelle de la personne
Le psychotraumatisme peut enfermer quelqu’un dans une identité de victime ou de « patient ». Adams rappelle qu’une personne éprouvée demeure un sujet moral, capable de choix (même petits), de prière, de vérité, de pas concrets. Ce rappel peut soutenir la reconstruction.

La centralité de l’espérance et du sens
Le trauma est souvent une crise de sens, de confiance, d’avenir. Adams, en plaçant l’accompagnement sous l’horizon de la sanctification, aide à inscrire la souffrance dans une histoire plus large que « ce qui m’est arrivé » : Dieu voit, Dieu agit, Dieu restaure.

Le refus de la neutralité
Le trauma n’est pas qu’un phénomène psychique : il touche la conscience, la culpabilité, la honte, la peur de Dieu, l’image de soi, l’image du monde. Adams a raison : le soin des âmes ne peut pas être une pratique « neutre » dépourvue de théologie.

2) Là où le psychotraumatisme oblige à corriger des angles morts

Symptômes traumatiques ≠ « problèmes de cœur » au sens moral immédiat
Beaucoup de manifestations (hypervigilance, sursauts, cauchemars, évitement, dissociation, anesthésie affective, flashbacks) sont d’abord des réponses neurobiologiques de survie, souvent involontaires. Les lire trop vite comme incrédulité, rébellion ou manque de foi peut produire une double peine : la personne souffre, puis se croit coupable de souffrir.

L’urgence de la sécurité avant la confrontation
Le counseling nouthétique classique valorise une confrontation relativement directe. Or, en trauma, la première étape est souvent la stabilisation : sécurité, ancrage, réduction de l’activation, restauration minimale de la capacité à penser. Sans cela, la confrontation peut être reçue comme une menace, et la relation d’aide devient un facteur de re-traumatisation.

La complexité de la mémoire traumatique
Le trauma altère parfois l’accès narratif aux événements : trous de mémoire, récit fragmenté, incohérences, émotions massives. Une méthode trop centrée sur la « reconstruction factuelle » et l’analyse rapide peut conduire à douter du témoin, à presser des détails, ou à imposer des explications.

Le risque de « moraliser » la honte et la culpabilité
Beaucoup de blessés (combat, violence, abus) portent une honte toxique, parfois liée à une culpabilité réelle, parfois à une culpabilité injuste, parfois aux deux enchevêtrées. L’exhortation doit être capable de distinguer : culpabilité morale objective, culpabilité ressentie, honte, deuil, colère légitime, et blessures d’attachement. Adams donne des outils pour la responsabilité ; il en donne moins pour démêler finement la honte traumatique.

3) Les deux distinctions clés pour une lecture réformée et « trauma-informed »

Souffrance subie et péché commis
Dans une théologie réformée, tout n’est pas « faute ». Il y a l’épreuve, l’injustice, le mal subi. L’aumônier doit savoir lamenter avant d’exhorter, consoler avant de corriger, protéger avant de questionner.

Responsabilité et capacité
Une personne peut être responsable devant Dieu sans être immédiatement capable, dans l’instant, de certaines démarches (parler, se souvenir, dormir, « ressentir », pardonner). Le trauma peut réduire temporairement la marge de manœuvre. L’accompagnement vise alors des pas proportionnés : respirer, dormir, demander de l’aide, se mettre en sécurité, reprendre des routines.

4) Comment « traduire » Adams en démarche compatible avec le psychotraumatisme

Rythme : du « directif » vers le « progressif »
Garder l’intention d’Adams (changer concrètement), mais changer la cadence : d’abord stabiliser, ensuite élaborer, enfin exhorter plus explicitement quand la personne peut entendre.

Exhortation : de la confrontation au discernement guidé
Au lieu d’énoncer rapidement « voici ce que tu dois faire », privilégier des questions bibliquement orientées : « Qu’est-ce qui t’effraie le plus ? », « Qu’est-ce qui te revient malgré toi ? », « Qu’est-ce que tu voudrais confier à Dieu aujourd’hui, même en une phrase ? » Puis seulement, au moment opportun, nommer un appel biblique clair.

Devoirs : micro-pratiques spirituelles, pas « performance »
Les « devoirs » d’Adams restent utiles si on les rend proportionnés : un psaume par jour, une prière de 20 secondes, une phrase d’espérance à mémoriser, un geste de sécurité (parler à un professionnel, supprimer un accès à une substance, éviter un déclencheur).

