Réunion internationale réformée contre l’arminianisme • Naissance du calvinisme classique
Description historique
Le 13 novembre 1618 s’ouvre à Dordrecht (Pays-Bas) un grand synode international, convoqué par les États Généraux des Provinces-Unies. Ce synode a pour but de résoudre une controverse doctrinale majeure : la question de la grâce et de la prédestination, soulevée par les disciples de Jacobus Arminius.
Les Remontrants (partisans d’Arminius) soutiennent une forme de synergisme : la grâce de Dieu agit, mais l’homme doit y coopérer librement pour être sauvé. Les Contre-Remontrants (calvinistes orthodoxes) affirment au contraire que le salut repose entièrement sur la grâce souveraine de Dieu.
Le Synode réunit 84 membres officiels, dont des délégués étrangers représentant les Églises réformées de Suisse, d’Angleterre, d’Allemagne, et même de France (bien que non officiellement présents à cause des guerres de religion). Les sessions s’étendent jusqu’en mai 1619.
Résultats et décisions
1. Condamnation de l’arminianisme
Les Remontrants sont exclus après plusieurs débats houleux. Le Synode déclare leurs positions contraires à l’Écriture et aux confessions réformées.
2. Rédaction des Canons de Dordrecht
Les délégués formulent un texte doctrinal majeur, les Canons de Dordrecht, qui deviendront l’un des trois symboles confessionnels de l’Église réformée néerlandaise, avec la Confessio Belgica (1561) et le Catéchisme de Heidelberg (1563).
Les Canons articulent la doctrine de la grâce divine en cinq points, connus plus tard sous l’acronyme anglais TULIP :
| Lettre | Doctrine | Formulation |
|---|---|---|
| T | Total depravity | Corruption totale de la nature humaine |
| U | Unconditional election | Élection inconditionnelle des élus |
| L | Limited atonement | Expiation particulière (ou limitée) |
| I | Irresistible grace | Grâce irrésistible pour les élus |
| P | Perseverance of the saints | Persévérance finale des saints |
Ces cinq points ne sont pas un résumé de toute la théologie réformée, mais une réponse précise à l’arminianisme.
Citations et extraits des Canons de Dordrecht
Sur l’élection :
« Avant la fondation du monde, Dieu a choisi, dans la masse corrompue du genre humain, certains hommes pour les sauver en Christ, selon le bon plaisir de sa volonté. »
(Canons de Dordrecht, I.7)
Sur la grâce :
« Cette grâce de régénération n’agit pas en l’homme comme sur un être inanimé, mais elle vivifie, guérit, réforme, et incline le cœur de manière efficace. »
(Canons, III/IV.16)
Sur la persévérance :
« Dieu, selon sa miséricorde immuable, ne retire point le Saint-Esprit de ses élus, même quand ils tombent dans de graves péchés. »
(Canons, V.6)
Apport pour la théologie réformée
1. Consolidation du calvinisme confessant
Le Synode de Dordrecht fixe la doctrine de la grâce comme noyau de la foi réformée.
Il clarifie l’enseignement de Calvin, de Bèze et des confessions helvétiques face aux tendances humanistes du XVIIe siècle.
2. Naissance du “calvinisme classique”
Les Canons de Dordrecht constituent la synthèse la plus aboutie de la sotériologie réformée.
Ils influencent durablement :
- Les Églises réformées néerlandaises,
- La Confession de Westminster (1647),
- La théologie puritaine anglaise,
- Et plus tard le calvinisme américain (Presbyterian Church, Princeton, etc.).
3. Vision biblique et pastorale de la grâce
Contrairement à une caricature fataliste, les Canons soulignent :
- La libéralité de Dieu,
- La sécurité du croyant,
- La puissance transformante de la grâce.
Ils appellent à l’humilité, à la reconnaissance et à la vie sainte.
4. Un modèle d’unité confessionnelle internationale
Dordrecht montre que les Églises réformées, malgré leurs contextes nationaux divers, se reconnaissent dans une même foi : Christ seul, la grâce seule, la gloire de Dieu seule.
Développement ultérieur des Canons
- En 1619, leur adoption officielle par les Provinces-Unies fonde la base confessionnelle de l’Église réformée des Pays-Bas.
- En 1647, la Confession de Westminster en reprend les grandes lignes dans le monde anglophone.
- Au XIXe siècle, les Canons deviennent un repère du néocalvinisme (Abraham Kuyper, Herman Bavinck).
- Aujourd’hui encore, ils demeurent un symbole d’équilibre entre rigueur doctrinale et consolation spirituelle.
Les Canons de Dordrecht dans la continuité de la tradition chrétienne
Contrairement à une idée répandue, les Canons de Dordrecht (1619) ne représentent pas une invention propre au calvinisme, mais l’aboutissement d’une longue tradition chrétienne sur la grâce, héritée directement de Saint Augustin, développée dans le Synode d’Orange (529) , confirmée par Thomas d’Aquin, et largement reçue dans l’Église d’Occident.
1. Saint Augustin : la grâce prévenante et souveraine (Ve siècle)
Face au pélagianisme, Augustin affirme :
- Que l’homme est spirituellement mort par le péché,
- Que la grâce de Dieu précède toute bonne volonté,
- Que la foi elle-même est un don,
- Que Dieu appelle efficacement ceux qu’il a choisis.
Les thèses centrales d’Augustin sont déjà celles des Canons : corruption radicale, grâce efficace, nécessité de la régénération, persévérance des saints.
