Voici le Psaume 126 selon le Psautier de Genève (1562), dans sa version traditionnelle en français rimé.
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Paroles
Quand l’Éternel hors de servitude
Fait remonter les siens sainement,
Nous sommes comme gens en grand quiétude,
Qui songent doux et plaisant songeamment.
Lors notre bouche est de ris inondée,
Et notre langue en cris de liesse allée :
L’on dit alors parmi les nations
Que le Seigneur fait grandes actions.
Le Seigneur fait pour nous merveilles grandes,
En quoi nous sommes en liesse très fort.
Éternel Dieu, nos captifs tu refrandes ;
Comme l’eau court en pays sec et mort,
Ramène-nous. Qui pleure en détresse
Moissonnera en liesse et allégresse.
Qui va pleurant portant le sillon,
Chargé reviendra de la gerbe au fond.
Description
Le Psaume 126 est l’un des quinze « cantiques des montées » (Psaumes 120–134). Ces psaumes étaient chantés par les pèlerins d’Israël se rendant à Jérusalem pour les grandes fêtes. Le Psaume 126 exprime la joie du retour de l’exil babylonien tout en implorant Dieu pour un renouveau complet. Il se déploie en deux mouvements : la mémoire émerveillée de la délivrance passée (versets 1–3) et la prière confiante pour une restauration encore plus grande (versets 4–6). La tension entre ce que Dieu a déjà accompli et ce qu’Il fera encore fait de ce psaume une confession d’espérance. L’image du semeur qui pleure mais revient chargé de gerbes illustre puissamment le principe spirituel de la consolation divine après l’épreuve.
Sa place dans le Psautier de Genève
Dans le Psautier de Genève, le Psaume 126 occupe une place importante dans la séquence des psaumes de délivrance et d’espérance. Le premier Psautier de Strasbourg (1539) ne contenait pas encore toutes les mélodies actuelles ; la version genevoise s’est stabilisée progressivement entre 1542 et 1562. Le Psaume 126 apparaît dans la version définitive du Psautier de Genève de 1562, avec un texte rimé de Clément Marot (pour les premières versions) révisé et harmonisé dans la grande édition sous le règne de Calvin. Le thème du retour, du relèvement et de la fidélité divine en fait un psaume particulièrement chanté lors des temps de persécution ou d’attente de renouveau, notamment dans les Églises réformées du XVIe siècle qui voyaient en lui une parabole liturgique de leur propre situation.
La musique d’origine
La mélodie du Psaume 126, comme celle de la majorité des psaumes du Psautier de Genève, est une composition originale du cercle musical genevois, très probablement de Loys Bourgeois, principal musicien du psautier entre 1542 et 1551. La musique suit le principe fondamental du Psautier : une ligne mélodique simple, modale, destinée au chant de toute l’assemblée, avec un rythme mesuré proche de la déclamation du texte. Cette mélodie relève du mode dorien (ou d’un mode voisin), caractéristique des compositions du Psautier de Genève qui privilégient une gravité noble et une claire intelligibilité des paroles.
Par la suite, Claude Goudimel (vers 1570) a fourni des harmonisations polyphoniques à quatre voix des mélodies du psautier, non pas pour remplacer le chant d’assemblée, mais pour offrir une riche polyphonie d’usage domestique ou scolaire. Pour le Psaume 126, Goudimel propose deux types d’arrangements : l’harmonisation en style « note contre note » (chacune des voix avançant ensemble) et des versions plus fleuries en style motet. Cependant, la mélodie d’origine (la voix supérieure) demeure celle de Bourgeois.