Catégories bibliques : plus de lamentation, d’attente, de consolation
Psaumes de lamentation, Job, Lamentations, les cris des saints, la compassion du Christ : ces textes légitiment l’expression de la détresse. Ils évitent le piège « si tu souffres, c’est que tu crois mal ».

5) Risques pastoraux concrets si on applique Adams « à la lettre » en contexte traumatique

Accélérer le pardon
Le pardon biblique n’est pas un déni, ni un oubli forcé, ni une réconciliation automatique. Presser « pardonne vite » peut renforcer la dissociation et l’injustice intérieure, et parfois remettre la personne en danger.

Confondre symptômes et désobéissance
Évitement, irritabilité, isolement, addictions : il peut y avoir du péché, mais il peut y avoir d’abord une stratégie de survie. Il faut traiter la survie avant de traiter la morale, sans jamais nier la morale.

Spiritualiser la crise
Tout ramener à la prière ou à la repentance, sans repérer les signaux de danger (idées suicidaires, conduite à risque, violence, effondrement), met la personne en péril et met l’aumônerie en difficulté éthique.

6) Une synthèse réformée équilibrée

On peut conserver l’intuition d’Adams (Parole, responsabilité, changement), mais en l’insérant dans un cadre où la grâce se manifeste aussi par la patience, la sécurité, l’écoute, la collaboration, et l’acceptation d’un chemin lent. En termes simples : le psychotraumatisme n’abolit pas la théologie de l’alliance, il oblige à l’appliquer avec une sagesse pastorale plus fine, qui sait distinguer le péché à confesser, la souffrance à lamenter, la peur à apaiser, et le temps nécessaire à la restauration.


Jay E. Adams à la lumière de la théorie des sphères d’Abraham Kuyper

Abraham Kuyper offre un cadre théologique particulièrement éclairant pour évaluer l’approche de Jay E. Adams avec justesse et discernement. Sa pensée permet de reconnaître la pertinence de l’intuition nouthétique, tout en en identifiant les limites, sans les opposer de manière artificielle ou polémique. Elle invite au contraire à une lecture nuancée, ordonnée et féconde.

Il est ainsi possible, à la lumière de Kuyper, de distinguer trois éléments : ce qu’il approuverait chez Jay Adams, ce qu’il serait amené à corriger ou à nuancer, et la manière dont sa théorie des sphères de souveraineté permet d’articuler de façon cohérente le rôle des pasteurs et aumôniers avec celui des médecins, psychiatres et psychologues.

Abraham Kuyper (1837–1920) fut l’une des figures majeures du protestantisme réformé néerlandais. Pasteur, théologien, journaliste, fondateur de l’Université libre d’Amsterdam et homme d’État (il fut Premier ministre des Pays-Bas de 1901 à 1905), il a profondément marqué la pensée réformée moderne. Sa réflexion s’est articulée autour de la souveraineté absolue de Dieu sur toute la création et de la seigneurie du Christ sur l’ensemble de la vie humaine.

Parmi ses apports les plus durables figure la doctrine des « sphères de souveraineté », selon laquelle Dieu a institué différentes sphères de responsabilité — Église, État, famille, science, médecine, culture — chacune dotée d’une autorité propre, légitime et limitée. Aucune sphère ne doit dominer ou absorber les autres, même sous couvert de piété ou de bonnes intentions. Ce cadre théologique permet de penser une collaboration respectueuse et ordonnée entre les différents acteurs du soin, sans confusion des rôles ni rivalité des compétences, tout en confessant la souveraineté de Dieu sur l’ensemble de ces domaines.

1) Ce que Kuyper reconnaîtrait et approuverait chez Jay Adams

Kuyper partagerait sans hésitation l’affirmation centrale d’Adams : Dieu est souverain sur toute la vie, y compris sur le soin de l’âme. L’idée que le counseling chrétien ne peut être théologiquement neutre correspond pleinement à la vision kuyperienne de la seigneurie du Christ sur toutes les sphères de l’existence.

Il approuverait également la défense de la suffisance de l’Écriture pour ce qui concerne la connaissance salvifique, morale et spirituelle de l’homme. Pour Kuyper, l’Église n’a pas à emprunter ses normes ultimes à une science fondée sur des présupposés antichrétiens. En ce sens, Adams agit comme un gardien des frontières de la sphère ecclésiale.