2. Le Deuxième Synode d’Orange (529) : condamnation du semi-pélagianisme
Orange n’approuve pas toutes les thèses augustiniennes, mais il :
- Réaffirme la dépendance radicale de la volonté humaine,
- Condamne le semi-pélagianisme,
- Proclame que la foi initiale est un don gratuit,
- Enseigne que l’initiative du salut vient uniquement de la grâce de Dieu.
Le canon 23 d’Orange pourrait presque être signé par Dordrecht tant il est proche :
« Quand nous faisons le bien, c’est Dieu qui opère en nous et avec nous. »
(Synode d’Orange II, canon 23)
3. Thomas d’Aquin : la synthèse médiévale (XIIIe siècle)
Thomas poursuit cette ligne :
- La grâce meut librement la volonté,
- Dieu donne la persévérance à ceux qu’il destine à la gloire,
- La régénération est un acte souverain de Dieu,
- Les élus sont préordonnés au salut.
Même si Thomas ne formule pas l’expiation particulière comme les Réformés, sa sotériologie reste profondément augustinienne.
4. Les Canons de Dordrecht (1619) : continuité augustinienne, précision confessionnelle
Les Canons reprennent cet héritage en le formulant avec une grande clarté :
- Total depravity : écho direct de la doctrine augustinienne du péché originel.
- Unconditional election : Augustin + Orange + Thomas.
- Irresistible grace : grâce prévenante et efficace.
- Perseverance of the saints : enseignement déjà présent chez Augustin et Thomas.
Les Canons n’inventent donc pas une théologie nouvelle : ils confessent ce que l’Église avait déjà enseigné pendant plus de mille ans.
La vraie rupture : l’arminianisme
L’arminianisme (ou Remontrance) n’est pas un retour à la tradition ancienne, mais une innovation doctrinale introduisant un synergisme proche du semi-pélagianisme condamné par l’Église primitive.
Les Remontrants enseignaient que :
- L’homme peut coopérer librement à la grâce,
- La foi n’est pas un don souverain,
- La grâce peut être résistée même dans l’œuvre de régénération,
- L’élection dépend de la prévision de la foi humaine,
- La persévérance n’est pas garantie.
Ce sont précisément ces points que le Synode d’Orange (529) avait rejetés.
Ainsi, ce n’est pas Dordrecht qui rompt l’unité doctrinale, mais l’arminianisme, qui s’éloigne de :
- Augustin
- Orange
- La tradition médiévale
- La Réforme magistérielle (Luther, Calvin, Bèze)
- La tradition puritaine et presbytérienne
Conclusion : Dordrecht, défenseur de la tradition chrétienne de la grâce
Les Canons de Dordrecht se situent donc :
- Dans la droite ligne d’Augustin,
- En harmonie avec Orange,
- Cohérents avec Thomas d’Aquin,
- Fidèles à la Réforme.
Ils représentent l’expression confessionnelle la plus claire de la doctrine chrétienne classique du salut par la grâce seule.
Monergisme vs synergisme — le cœur du débat de Dordrecht
Au fond, la controverse entre les Réformés de Dordrecht et les arminiens était une question de monergisme ou de synergisme dans le salut.
1. Le monergisme (position réformée, augustinienne)
Le monergisme affirme que Dieu seul (monos = « seul », ergon = « action ») accomplit l’œuvre du salut, du début à la fin.
Cela signifie :
- Dieu régénère librement le cœur.
- La foi est un don de Dieu.
- La grâce précède, accompagne et rend possible toute réponse humaine.
- L’homme ne contribue pas à sa nouvelle naissance, il la reçoit.
C’est la position :
d’Augustin → du Synode d’Orange → de Thomas d’Aquin → de Luther et Calvin → des Canons de Dordrecht.
2. Le synergisme (position arminienne / remontrante)
Le synergisme enseigne que le salut est une coopération entre Dieu et l’être humain (syn = « avec », ergon = « action »).
Pour les arminiens :
- Dieu offre la grâce,
- Mais l’homme doit choisir librement d’y répondre,
- La grâce peut être résistée,
- L’élection dépend de la foi prévue dans l’homme.
Cette position ressemble au semi-pélagianisme condamné par le Synode d’Orange (529).
En résumé
- Monergisme = Dieu sauve souverainement, du début à la fin.
- Synergisme = Dieu propose, l’homme décide et coopère.
Les Canons de Dordrecht confirment la position monergiste, en continuité avec l’enseignement classique de l’Église sur la grâce souveraine.
Prière du 13 novembre – Pour la gloire de la grâce souveraine
Seigneur notre Dieu,
Père éternel qui tiens le monde et les cœurs dans ta main,
nous te bénissons pour l’œuvre de ta grâce,
que nul homme ne peut mériter ni empêcher.
En ce jour, nous nous souvenons du Synode de Dordrecht,
où tes serviteurs ont confessé ta souveraineté
et la plénitude du salut en Jésus-Christ.
Tu as gardé ton Église dans la vérité
quand les hommes voulaient lui ravir la gloire de ton œuvre.
Apprends-nous à vivre de cette grâce qui précède tout mérite,
qui relève les pécheurs morts dans leurs fautes,
et qui nous garde jusqu’à la fin.
Délivre-nous de l’orgueil des œuvres et de la crainte du doute,
et fais-nous reposer dans la fidélité de tes promesses.
Que ton Esprit nous éclaire,
pour que nous annoncions avec douceur et assurance
que le salut vient de toi seul,
et que toute la gloire t’appartient.
Garde ton Église dans l’unité de la foi,
dans la pureté de l’Évangile,
et dans la joie de la consolation.
Fais que nous servions ton Royaume
non par la force de nos raisonnements,
mais par la puissance de ta Parole.
Par Jésus-Christ,
notre Seigneur et notre Justice.
Amen.

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