Exégèse
Psaume 126 selon Louis Segond (1978)
« Quand l’Éternel ramena les captifs de Sion, nous étions comme ceux qui font un rêve. Alors notre bouche était pleine de cris de joie, et notre langue de chants d’allégresse; alors on disait parmi les nations : L’Éternel a fait pour eux de grandes choses. L’Éternel a fait pour nous de grandes choses; nous sommes dans la joie. Éternel, ramène nos captifs, comme des ruisseaux dans le midi ! Ceux qui sèment avec larmes moissonneront avec chants d’allégresse. Celui qui marche en pleurant quand il porte la semence, revient avec allégresse, quand il porte ses gerbes. »
Lecture verset par verset, mots hébreux clés et commentaires traditionnels
Verset 1
« Quand l’Éternel ramena les captifs de Sion, nous étions comme ceux qui font un rêve. »
Mot clé : shivath Tsion (שיבת ציון) « le retour de Sion », expression historique forte désignant la fin de l’exil babylonien. Le verbe shuv (שׁוּב) « retourner, restaurer » exprime autant le mouvement physique que la restauration spirituelle.
Lecture : Israël contemple l’intervention soudaine de Dieu comme un éveil incroyable, une délivrance inespérée.
Pères et Réformateurs : Augustin lit ici l’image du retour de l’âme à Dieu, délivrée de l’exil du péché. Calvin insiste sur l’initiative divine : ce n’est pas Israël qui se libère, mais Dieu qui renverse l’histoire en sa faveur.
Verset 2
« Alors notre bouche était pleine de cris de joie, et notre langue de chants d’allégresse; alors on disait parmi les nations : L’Éternel a fait pour eux de grandes choses. »
Mots clés : righelah (רִנָּה) « cri de jubilation », le sens est intensément sonore; gilah (גִּילָה) « allégresse ».
Lecture : La joie du peuple est si manifeste qu’elle devient un témoignage pour les nations. La délivrance visible devient proclamation de la gloire de Dieu.
Pères et Réformateurs : Jean Chrysostome souligne que Dieu agit de façon telle que même les ennemis sont forcés de reconnaître sa puissance. Calvin note que le salut du peuple n’est jamais un simple bénéfice privé : il rend manifeste le nom de Dieu dans le monde.
Verset 3
« L’Éternel a fait pour nous de grandes choses; nous sommes dans la joie. »
Mot clé : higdil (הִגְדִּיל) « faire de grandes choses », verbe intensif soulignant l’action extraordinaire.
Lecture : Le peuple reprend le témoignage des nations et l’approprie. La confession devient interne et communautaire.
Pères et Réformateurs : Augustin y voit la réponse de l’Église à l’annonce de l’Évangile : reconnaître la grandeur de l’œuvre divine. Calvin insiste sur le devoir de gratitude, non seulement pour l’exode babylonien, mais pour chaque délivrance quotidienne.
Verset 4
« Éternel, ramène nos captifs, comme des ruisseaux dans le midi ! »
Mot clé : negev (נֶגֶב) « le sud », région aride; afiqim (אֲפִיקִים) « ruisseaux, lits de torrents ». Ces torrents se remplissent brusquement lors des pluies, image de renouvellement soudain et puissant.
Lecture : Le psaume change de tonalité : après la joie vient la supplication. Israël, même restauré, n’est pas pleinement renouvelé. Il demande à Dieu un renouveau aussi inattendu et rapide que les crues du désert.
Pères et Réformateurs : Augustin y voit l’image des grâces de Dieu qui remplissent soudainement une âme desséchée. Calvin affirme que l’œuvre de Dieu s’accomplit en deux temps : une première délivrance suivie d’une restauration progressive et plus profonde.
Verset 5
« Ceux qui sèment avec larmes moissonneront avec chants d’allégresse. »
Mots clés : dim‘ah (דִּמְעָה) « larmes »; rinnah (רִנָּה) « chant de triomphe ».
Lecture : L’image agricole devient parabole spirituelle. Les travaux douloureux, accomplis dans la fidélité, portent un fruit disproportionné.
Pères et Réformateurs : Chrysostome rapproche ce verset des souffrances apostoliques : les larmes de la mission deviennent la moisson des conversions. Calvin l’applique à toute la vie chrétienne : dans les épreuves, Dieu promet une récolte finale, terrestre ou céleste.
Verset 6
« Celui qui marche en pleurant quand il porte la semence, revient avec allégresse, quand il porte ses gerbes. »
Mots clés : meshech hazara (מֶשֶׁךְ הַזָּרַע) « porter la semence »; alumotav (אֲלֻמֹּתָיו) « ses gerbes ».