Enfin, Kuyper reconnaîtrait dans l’approche nouthétique une juste réaction contre l’impérialisme de la psychologie séculière, qui tend à coloniser des domaines relevant de la responsabilité spirituelle, morale et ecclésiale.

2) Ce que Kuyper corrigerait chez Adams à la lumière des sphères

La théorie des sphères de Kuyper repose sur un principe fondamental : Dieu a institué plusieurs sphères de responsabilité distinctes, chacune dotée d’une autorité propre, limitée et non interchangeable. L’erreur ne consiste pas à affirmer la souveraineté de Dieu, mais à laisser une sphère empiéter sur une autre.

Kuyper dirait probablement à Adams : « Tu as raison de refuser que la psychologie gouverne l’Église, mais tu risques, à ton tour, de laisser l’Église gouverner la médecine. »

Dans la pensée kuyperienne, la sphère médicale (qui inclut aujourd’hui psychiatrie et psychologie clinique) possède une légitimité réelle, même si elle n’est pas ultimement normative sur le sens de l’existence humaine. Les réalités biologiques, neurologiques et traumatiques relèvent d’une compétence propre, qui ne peut être absorbée par l’exhortation pastorale sans dommage.

Kuyper soulignerait que le psychotraumatisme, les troubles sévères, les désordres neurobiologiques ne sont pas d’abord des problèmes ecclésiaux, mais médicaux, même s’ils ont des répercussions spirituelles. Les traiter exclusivement par l’exhortation biblique revient à violer l’ordre des sphères.

3) Distinction kuyperienne entre nature, grâce et moyens

Kuyper insisterait sur la doctrine de la grâce commune. Dieu agit aussi hors de l’Église, par des moyens ordinaires, scientifiques et institutionnels. La médecine, la psychologie clinique, la psychiatrie sont des instruments de cette grâce commune, même lorsqu’elles sont pratiquées par des non-chrétiens.

Adams met l’accent sur la grâce spéciale (Parole, repentance, sanctification). Kuyper ne nierait pas cela, mais rappellerait que la grâce spéciale n’abolit pas les moyens ordinaires de Dieu. La guérison spirituelle et la stabilisation psychique ne sont pas concurrentes.

4) Application concrète : pasteur, aumônier, médecin selon Kuyper

Dans une lecture kuyperienne équilibrée, les rôles sont clairement distingués :

Le pasteur et l’aumônier
Ils relèvent de la sphère ecclésiale. Leur responsabilité est d’annoncer la Parole, d’accompagner spirituellement, d’exhorter, de consoler, de rappeler l’espérance, de travailler la culpabilité morale, la honte, le pardon, le sens, la relation à Dieu.

Le médecin, le psychiatre, le psychologue
Ils relèvent de la sphère médicale. Leur responsabilité est de diagnostiquer, stabiliser, traiter les troubles psychiques et biologiques, réduire les symptômes, sécuriser la personne, restaurer des fonctions altérées.

L’erreur serait double :
– que le professionnel médical prétende définir le sens ultime, le péché ou la rédemption ;
– que le pasteur ou l’aumônier prétende diagnostiquer ou traiter des troubles cliniques.

5) Kuyper comme médiateur entre Adams et le psychotraumatisme

Kuyper offrirait une voie de médiation :
– Adams rappelle que tout n’est pas maladie, et que l’homme reste responsable devant Dieu.
– Le psychotraumatisme rappelle que tout n’est pas faute, et que certaines souffrances relèvent de blessures profondes.
– Kuyper permet de dire : chacun dans sa sphère, sous la souveraineté de Dieu, sans confusion ni rivalité.

6) Ce que Kuyper dirait en une phrase synthétique

On pourrait résumer ainsi une position kuyperienne appliquée à Adams : « L’Église ne doit pas céder sa vocation au soin des âmes à la psychologie, mais elle ne doit pas non plus absorber la médecine. Dieu règne sur les deux, chacun selon sa sphère. »

Conclusion

Abraham Kuyper ne rejetterait pas l’approche de Jay Adams ; il la recadrerait. Il en préserverait la force théologique tout en en limitant l’emprise institutionnelle. La théorie des sphères permet ainsi de penser une coopération ordonnée entre aumôniers, pasteurs et professionnels de santé, où la souveraineté du Christ est confessée sans confusion des rôles.

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