Lecture : La progression est claire : marcher en pleurant – revenir en chantant. Le mouvement du pèlerin devient métaphore du croyant.
Pères et Réformateurs : Augustin interprète cette marche comme la condition terrestre de l’Église : elle avance dans les larmes de la pénitence, mais reviendra dans la joie de la résurrection. Calvin souligne que Dieu n’ignore jamais les larmes de son peuple : chaque pas douloureux est une semence promise à la joie.
Synthèse théologique dans la perspective de l’alliance
Le Psaume 126 proclame avec force que le Dieu de l’alliance est celui qui ramène, restaure, et fait fructifier son peuple. Il révèle la dynamique fondamentale de l’alliance : une relation dans laquelle Dieu prend l’initiative, dirige l’histoire et conduit ses élus de l’exil à la communion, de la stérilité à la fécondité, des larmes à la joie.
Premièrement, le psaume montre que toute restauration commence par l’acte souverain de Dieu. Le peuple ne se libère pas lui-même : Dieu « ramène les captifs de Sion ». L’alliance n’est pas un contrat mutualiste où les partenaires sont égaux, mais une dispensation de grâce dans laquelle Dieu rétablit un peuple qui avait rompu l’alliance par son péché. Le « retour de Sion » devient ainsi l’image type de toute rédemption ultérieure. Les Réformateurs y voyaient l’anticipation du retour décisif opéré par le Christ, qui ramène son peuple de l’exil du péché et de la mort.
Deuxièmement, l’alliance implique toujours un témoignage devant les nations. La joie d’Israël devient une proclamation universelle : « L’Éternel a fait pour eux de grandes choses. » Dans la théologie de l’alliance, le peuple est choisi non pour être enfermé dans son privilège, mais pour manifester la gloire et la fidélité du Dieu qui sauve. L’alliance abrahamique affleure ici : « En toi seront bénies toutes les familles de la terre. » La restauration d’Israël n’est pas seulement un événement historique, mais un acte missionnaire par lequel Dieu rend sa sainteté visible au monde.
Troisièmement, l’alliance est une relation vivante dans laquelle la délivrance initiale demande une restauration continue. Après avoir confessé la joie du salut, le psaume se tourne vers la supplication : « Ramène nos captifs, comme des ruisseaux dans le midi. » Le peuple, bien que déjà relevé, reconnaît que la plénitude de la promesse n’est pas encore accomplie. C’est la structure même de l’alliance : le « déjà » du salut reçu et le « pas encore » de la sanctification et de la consommation finale. L’image des torrents du Néguèv souligne que la grâce peut intervenir soudainement, dépassant l’attente humaine, mais qu’elle demeure entièrement dépendante de Dieu.
Quatrièmement, le psaume articule un principe fondamental de la vie d’alliance : la fécondité de la fidélité dans l’épreuve. Les larmes de la semence deviennent les gerbes de la moisson. Le croyant avance dans la souffrance, mais toujours avec la promesse que Dieu transformera son obéissance douloureuse en joie abondante. Cette dynamique est à la fois éthique et eschatologique. Elle rappelle la structure de la croix et de la résurrection, inscrite dès l’Ancien Testament comme loi spirituelle du peuple de Dieu : l’humiliation précède la gloire, la fidélité dans l’obscurité précède la lumière de la délivrance. Dans la théologie réformée, ce passage est souvent lu comme un encouragement à la persévérance des saints dans le cadre de l’alliance de grâce.
Ainsi, le Psaume 126 présente l’alliance comme une histoire de délivrance, de témoignage, de dépendance et de fécondité. Dieu agit, son peuple répond; Dieu sauve, son peuple proclame; Dieu restaure, son peuple espère; Dieu bénit, son peuple porte du fruit. Ce psaume devient alors un miroir de la vie chrétienne sous la nouvelle alliance en Christ : déjà ramenés de l’exil par la grâce, mais encore en marche, semant parfois dans les larmes, assurés toutefois que la joie promise sera pleine lorsque le Seigneur accomplira définitivement sa restauration.

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